Nous n’avons pas encore terminé de mesurer toute l’importance des sordides évènements qui se sont déroulés hier matin à Paris, alors que l’on pleure encore la mort atroce des membres de l’équipe de rédaction de Charlie Hebdo et des policiers qui étaient chargés d’assurer leur protection. Au-delà des appels à l’unité nationale et à la solidarité surnagent déjà, au-dessus des discours officiels et des appels à la raison, la voix des ténors de la droite et de l’extrême droite française pour qui ces évènements représentent, en somme, la « preuve » flagrante des théories complotistes et civilisationnelles qui constituent le sel de leur discours depuis tant d’années. Voilà donc enfin, pour eux, l’illustration de l’échec d’un modèle, le progressisme et le « multiculturalisme » conduisant inévitablement la France, à leurs yeux, dans un long déclin politique et culturel.
Ce matin sur les ondes de RTL, l’essayiste Éric Zemmour y allait d’une analyse sommaire : « On ne parle pas de guerre pour la liberté d’expression, mais de guerre tout court, avec des ennemis intérieurs! », avant de lâcher : « Nous avons oublié que la France a toujours été le pays des guerres civiles et des guerres de religion. » L’auteur polémiste en a profité, au passage, pour ressasser sa marotte habituelle anti-soixante-huitarde, dénonçant l’indolence d’une génération pour qui « l’autre devenait un pote, jusqu’à la haine de soi ». Soulignons déjà l’utilisation insidieuse de ces termes, « l’autre », « l’ennemi intérieur », pour décrire des hommes qui sont pourtant passés, on le présume, par l’école de la République… La présidente du Front national se questionnait ouvertement, quant à elle, sur l’opportunité de retourner devant le peuple dans un référendum consultatif sur… la peine de mort!
Pauvre France qui devra se frayer un chemin au travers de la fange des discours rancuniers et des amalgames racistes, à un moment de son histoire où l’édifice politique de la Ve République n’a jamais paru aussi fragile, avec à sa tête un monarque-président qui a perdu toute sa majesté et qui peine aujourd’hui à dépasser la barre des 15% d’opinions favorables dans les enquêtes d’opinion. Au moment où le pays, touché par des actes d’une barbarie infinie, a besoin d’un leadership fort pour maintenir le cap et rappeler les valeurs humanistes et fraternelles sur lesquelles la France moderne fut fondée, voilà que l’on se retrouve avec un capitaine qui est, de fait, le plus impopulaire de l’histoire politique récente. De deux choses l’une : ou François Hollande se révèlera au travers de cette crise sans précédent et retrouvera une stature qui lui fait cruellement défaut, ou au contraire, la faiblesse du pouvoir politique fera le lit de tous les conservatismes et de tous les extrémismes.
On rapportait ce matin que de nombreuses mosquées ont été la cible d’actes de vandalisme, une bombe explosant même en avant-midi devant un restaurant kebab situé à quelques pas d’un lieu de culte musulman. Au-delà des pouvoirs politiques qui doivent malgré tout tenter de maintenir l’unité fragile d’un pays endeuillé, il revient désormais aux intellectuels et aux médias de traquer l’extrémisme et le racisme, quel que soit son visage, et on oserait même dire, sa confession. Un extrémisme qui, loin des coups d’éclats spectaculaires, peut aussi prendre une forme beaucoup plus insidieuse et même un visage « officiel », celui d’un chroniqueur ou d’une cheffe de parti, à qui l’on tend beaucoup plus facilement le micro alors que l’on a des bulletins spéciaux en continu et des pages d’opinions à remplir. C’est précisément dans les moments de crise que le devoir de vigilance est le plus grand, que notre conscience humaniste et fraternelle doit se durcir et s’imposer, au risque de voir la haine et les préjugés se travestir en défenseurs des idéaux les plus grands. C’est le devoir de cette pauvre France…
Pauvre France en effet mais je doute que vous vous rendiez bien compte de ce qui s’y passe. Pour résumer, on nous greffe une nouvelle tête sans même nous demander notre avis. Cela vous paraît il justifier que nous sautions de joie en criant encore, encore?