BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

L’esprit de cour

« Je ne veux pas laisser de côté un point important et une erreur dont les princes se défendent difficilement, s’ils ne sont pas très sages ou s’ils ne savent pas faire le bon choix. Ce sont les flatteurs, dont les cours sont pleines. Car les hommes se complaisent tant à leurs propres choses et s’y trompent à tel point qu’ils se défendent difficilement de cette peste, et à vouloir s’en défendre on court le risque de devenir méprisable. Car il n’y a pas d’autre manière de se garder des flatteries, si ce n’est que les gens sachent que l’on ne vous offense pas en vous disant la vérité… » – Machiavel, Le Prince, XXIII

 

Réunis en Conseil national des présidents d’associations cette fin de semaine, les militants du Parti Québécois ont entériné les règles devant encadrer la désignation de leur prochain chef, dont on devrait connaître le nom au printemps de 2015. Rejetant l’idée de primaires ouvertes à l’ensemble de la population sur le modèle de nombreux partis européens, et fixant la caution devant accompagner le dépôt d’une candidature à 20 000$, les péquistes semblent avoir fait le pari de restreindre l’accès à la course pour la réserver qu’aux seuls apparatchiks en mesure d’aligner l’argent et les appuis nécessaires pour se lancer à la conquête du parti. Est-ce que cela se fera au détriment du débat d’idées? Seul le temps le dira. Cependant, ce qui a attiré l’attention hier dans les corridors du rassemblement péquiste, c’est la passe d’armes à laquelle se sont livrés, par députés interposés, Jean-François Lisée et Pierre-Karl Péladeau au sujet des actifs que possèdent toujours ce dernier au sein de l’empire Québecor.

 

Rejetant l’idée de se départir des actions de son entreprise médiatique, Péladeau a pu compter sur l’appui tacite ou clairement affiché de bon nombre de leaders péquistes qui n’ont pas manqué de rabrouer l’ex-ministre des Relations internationales, le syndicaliste Marc Laviolette y allant même d’une déclaration complètement surréaliste : «Au Parti québécois, on n’a pas à être plus catholique que le pape !». Après tout, nous dit-il, pourquoi se fixer de hauts standards éthiques et politiques si d’autres ne le font pas ? Après pareille déclaration, on se demandera pourquoi la population a perdu depuis longtemps confiance envers ses élu(e)s… Le président du parti, Raymond Archambault, dont le charisme n’a d’égal que le manque de relief politique, a quant à lui éludé la question en appelant les belligérants à attendre le début « officiel » de la course à la chefferie, alors que personne n’ignore que celle-ci est bien lancée depuis des semaines déjà au sein du caucus des député(e)s. Le député Pascal Bérubé, qui s’imagine sans doute déjà ministre d’un premier gouvernement Péladeau, a quant à lui demandé à ce que son collègue Lisée choisisse entre la carrière de « commentateur politique » ou de « membre de l’équipe [péquiste] », tandis que Bernard Drainville appelait à ce que les différents candidats en lice « se ménagent ».

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Devant pareil étalage de malaises et de déclarations alambiquées, on serait en droit de se demander si, dans l’espoir de faire élire un nouveau sauveur politique qui, pour le moment, semble recueillir un certain appui populaire, les membres du Parti Québécois ne sont pas tout bonnement en train de brader les idéaux politiques et démocratiques qui devraient pourtant être portés par leur formation politique. Malgré la bonne foi des individus en cause, un fait demeure : on ne peut accepter, dans une société libre et démocratique, qu’un chef politique puisse à la fois aspirer à gouverner – et donc être confronté à la critique et se soumettre à l’analyse de la presse – et posséder, en même temps, plus de la moitié des médias imprimés et télédiffusés de son pays. Les péquistes qui ont longtemps critiqué le pouvoir présumé de la famille Desmarais sur les médias considérés « fédéralistes » devraient se garder de s’abaisser au même niveau éthique qu’ils jugent être celui de leurs adversaires. Cette évidence est tellement criante que l’on ne peut que mettre sur le compte de la flatterie, de l’esprit de cour, de la flagornerie la plus crasse les arguments avancés par les défenseurs de circonstance de Pierre-Karl Péladeau.

 

Or, les militants et député(e)s péquistes auraient tout intérêt à se rappeler quelques points essentiels. D’abord, que Pierre-Karl Péladeau n’est pas encore assis dans le fauteuil du Premier ministre du Québec et, si présentement son étoile brille toujours dans les sondages d’opinion, sa fortune politique – chose éphémère s’il en est une – a le temps de tourner durant les trois années qui nous séparent du prochain scrutin. Sa popularité ne repose présentement que sur son image médiatique, alors qu’il n’a pas encore réussi à articuler les idées, à esquisser les grandes lignes de ce que pourrait être l’action politique d’un gouvernement qu’il dirigerait. S’il a récusé les politiques d’austérité du gouvernement Couillard, la maladresse avec laquelle il s’est récemment livré aux questions de Gérard Fillion sur le plateau de RDI, son incapacité à répondre à une question économique aussi simple que « Doit-on repousser l’atteinte du déficit 0 ? », devrait pourtant allumer quelques voyants rouges chez des militants politiques d’expérience. Enfin, les péquistes auraient tout intérêt à se rappeler qu’après une défaite électorale aussi cinglante que celle du printemps dernier, leur priorité ne devrait pas être de se trouver un nouveau chef charismatique à même de les reporter au pouvoir, mais bien de rebâtir les assises politiques et intellectuelles de leur parti, comme le rappelait hier le professeur Gérard Bouchard.

 

Le seul moyen pour le Parti Québécois de revenir un grand parti de gouvernement, une grande formation populaire, c’est de revenir aux racines progressistes et au nationalisme d’ouverture qui ont longtemps animé son action. Le seul moyen de prouver à une population de plus en plus sceptique que le PQ mérite de reprendre le pouvoir, c’est de se montrer à la hauteur des idéaux démocratiques qui doivent être ceux d’une société entrée de plein pied dans le XXIe siècle. Une société qui, à l’ère des grands médias de masse, doit pouvoir réaffirmer l’indépendance du monde de la presse face au pouvoir politique. Le cas de Pierre-Karl Péladeau et de son empire médiatique sera, à ce chapitre, un reality check crucial pour le PQ. Se complaire dans l’esprit de cour, échouer à relever le test de la vérité et de l’éthique reviendrait peut-être à condamner pour de bon le parti de René Lévesque… Mais alors, qui s’en plaindra ?