BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Ti-Mé, les Dragons et autres niaiseries…

Le couperet est récemment tombé – encore une fois – sur Radio-Canada, la société d’État se voyant contrainte, face au désengagement du gouvernement fédéral et à la baisse des revenus publicitaires (dont elle dépend de facto de plus en plus), de sabrer dans ses effectifs et dans son service d’information. Il y a bien une crise dans la vénérable institution : des émissions sont retirées de la grille horaire radiophonique, certaines ne reviendront tout simplement pas et de nombreux animateurs et journalistes tirent, sans trop de succès, la sonnette d’alarme : le service public et l’accès à une information diversifiée et de qualité sont menacés. Dans un geste sans précédent, les principales têtes d’affiche de la SRC, animateurs et journalistes vedettes, se sont présentées sur le plateau de Guy A. Lepage afin de dénoncer une situation de plus en plus intenable et qui risque, à court ou moyen terme, de changer profondément le paysage culturel québécois et celui du Canada français.

Or, au moment où sa survie même est peut-être comprise, au moment où de nombreux journalistes, employés, artisans des médias se voient remerciés ou désespèrent de savoir s’ils pourront continuer à œuvrer à la société d’État, voilà que l’on annonçait il y a quelques jours que Claude Meunier, alias Ti-Mé Paré, serait à la barre d’une émission de variétés à l’automne prochain. Voici donc la réponse de la direction de la SRC à ceux qui désespèrent de la voir revenir, un tant soit peu, à sa mission fondamentale : rien n’est assuré pour nos journalistes ou nos artisans, rien ne garantit que l’on pourra continuer à vous informer adéquatement en dehors des grands centres mais… au moins vous pourrez rire avec Claude Meunier! Quelle farce grotesque.

Il y a déjà quelques temps que l’on peine à discerner un peu de bon sens au sommet de la tour de la SRC. L’on a d’abord eu droit à cette campagne de « rebranding » ratée aux relents hipsters, où l’on se proposait de changer le nom de Radio-Canada pour le seul « Ici »– ce qui au demeurant ne veut absolument rien dire – pour ensuite aboutir à conserver et alourdir l’ancienne dénomination du service français de la société d’État, en l’appelant désormais « Ici Radio-Canada ». Coût de l’opération? Vous ne voulez pas vraiment le savoir…  Tout cela alors que l’on continue d’alourdir la programmation d’émissions dont on peine à concevoir qu’elles puissent être jugées dignes d’intérêt pour un service public : les Dragons millionnaires et leur concours de chaussettes colorées; Gérard D. Laflaque; « C’est ma toune! » et ses animateurs (trop) parfaits qui devient le Xième rendez-vous musical de la télé québécoise; « Le choc des générations » et ses invités hyperactifs qui suent autant qu’ils chantent… Bref! N’en rajoutez plus, la cour est pleine! Pas assez pleine, visiblement, puisqu’il y avait encore un peu de place pour un comédien affublé d’une fausse barbe et trainant des sacs poubelle, dont on espère sans doute la manne au niveau des cotes d’écoute, mais dont les derniers projets télévisuels ont été – et c’est un euphémisme que de le dire – plus que décevants. Qui se souvient de « Détect.inc. » ou de « Adam et Ève » ?

 

Si Radio-Canada espère sortir de la tempête au travers de laquelle elle navigue depuis quelques années, ce n’est pas en se banalisant et en se confondant dans la masse des télés généralistes qu’elle y parviendra, mais en revenant – malgré ses moyens actuels – à sa mission fondamentale de service public : diversifier l’information, assurer un journalisme d’enquête de qualité (qui aujourd’hui n’est pas à même de constater l’impact des Alain Gravel de ce monde sur le milieu politique?), servir de vitrine à la scène artistique québécoise et proposer une programmation d’émissions dont le caractère pédagogique est solide et éprouvé. C’est en prouvant qu’elle est capable de jouer un rôle citoyen important, en proposant des émissions et des documentaires variés qui se penchent sur ce qui peut nous permettre d’élever un tant soit peu notre pensée et de nourrir notre vision du monde, que Radio-Canada pourra assurer sa place au sein de l’univers télévisuel et radiophonique québécois et canadien. Si elle peut, certes, proposer certaines émissions plus légères, des comédies ou des téléromans grand public, l’équilibre ne doit pas être rompu entre la volonté de divertir et le devoir d’informer. Où, ailleurs qu’à Radio-Canada, pourrons-nous trouver des magazines littéraires, des émissions se penchant sur le fait religieux dans toute sa diversité, ou encore sur le monde agroalimentaire et ses défis actuels? Loin des quiz débilitants et des émissions de variétés qui se partagent, encore et toujours, les mêmes personnalités qui racontent les mêmes banalités, la société d’État doit redevenir à ses racines si elle espère perdurer, et ce, malgré Ti-Mé Paré.