BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

La démocratie avant la cause

Je suis souverainiste : je souhaite que le Québec devienne, plus tôt que tard, un pays souverain. Je le suis depuis mon adolescence et le serai probablement toute ma vie. En ce sens, le souverainiste que je suis ne peut qu’accueillir favorablement la candidature de Pierre-Karl Péladeau, magnat de la presse québécoise à la tête d’un véritable empire de la télévision et de l’imprimé, dont l’aura ne peut qu’être bénéfique au projet de faire accéder le Québec à son indépendance. Le démocrate en moi, cependant, se pose des questions et ne peut qu’être inquiet de concentration future de pouvoirs entre les mains d’une seule et même personne : le pouvoir d’influencer – même involontairement – l’opinion publique, par son empire médiatique et le pouvoir politique exécutif, par son entrée probable à la table du conseil des ministres.

 

Depuis deux jours, les militants et ténors du camp souverainiste se sont succédés sur la place publique afin de défendre la candidature de Péladeau. « C’est un homme d’affaires qui a du succès! »; « Il ne peut pas vendre : il faut conserver le siège social de Quebecor au Québec! »; « Sa candidature est la meilleure chose qui puisse arriver au mouvement souverainiste! ». À tous ces commentaires, nous répondrions : soit! Mais encore? Toutes ces interventions, qui ne visent au fond qu’à détourner la question en faisant vibrer la corde sensible du nationalisme, n’ont que peu de pertinence dans le débat qui a cours. Personne ne remet en cause la valeur personnelle de Pierre-Karl Péladeau et sans nul doute son expertise serait-elle pertinente, d’un point de vue économique, pour le gouvernement de Pauline Marois. Tenons-nous loin du débat entre la gauche et la droite : il y a de cela bien des années que la gauche québécoise – et j’en suis – a abandonné l’idée de voir un jour le PQ mettre à nouveau de l’avant un agenda résolument progressiste. Là n’est pas la question.

 

Le nationalisme, qu’il soit politique ou économique, ne devrait en aucun cas être le prisme par lequel nous analysons aujourd’hui la candidature de Péladeau. Que l’on soit au Québec ou à l’étranger – et a fortiori dans une petite société comme la nôtre – peut-on considérer éthique, démocratiquement valable, que le plus grand magnat de la presse écrite et télévisuelle intègre le gouvernement en conservant les parts de son entreprise ? Peut-on nous assurer, au-delà de tout doute raisonnable, qu’advenant le cas où ses actions seraient placées entre les mains d’une fiducie sans droit de regard, son ombre, son influence ou la possibilité de son retour aux affaires n’influenceront en rien la conduite ou la couverture des médias de Quebecor ? Il s’agit là des seules et uniques considérations qui devraient animer le débat public. Point à la ligne. Que le cabinet de madame Marois ait échoué à prévoir une réponse crédible et complète sur cet enjeu est en soi troublant.

 

Ce n’est pas une question de libération nationale, encore moins un souci de « conserver nos sièges sociaux ». Il s’agit, purement et simplement, d’une question de santé démocratique. Les souverainistes, trop excités par l’importance de la candidature de Péladeau, en ont oublié de se questionner sur le sens éthique, voire même moral, du geste qu’ils posaient. Qu’on le veuille ou non, Péladeau n’est pas un citoyen comme les autres, pas plus qu’il ne serait un ministre comme les autres. À un moment où l’on se questionne collectivement sur les liens entre le milieu des affaires et les partis politiques, la candidature d’un magnat de la presse dont l’entreprise compte, parmi ses actionnaires, la Caisse de dépôt et de placement, peut soulever des interrogations légitimes. La noblesse de la cause de l’indépendance ne justifie en rien tous les coups ou tous les arrangements pris avec l’éthique politique. C’est bien parce que la cause est grande que ceux qui la portent doivent se montrer au-dessus de tout soupçon.

 

Le Parti Québécois n’a toujours pas répondu aux questions légitimes soulevées par la candidature de son nouveau porte-étendard. Le temps presse. Si les souverainistes ne peuvent que se réjouir de l’addition de ces nouvelles forces au sein de leur mouvement, les démocrates, eux, ont raison de soulever, sans préjuger de l’indépendance future des médias de Quebecor, des questions à propos de cette nouvelle candidature. Pauline Marois et Pierre-Karl Péladeau doivent vite dissiper tous les doutes qui s’accumulent. À tout prendre, la démocratie devra toujours primer sur la cause…