BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Noël : le plus grand des récits

« Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : ‘’Où est le roi des Juifs qui vient de naître?’’ … ils se mirent en route; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eu jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. À la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie. Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.» (Matt. 2, 1-12)

 

L’histoire est bien connue et nous est relatée (en deux versions différentes et contradictoires) dans les évangiles de Luc et de Matthieu, alors que Marc et Jean la passent complètement sous silence. Sous le règne d’Auguste, en Galilée, serait né un enfant dont des présages miraculeux avaient annoncé la naissance. L’immaculée conception, le massacre des innocents (qui ne repose sur aucune base archéologique), la fuite en Égypte… une histoire épique et fabuleuse, comportant son lot de ressuscités et d’épisodes miraculeux et qui trouvera son dénouement trente ans plus tard dans un procès retentissant, lorsque l’enfant miraculeux trouvera la mort sur une croix pour la rémission des péchés de l’humanité. Tout un programme! Et toute une histoire qui puise à la source des traditions littéraires et religieuses du Proche-Orient d’où elle est sortie, pour fabriquer de toute pièce le récit d’un homme-dieu (qui est à la fois fils, mais aussi son propre père… m’enfin, si vous ne comprenez pas, c’est normal!) qui aura influencé la naissance du plus important mouvement religieux de l’histoire.

 

Jésus, représenté sous les traits du dieu Apollon-Hélios, sur son quadrige solaire. Comme le rappelle l'historien Henri-Irénée Marrou, " le Christ n'était-il pas appelé, par les Prophètes et l'Évangile, Soleil de Justice, Soleil levant, Lumière du monde?" ("Décadence romaine ou antiquité tardive?", Seuil, 1977)
Jésus, représenté sous les traits du dieu Apollon-Hélios, sur son quadrige solaire, dans la nécropole de la basilique constantinienne de Saint-Pierre au Vatican. Comme le rappelle l’historien Henri-Irénée Marrou, « le Christ n’était-il pas appelé, par les Prophètes et l’Évangile, Soleil de Justice, Soleil levant, Lumière du monde? » (Décadence romaine ou Antiquité tardive?, Seuil, 1977)

La fête qui sera célébrée ce soir par des milliards de personnes de par le monde est la lointaine héritière des fêtes romaines des Saturnales et des célébrations entourant, au solstice d’hiver de décembre, la figure du dieu Sol Invictus. Le Soleil invaincu, le protecteur tutélaire des dirigeants romains depuis l’empereur Aurélien (c. 214-275), avait acquis une prépondérance certaine sur tout le panthéon des dieux gréco-romains qui s’acheminait peu à peu, aux IIIe et IVe siècles, vers une certaine forme de monothéisme, mutation religieuse sur laquelle s’appuya le christianisme afin de jeter les bases de sa nouvelle foi. À partir du solstice d’hiver, plus courte journée de l’année avoisinant la date du 25 décembre, le soleil reprenait sa course victorieuse, les journées se prolongeant peu à peu jusqu’au solstice d’été. Ce tournant dans l’année était célébré, tant dans le monde gréco-romain que chez les Barbares, qui nous ont d’ailleurs légué la tradition originale de décorer des conifères. Pas surprenant alors, dans ce contexte de profondes mutations religieuses, que l’on puisse encore admirer dans de nombreuses ruines antiques, et même dans les premières églises romaines, des fresques représentant Jésus sous les traits du dieu Apollon-Hélios, divinité solaire par excellence des anciens polythéistes… Encore aujourd’hui, c’est une espèce de polythéisme christianisé que l’on professe, avec tous ses saints et saintes qui sont autant de semi-divinités et son cortège d’être fabuleux, anges, archanges et démons.

Qu’importe si cette histoire de nativité ne tient pas debout, si les évangiles qui nous la relatent se contredisent eux-mêmes ou si aucune preuve historique ne peut venir l’étayer, encore aujourd’hui. La valeur du symbole d’humilité, d’amour et de partage est plus importante. Les croyants ont leur fête, grand bien leur fasse. Les athées dont je suis peuvent quant à eux profiter de ce moment de repos et de réflexion, de festivités et de partage (qui me parle de l’achalandage commercial?), afin de réfléchir sur le sens de l’aventure humaine et sur la puissance des mythes fondateurs. Cette histoire de naissance miraculeuse nous rappelle que l’imagination humaine ne connaît pas de limites et qu’elle est capable de bâtir les plus magnifiques édifices littéraires, qui en appellent à notre sens de l’humanité et qui peuvent faire s’incliner des rois et des peuples devant un enfant naissant, blotti au creux d’une mangeoire. Un mythe qui a donné naissance aux grandes cathédrales européennes, dont les cimes effleurent presque les nuages et qui aura inspiré le génie des plus grands noms de la Renaissance italienne, de Michelangelo à Leornado Da Vinci. Qui ne peut ressentir une certaine humilité, un certain sens du « divin » en écoutant les œuvres de Handel ou de Bach? Échouer à recueillir cet héritage et commémorer cette histoire, c’est se priver de la connaissance et des clés d’accès à 2000 ans de production artistique humaine. C’est donner un sens et du relief historique à tous ces tableaux, ces fresques, ces oratorios qui nous racontent la naissance improbable d’un jeune Juif, à Bethléem. Fêter Noël, c’est se poser en héritier de cette riche tradition humaine et culturelle qui remonte à l’Antiquité, mais aussi apprivoiser les plus belles réalisations artistiques et techniques de l’homme. Il me semble qu’il s’agit là d’une excellente raison pour les esthètes et les gourmets, qui n’ont pas besoin d’un dieu omniscient et omnipotent au-dessus d’eux, de s’émerveiller malgré tout et de faire bombance…

Joyeux Noël!