BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Maria Mourani, l’hérétique

Maria Mourani a renié aujourd’hui sa foi indépendantiste. J’utilise à dessein le mot « foi » puisqu’à lire les éructations des souverainistes qui circulent depuis quelques heures sur les médias sociaux, force est de constater que l’on a plutôt affaire à la réaction outrée d’une église politique qui s’indigne de l’apostasie de l’une de ses fidèles, plutôt qu’à l’analyse rationnelle et posée que devrait pourtant exiger un changement de positionnement politique aussi spectaculaire de la part d’une députée. « Trahison! », « bon débarras! », « trou du *** ! ». Autant de commentaires lancés à la volée par des fidèles qui condamnent avec violence l’hérésie, plutôt que de chercher à comprendre les motifs de ce retournement pour le moins drastique. Le mouvement souverainiste ressemble aujourd’hui à une église qui, plutôt que de chercher à comprendre pourquoi ses curés sont en train de défroquer, se conforte en durcissant l’esprit de ses dogmes.

Si pour certains l’indépendance nationale est une valeur en soi, voire même une vertu transcendant toute autre considération (sociale, économique, environnementale, etc.), plusieurs – et ils sont nombreux – en viennent au souverainisme au terme d’une longue démarche politique et intellectuelle. L’indépendance n’est pas, pour eux, un absolu indépassable, mais la solution la plus viable afin de surmonter le blocage de la fédération canadienne et d’assurer le développement social ou économique du Québec. Maria Mourani faisait probablement partie, comme des dizaines de milliers de Québécois, de cette catégorie d’indépendantistes. Vouloir aujourd’hui lui faire un procès d’intention sur ses convictions passées (a-t-elle seulement été indépendantiste, se demandent plusieurs), c’est faire fi du fait que depuis quelques années, l’option indépendantiste plafonne à 40% dans les sondages d’opinion et que, pour près de 60% de la population, non seulement l’indépendance nationale ne va pas de soi, mais qu’il faudra trouver les arguments économiques, politiques ou culturels afin de les amener à considérer l’indépendance comme le projet le plus viable pour l’avenir du Québec. Le pays d’abord, la gauche ou la droite ensuite? Ce n’est pas l’opinion d’une majorité de Québécois, n’en déplaise aux souverainistes les plus convaincus…

Le choix de Mourani est désolant et son analyse de la situation, sa conviction nouvelle que l’avenir du Québec peut s’inscrire au sein du Canada ne cadre pas, à mon avis, avec l’expérience confédérative telle que vécue par les Québécois ces 150 dernières années. Deux référendums plus tard, et après maintes rondes de négociations constitutionnelles, rien n’a vraiment changé. Or, cette défection d’aujourd’hui vient porter un dur coup non seulement au mouvement souverainiste, mais aussi à cette idée que l’indépendance finira par aboutir, au terme d’une évolution « naturelle », comme un fait inéluctable. Jean-François Lisée avait beau se convaincre lui-même récemment et affirmer que le Canada devenait de plus en plus « un corps étranger » pour les Québécois, il n’en demeure pas moins que depuis deux ans, les principales formations fédéralistes à Ottawa tiennent le haut du pavé dans les sondages d’opinion au Québec, alors que l’opinion souverainiste peine à dépasser la barre des 40%, et ce, depuis plusieurs années. Le combat politique pour l’indépendance se fera à force d’arguments, par une démonstration claire et solide des avantages de la souveraineté et non par des moyens détournés, par des débats qui visent à créer les conditions nécessaires non pas à la naissance d’un pays, mais à l’élection d’une majorité parlementaire…

Depuis la défaite électorale de 2007, le Parti Québécois s’est engagé dans une nouvelle offensive identitaire afin de regagner le terrain perdu aux mains de l’ADQ, au moment de la « crise » des accommodements raisonnables. L’on a donné de nouvelles lettres de noblesse au mot « nous », à grands coups de « nous autres » et d’exhortations à « mettre ses culottes ». La Charte des valeurs présentée cet automne n’est que l’aboutissement de cette démarche, entamée avec l’arrivée aux commandes du parti de Pauline Marois. Cette même offensive a cependant consacré la mise au rancard de l’échéancier référendaire, échéancier qui a depuis la fondation du PQ été le ciment, pour reprendre les mots de Jacques Parizeau, de cette coalition hétéroclite qu’est le mouvement souverainiste. En retirant l’imminence d’un nouveau référendum du jeu politique, l’on a dédouané de nombreux souverainistes, de droite comme de gauche, qui désormais donnent leurs suffrages à des partis (CAQ, QS, ON) qui représentent le mieux leur vision de la société, ou qui au contraire ont un échéancier référendaire beaucoup plus proactif que ne l’est celui du parti de Pauline Marois. La sortie de Maria Mourani s’inscrit dans ce même mouvement d’érosion du mouvement souverainiste, où une progressiste attachée aux droits individuels fondamentaux (et qui voyait dans l’idée d’indépendance un moyen de consacrer ces droits et cette vision), voit désormais dans la Charte – à tort ou a raison, c’est un autre débat – une anticipation funeste de ce que serait un Québec souverain, si jamais il devait naître.

Une fois que l’on aura fini de danser autour du bûcher élevé pour Maria Mourani, il conviendra aux indépendantistes de chercher à comprendre les causes de cette rupture politique et de procéder à une sérieuse introspection à propos des moyens politiques aujourd’hui employés par le PQ afin de faire avancer son option. Certains auront beau se dire « bon débarras! », il n’en demeure pas moins que le camp souverainiste a perdu aujourd’hui une porte-parole importante et que, bien loin de rallier et de convaincre de nouveaux convertis, la stratégie avancée depuis quelques mois ne fait que concrétiser le morcellement d’un mouvement qui peine à retrouver une certaine cohérence et une unité, fusse-t-elle de façade. Si l’église souverainiste tient toujours dans le paysage politique québécois, ses bancs continuent de se vider, peu à peu…