BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Philippe Couillard, ou la renonciation tranquille

Les mots ont été prononcés au détour d’une phrase, dans un discours livré lors d’une cérémonie tenue hier en l’honneur de Georges-Étienne Cartier. Avec une étonnante désinvolture, le premier ministre Couillard a rompu avec la position qui a été celle de tous les premiers ministres québécois depuis René Lévesque : «La construction d’un pays n’est jamais terminée. (…) À l’aube du 150e anniversaire du Canada, les Québécois souhaitent que le pacte qui lui a donné naissance soit réaffirmé.» Que ce soit là qu’une simple posture rhétorique ou l’expression d’une réelle volonté politique, le premier ministre vient de franchir un pas que personne n’avait franchi avant lui : exprimer sa volonté de ratifier la Constitution de 1982 sans, au préalable, énoncer les conditions minimales qui permettraient au Québec de normaliser ses relations avec le reste de la fédération.

Quel mandat ?

 

Or, on pourrait également se demander de quelle volonté le premier ministre parle-t-il lorsqu’il affirme avec sérieux que les Québécois « souhaitent » réaffirmer le pacte fédératif canadien, pacte qui n’a jamais été autre chose qu’une fiction politique basée sur l’idée d’une union entre deux peuples « fondateurs ». Une idée qui, faut-il le rappeler, n’est nullement partagée à l’extérieur des frontières du Québec. Le Québec sort tout juste d’une élection générale, tenue au printemps dernier, élection durant laquelle les libéraux de Philippe Couillard ont clamé sur tous les toits que les Québécois avaient autre chose à faire que de s’occuper des « chicanes » du passé et de rouvrir le débat constitutionnel. Les Québécois veulent – et c’était là la certitude de Couillard – que l’on s’occupe des « vraies affaires » : l’économie et la création d’emplois. Non seulement le premier ministre n’a-t-il jamais obtenu de mandat clair de la part de l’électorat pour rouvrir des négociations constitutionnelles ; il a lui-même évacué ce sujet de la campagne électorale, le reléguant au rang de vaine querelle entretenue par le PQ.

 

«La véritable priorité des gens est l’économie et l’emploi.  Il n’y a personne au Québec qui veut voir leur premier ministre passer 80% de son temps à s’occuper de Constitution. Ils veulent qu’il passe 95% de son temps à créer de l’emploi et d’économie».  – Philippe Couillard, 15 mars 2014

 

L’homme des beaux risques

 

Le premier ministre Couillard devrait se rappeler des conditions posées par Québec, notamment lors de l'Accord du Lac Meech.
Le premier ministre Couillard devrait se rappeler des conditions posées par Québec, notamment lors de l’Accord du Lac Meech. Source: L’Actualité, en ligne, 2010

On soulignait cette semaine le trentième anniversaire de l’élection du premier gouvernement de Brian Mulroney, élection historique qui avait vu l’arrivée de plus de deux-cent députés progressistes-conservateurs à la Chambre des communes. Cet épisode de l’histoire politique canadienne est d’ailleurs relaté dans l’ouvrage du journaliste Guy Gendron, Brian Mulroney : L’homme des beaux risques, qui nous donne à penser que le plus grand drame de la vie politique de l’ancien premier ministre est sans doute de ne jamais avoir réussi à réintégrer son propre peuple sur un pied d’égalité au sein de la Fédération et ainsi, de ne pas être devenu, dans les faits, le réel père du Canada moderne.

Cette élection de 1984 avait ouvert de nouvelles possibilités pour le Québec et avait mené, à terme, à la conclusion de l’Accord du lac Meech qui devait réintégrer le Québec dans la Constitution, dans « l’honneur et l’enthousiasme ». Mais la province que l’on voulait réintégrer n’était pas une province à genoux et les conditions posées par Québec, notamment sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa, étaient claires : reconnaissance de la « société distincte », nomination de trois juges à la Cour suprême, droit de retrait des programmes fédéraux avec compensation, veto constitutionnel du Québec, etc. Jamais aucun premier ministre, fédéraliste ou souverainiste, n’a osé relancé par la suite le débat sans d’abord revenir à ces conditions « minimales ». Philippe Couillard, à défaut d’avoir sollicité au printemps dernier un mandat politique clair de la population sur cette question, se doit de clarifier sa position : reviendra-t-il aux conditions historiques du Québec pour réintégrer la Constitution et est-ce qu’il entend soumettre cet enjeu aux suffrages des citoyens ? De deux choses l’une : soit le premier ministre ne mesure pas la portée de ses paroles et fait preuve d’une trop grande insouciance sur un enjeu aussi fondamental, soit il est sérieux sur son engagement et compte réintégrer, dans les faits, la Constitution. Or, cette volonté de Couillard risque d’ouvrir – malgré le désintérêt de Stephen Harper – une nouvelle page dans l’histoire constitutionnelle du pays : une nouvelle page marquée par le retour du Québec au rang de « province comme les autres », la page de la renonciation tranquille. Si la volonté de Couillard est réelle, le débat ne fait alors que commencer…