BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Osons tourner la page du bipartisme

S’il faut en croire les récents sondages d’opinion colligés tout au long de cette campagne électorale, le Québec risque fort de se réveiller avec un gouvernement libéral à sa tête mardi le 8 avril prochain. À défaut d’avoir su convaincre la population grâce à leur seul programme, les troupes péquistes semblent se lancer ces jours-ci dans une campagne tous azimuts afin d’en appeler à « l’unité » et au « vote stratégique », dans l’espoir d’enrayer une glissade qui risque de leur coûter de nombreux sièges, notamment sur l’île de Montréal où la candidate solidaire Manon Massé a de bonnes chances d’enfin faire son entrée à l’Assemblée nationale.

 

Il est fort à parier également que la campagne de victimisation dirigée vers l’électorat de gauche redoublera d’ardeur ces prochaines heures : « Vous allez faire passer les libéraux! », « On va retourner 18 mois en arrière! », « Je ne peux pas croire que les Québécois vont réélire le PLQ! », « Les Québécois ne comprennent rien! ». Ces éructations vous sont sans doute déjà familières, si vous trainez quelque peu sur l’agora politique du Web québécois. Ce que l’on oublie cependant de souligner, au travers de tous ces appels du pied partisans, c’est que la très vaste majorité des Québécois voteront contre les libéraux de Philippe Couillard le 7 avril, dans une proportion de près de 60% selon le dernier coup de sonde. Si nous devions appliquer un peu plus de proportionnalité dans notre mode de scrutin, il est fort à parier que non seulement les troupes de Philippe Couillard resteraient sur les banquettes de l’opposition, mais que les partis représentant la vraie majorité nationale pourraient s’entendre afin de constituer un gouvernement de coalition plus représentatif des choix réels de la population. Or, personne parmi ces militants péquistes paniqués ne se questionne publiquement sur l’opportunité de réformer, après des décennies de débats, notre mode de scrutin archaïque qui permet à un parti de récolter une majorité de sièges avec une minorité de suffrages.

 

Cette réforme, que de nombreux observateurs et petits partis politiques appellent de leurs vœux, a constamment été repoussée ou abandonnée au feuilleton, les principales formations politiques étant trop heureuses de maintenir un système qui les avait si bien servies par le passé. Cette réforme figurait notamment dans le programme du Parti Québécois de René Lévesque dès le début des années 70 et quarante ans plus tard, alors que ses militants lancent des appels à l’aide aux électeurs de gauche, elle n’a toujours pas été mise en œuvre. Combien d’élections – de décennies ? – les électeurs soucieux de rendre notre représentation nationale plus juste, plus équilibrée, devront-ils attendre afin de voir leur souhait exaucé? Pour plusieurs, dont je suis, la résignation qui consistait à signer des chèques en blanc électoraux au « moins pire » des deux vieux partis est belle et bien terminée. Si le passé est garant de l’avenir, pourquoi continuer d’espérer en des formations qui ont si souvent favorisé leurs intérêts partisans au détriment de l’intérêt public ?

 

Soit! Que les libéraux reviennent au pouvoir! Lorsque nous aurons tous mesuré l’absurdité de ce résultat et la non-représentativité de notre Assemblée nationale, peut-être, las, nous résoudrons-nous enfin à rénover l’édifice de notre démocratie qui n’en finit plus de se craqueler. Nous avions espoir que le printemps de 2012 offre cette impulsion de renouveau à nos institutions et au débat public, alors que certains politiciens se sont fait forts de la porter et de l’incarner, carrés rouges et casseroles en prime. La déception est aujourd’hui à la hauteur des attentes suscitées. Il faudra peut-être que l’hiver dure encore un peu avant que le printemps ne vienne réellement réchauffer notre désir de réinvestir l’espace public et de se remettre à rêver, collectivement, à un nouveau projet de société… Force est de constater qu’aucune des deux grandes formations de gouvernement ne nous a offert de réel projet, ne nous a dessiné un horizon de développement dépassant la seule gestion technocratique et managériale à la petite semaine. Les deux « tiers » partis de cette campagne, que ce soit à gauche (QS et sa vision sociale et environnementale assumée) ou à droite (la CAQ et son projet intégrateur du « Plan Saint-Laurent »), ont quant à eux été les seuls à offrir un projet concret et structurant aux Québécois. Pour ma part, comme plusieurs, j’ai décidé de « voter avec ma tête » afin d’offrir, sinon un siège, du moins une meilleure part de financement, à un parti qui a fait de la solidarité une pierre d’assise de son action et qui considère encore que la politique, c’est aussi – et surtout! – assumer un idéal de société de façon claire et honnête, plutôt que de se dépêcher à le cacher sous le tapis en se contentant d’attendre que les citoyens ne « soient prêts » à l’assumer.

 

Le bipartisme, dans lequel les « rouges » et les « bleus » s’échangent le pouvoir depuis des décennies (avec son lot de déceptions et d’histoires de corruption) doit se terminer et il s’agit d’un signe de maturité politique – ou du moins de désir de renouveau – que plus de 30% des électeurs choisissent de confier leurs voix à des partis n’ayant jamais assumé le pouvoir. Lorsque nous sortirons collectivement du confort de nos vieilles habitudes, lorsque nous refuserons de voter pour le « moins pire » des partis pour plutôt voter pour la formation la plus inspirante, peut-être alors le Québec pourra recommencer à avancer. Nous en sommes peut-être plus près que nous ne l’avons jamais été…