La première ministre a écarté cette fin de semaine le spectre du déclenchement d’un scrutin automnal. Ce faisant, elle devance le dépôt prochain de la fameuse Charte des « valeurs québécoises », qui ne pourra ainsi faire l’objet d’une élection à valeur référendaire, sur le thème d’une identité nationale qui serait à préserver. C’est donc aux parlementaires québécois qu’il incombera d’adopter cette Charte qui passera fort probablement au travers du tamis des compromis partisans, gouvernement minoritaire oblige! L’offensive identitaire du PQ, comme je l’écrivais en septembre dernier, ne visait qu’à ménager l’ouverture d’une fenêtre électorale à l’automne. Malheureusement pour le gouvernement, l’aiguille des intentions de vote ne bouge pas, quant à elle, aussi vite que la volonté de la première ministre de décrocher une majorité parlementaire… Le week-end dernier, les « Janette » et les opposants à la Charte ont à nouveau défilé, alors que le ministre Drainville continue à souffler le chaud et le froid sur les modifications probables que son gouvernement pourrait apporter à une Charte qui n’est toujours pas déposée en bonne et due forme et sur laquelle on spécule depuis deux mois.
Le débat s’est vite envenimé, comme toute chose qu’on laisse trainer trop longtemps – sans doute à dessein – et les accusations de xénophobie, ou de bonasserie, ont vite fusé. Les opposants les plus farouches de la Charte ont enfourché le cheval de la lutte à l’intolérance, alors que les partisans du projet ont vite amalgamé les « gauchistes », les islamistes et les féministes les plus « molles » dans un même tout, accusés d’être les idiots utiles du machisme et de l’islamisation insidieuse de la société. C’est ainsi que l’on a le plus sérieusement du monde prétendu que la Charte allait être la dernière pièce législative majeure consacrant la laïcité de notre État, tout en permettant, du même coup, le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale ou les prières avant les séances des conseils municipaux…
Or nous savons bien que dans son application pratique, comme le soulignait Jacques Parizeau, la Charte viserait plus particulièrement les femmes musulmanes portant le hijab, et ce, bien plus qu’elle ne toucherait les catholiques qui constituent la majorité de la population francophone du Québec. C’est d’ailleurs chez les Québécois dits « de souche », particulièrement les hommes moins scolarisés habitant hors de l’île de Montréal – et donc les moins confrontés aux enjeux de l’intégration – que la Charte a récolté le plus d’appuis. Non pas que le projet du gouvernement en lui-même soit xénophobe ou intolérant, malgré ses incohérences et l’apparente iniquité dans le traitement des religions. Pauline Marois n’est pas une leader xénophobe, pas plus que ne le sont ses collègues du conseil des ministres, et l’accusation de racisme n’est que le refuge rhétorique pratique de la presse torontoise, toujours incapable d’une analyse plus approfondie sur la société québécoise…
Il n’empêche que si le projet en lui-même, bien qu’il soit contestable et perfectible, n’est pas foncièrement xénophobe, les stratèges péquistes ne peuvent ignorer qu’une partie importante de leurs appuis proviennent d’une peur, d’une fausse perception vis à vis de « l’autre » bien présente dans la société québécoise, comme dans toute société humaine. Cette peur, cette xénophobie latente au sein de chaque société – c’est bien ce que veulent dire les mots grecs xenos et phobos, « peur de l’étranger » – s’est exprimée dans les tribunes publiques et sur les médias sociaux comme on ne l’avait jamais vu depuis la crise des accommodements raisonnables. À grands coups de « nous autres » et de formules du genre « Il faut mettre nos culottes! », ce qu’il y a de pire au sein de la société québécoise s’est parfois exprimé, jusque dans la bouche même d’artistes reconnus et admirés qui, comme Denise Filiatrault, lançait que les femmes portant le voile étaient « des folles » alors que Janette Bertrand, quant à elle, disait avoir « peur » d’être soignée par une musulmane…
Il semble ici que l’on a réussi à faire éclater en quelques semaines l’un des grands mythes dont se berce le Québec et qui veut que notre société soit une nation plus ouverte et plus tolérante que bien d’autres sociétés occidentales. Ce mythe s’ajoute à celui qui prétend que le Québec est un pays plus ouvert à l’environnementalisme, plus « vert », alors que l’on s’apprête pourtant à forer « proprement » Anticosti et le golfe du Saint-Laurent. Comme me le faisait remarquer avec humour une connaissance, notre mythe collectif touche aussi notre agriculture et nos gastronomie, nos « 300 fromages d’ici » ne faisant pas le poids devant les seuls 700 fromages du Wiscosin, produits au sud de la frontière chez les « incultes » Américains…
Et bien sûr, lorsque l’on s’attaque à ce mythe collectif que nous nous sommes créé, peut-être par besoin de se différencier autrement que par la langue et la culture des Canadiens ou des Américains, il s’en trouve pour temporiser ou minimiser, pour entretenir la flamme du mythe…
Une femme musulmane est insultée, prise à partie dans un centre commercial de Québec? Un cas isolé, bien entendu! Une mosquée est aspergée de sang de porc au Saguenay, la ville même du maire qui dénonçait ceux dont « on n’est même pas capable de prononcer le nom » ? L’œuvre d’un déséquilibré, il va de soi! Les centres de femmes dénotent une augmentation des plaintes de musulmanes qui se disent victimes d’intimidation? Rien à voir avec la conjoncture actuelle et le débat sur la Charte, allons donc! Un candidat à la mairie de Saint-Jean-sur-Richelieu, pourtant né au Québec, se fait apostrophé sur la base de ses origines arabes un peu trop « ostentatoires » ? Sans doute un épiphénomène. Toujours, l’étiquette du « cas isolé » sert à cataloguer les gestes qui dénotent une réalité bien concrète dans plusieurs régions : oui il existe un arrière-fond raciste ou xénophobe dans notre société, comme dans toute société humaine et, même si cette idée vient heurter de plein fouet notre propre conception d’un Québec idéalisé, dans lequel le racisme aurait été vaincu, il nous faut prendre acte de ces incidents et combattre cette intolérance larvée.
Les Québécois sont-ils plus « ouverts » que leurs voisins anglo-saxons ou leurs cousins Français? Peut-être que l’individualisme nord-américain, le « vivre et laisser vivre » nous en ont donné l’impression… L’on se targue souvent que le Québec a adopté, très tôt, le mariage entre conjoints de même sexe. Les homosexuels veulent se marier et adopter? Grand bien leur fasse! Vivre et laisser vivre… sauf lorsqu’on voit deux hommes s’embrasser dans la rue! Il faut visionner le récent reportage réalisé par La Presse sur les préjugés des Québécois pour s’en convaincre: cachez ce baiser qu’on ne saurait voir! Les musulmanes veulent porter le voile dans la rue, les Sikhs le turban et les Juifs la kippa? Encore et toujours, vivre et laisser vivre… Or « tolérer » ne veut pas dire accepter et il suffit que l’on propose une loi électoraliste faisant vibrer la corde sensible de l’identité pour que l’on réveille bien vite la suspicion et la peur de l’ « autre ».
Les Québécois ne sont ni plus racistes, ni plus « ouverts » que ne le sont la plupart des peuples occidentaux… Ils ont leur cheminement historique propre, une culture et une situation de minoritaires qui teintent leur vision du monde. Ce parcours historique, cette spécificité culturelle ne doivent cependant pas nous soustraire, collectivement, à la responsabilité de vigilance qui doit être la nôtre face à l’intolérance et à la xénophobie. Pour une société de petite taille, il s’agit d’un impératif pour ne pas subir les contrecoups du repli et de la peur qui étoufferaient notre débat public et qui distendraient les liens entre les Québécois de diverses origines. Notre démocratie et notre vie en société en dépendent. Pour y parvenir, il nous faudra cependant faire le deuil d’un certain Québec mythifié afin de confronter la réalité… Après tout, il s’agit peut-être là d’une conséquence inévitable pour une société mûre (enfin!) et qui, loin de se replier dans une vision fantasmée d’elle-même, se doit d’affronter avec aplomb les enjeux auxquels elle est confrontée.
Très belle réflexion.
Nice! Belle réflexion!
Voilà un texte curé qui met en scène des oppositions plus médiatique que réelle pour terminer par une morale est aussi utile que le sel à moins 50 !
Je pourrais reprendre la forme du texte sur le débat sur le réchauffement climatique, sur la langue, sur la peine de mort… et arriver avec le même type d’opposition et de conclusion.
Qui a intérêt à mettre en scène la polarisation des points de vue. Qui a l’intérêt de cadrer le débat dans une mise en marché du moraliseur du bon goût. Qui a l’intérêt de cristalliser le débat sur le voile et la condition des femmes comme si nos valeurs dans l’expression de notre laïcité pourraient se réduire à cette problématique. Peut-on questionner le processus d’identification à un signe religieux pour en faire un sujet de son identité? Est-ce que la liberté religieuse dans notre charte canadienne et québécoise permet le port de la burqa au travail? Le débat sur la charte et les stratégies des journaux ?
Hier soir à Radio-Canada diffusait à la TV que la société anglaise permet la burqa au travail et nous avions la confidence d’une anglaise convertie joyeuse que son pays lui permettait d’être soi-même. La journaliste en conclusion disait que la remise en question de la burqa ne se fera pas dans un avenir rapproché malgré que 60 % de la population soit contre !
Ce matin dans le journal la Presse, on nous informe que Londres veut devenir la capitale de la finance islamique.
Ce qui me choque le plus n’est pas l’expression d’une certaine intolérance, mais les tentatives de fermé le débat dans des ornières idéologiques bien précises sur la place de la femme dans la religion musulmane et dans la société et l’État québécois, par exemple !
Mais le mythe a pourtant son utilité… ne serait-ce que pour représenter un idéal à atteindre.
Qu’est-ce que vous préférez? Que les Québécois reconnaissent leur racisme, leur xénophobie, leur fermeture d’esprit… et s’en vantent?
Tout simplement, bravo!
Texte très apprécié, mais la question des « cas isolés » demeure problématique pour moi, dans ce cas comme dans tous les autres. Quand un cas cesse-t-il d’être isolé ou le simple fait d’une personne atypique? Richard Henry Bain: un fou certainement, qui ne représente personne ni rien d’autre que lui. Marc Lépine, en revanche, un symptôme (certes extrême) de la misogynie ambiante. Il me semble qu’on ajuste la réponse à sa guise. Un cas, dix cas de débordement xénophobe font ils une tendance? Il est sûr que cela survient à cause du débat sur la Charte, mais faut- il cesser de débattre d’une question parce que cela fait sortir des attitudes vraiment pas belles chez certains? Serions-nous encore capables, à ce tarif, de tenir un débat sur l’indépendance ou la législation linguistique ou l’avortement libre?
M. Brisson,
Votre texte est tout à fait dans l’air du temps de l’avis de la « bien-pensance » québécoise : aux Québécois de « s’adapter aux nouvelles réalités qu’impose la modernité ».
Malheureusement, l’adhésion, consciente ou non, naïve ou pas à la vulgate mondialiste vous assureront des lendemains amers. Le Québec est tout simplement le Québec et il n’a pas vocation première d’être béatement « ouvert sur le Monde » en devenant petit à petit semblable à la salle des pas-perdus d’un aéroport.
J’ai vu ce qu’est devenu (et ce que devient) l’Europe et en aucun cas je ne souhaite le même sort pour le Québec, ma seule patrie.
Mon analyse complète ici : http://minilien.fr/a0mege
Bien cordialement,
Alexandre Delorimier
Paris
Au Québec les mots perdent leur sens. Ainsi « Icone » et « Charisme » employés pour n’importe qui! Le mot féminisme, veut-il encore dire quelque chose quand des musulmanes porteuses du voile islamique, symbole de leur soumission et de leur infériorité vis à vis des hommes, se prétendent être « féministes »! Des intellectuels traitent de racistes et de xénophobes les Québécois qui sont pour l’interdiction du voile dans la fonction publique. Il semble qu’ils n’ont pas compris qu’ils sont les racistes car vouloir que ces femmes continuent de porter le voile trahit leur mépris pour les musulmanes. L’égalité pour les Européennes, les Américaines, les Canadiennes, les Québécoises. Mais ces femmes arabes ou africaines ont leur coutumes différentes de celles des pays occidentaux, elles ont l’habitude d’être soumises aux hommes. Puisqu’elles acceptent leurs conditions ancestrales, elles ont le droit de choisir.de porter le voile islamique. Moi, j’appelle cela du mépris car on sait tout ce que les femmes musulmanes ont à subir au nom de la tradition ou en vertu du coran, oeuvre d’un homme se prétendant investi d’un pouvoir divin. Nadine Magloire
Oui cette charte vise plutôt l’extérieur de Montréal mais aussi le 42% d’analphabètes au Québec qui a force le ministre a utiliser des pictogrammes très bien cibles,pour moi c’est la que le bat blesse le plus,
Il ne faut pas prendre les québécois pour des caves , je ne tiens pas a me faire dicter mes valeurs parce que ça frise la dictature. Cette charte qui devrait s’appeler « laïcité » a commencé par un coulage avec un très petit tirage du cordon du « cœur nationaliste »qui a dérapé pour finir avec une loi et encore des reculs de la part du gouvernement .je me rappellerai toujours la déclaration de Jean François Lisee pendant la campagne électorale sur l’immigration,dixit: Je préfère un français de Bordeaux à un chinois qui parle le Français.Ca puait le profilage racial … Il est aujourd’hui ministre de la grande région de Montréal ou justement vivent la majorité des immigrants du Québec. Dans le milieu journalistique on vante son intelligence et j’irais jusqu’à dire que ça frise la flagornerie … Ce
Je suis non seulement une immigrante mais aussi de la minorité visible. Je me sens très à l’aise avec le nationalisme québécois et complètement en accord avec la charte des valeurs québécoise ou laïcité, appelez comme vous voulez. J’ai choisi de vivre au Québec pas dans un pays musulman. Quoique pense l’intelligentsia d’ici les islamistes sont une menace pour la civilisation occidentale qu’ils souhaitent détruire pour la remplacer par les lois du coran. Certains pensent que le Québec et le Canada ne sont pas dans la mire des islamistes. Je me demande d’où leur vient cette naïveté. Les avancées que les islamistes font en Europe devraient les réveiller! NM