Le général de Gaulle est revenu de son voyage écourté en sol canadien en 1967 avec la conviction intime que son pays devait aider le Québec à parler de sa propre voix, tant dans l’ensemble fédératif canadien – qu’il souhaitait voir rééquilibrer à l’avantage du Québec – que sur la scène internationale. En lançant son « Vive le Québec libre! » du haut du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, de Gaulle avait en quelque sorte l’impression de payer une dette d’honneur contractée il y a des siècles par la France envers le Québec. Comme le soulignait son fils Philippe de Gaulle, dans un ouvrage d’entretiens publié en 2004, l’intérêt du Général envers les « Français d’Amérique » avait germé dans son esprit dès sa jeunesse :
« Il s’interrogeait : « Que puis-je faire pour le Québec et pour les Québécois? » Mais, vous ne l’ignorez pas, cette préoccupation était en lui depuis longtemps. On peut même penser depuis sa jeunesse. Comme beaucoup de Français de sa génération, il avait lu Maria Chapdelaine, le roman fétiche de Louis Hémon paru en 1921, qui raconte l’histoire malheureuse de ce peuple poussé à l’exil après avoir été abandonné par la France. Un livre qu’il m’avait mis entre les mains dans mon enfance. » (De Gaulle mon père, 2004, p. 518)
Plus loin, Philippe de Gaulle racontera avoir trouvé son père dans la bibliothèque de sa résidence de Colombey, en 1965, en train de lire le livre Égalité ou indépendance de Daniel Johnson, qui allait devenir premier ministre du Québec et le recevoir officiellement deux années plus tard à l’occasion de l’Exposition universelle :
« Je suis étonné par sa véhémence. « Ils ont raison, insiste-t-il en parlant des Québécois. On les brime, on les réduit. Ils ont le droit de s’insurger. À leur place, n’en ferions-nous pas autant? » […]. Il se demande de nouveau, tout en étreignant cet ouvrage de ses larges mains avec une sorte de désir de possession : « Que vais-je pouvoir faire pour les conforter? »
Depuis 1961, sous la présidence du général de Gaulle, la Délégation générale du Québec à Paris a rang d’ambassade auprès de la présidence française. Une situation exceptionnelle pour un État non-indépendant et qui marque les liens politiques privilégiés qui ont uni la France et le Québec depuis des décennies. Au début des années 1980, le président François Mitterrand allait faire entrer de plein pied le Québec dans le concert des nations francophones. Refusant d’être utilisé par le gouvernement Trudeau dans les querelles qui l’opposaient alors à René Lévesque, Mitterrand allait faire en sorte que soit accordé au Québec le rang d’État membre de la nouvelle Organisation de la Francophonie, refusant de convoquer un premier sommet tant que cette assurance ne serait pas obtenue. L’élection de Brian Mulroney allait lui permettre de concrétiser cet engagement. C’est grâce à l’appui diplomatique concret de la France que le Québec peut siéger aujourd’hui, de plein pied, à de nombreuses tables de concertation internationales. Plus de cinquante ans après l’inauguration de la délégation du Québec à Paris et trente ans après le premier Sommet de la Francophonie, par l’action du gouvernement libéral de Philippe Couillard, les liens qui unissent le Québec et la France semblent plus que jamais distendus.
Une simple province
Rarement aura-t-on vu un premier ministre québécois se complaire avec une telle aisance dans le provincialisme à la petite semaine, incapable de saisir toute l’importance que représente la relation entre la France et le Québec pour le rayonnement de notre État sur la scène internationale. Dès le début de son mandat et alors que le président François Hollande effectuait une visite officielle en sol québécois, le gouvernement Couillard portait un dur coup à cette relation en remettant sur la table les frais de scolarité exigés aux étudiants français fréquentant nos universités, eux qui bénéficiaient jusque-là des mêmes tarifs réservés aux étudiants québécois. Plus récemment, nous apprenions que l’Association Québec-France (AQF) cessera ses activités, le gouvernement québécois lui ayant retiré sa subvention annuelle de 140 000$, pourtant nécessaire à son fonctionnement.
Ces décisions malheureuses pour la relation privilégiée entre la France et le Québec s’ajoutent aux nombreuses coupures qui ont affecté le réseau des délégations québécoises à l’étranger, entraînant le déclassement de nombreux bureaux et la fermeture de trois représentations, en Amérique du Sud, en Asie et en Europe. Il est de plus en plus apparent que la stature internationale du Québec est sacrifiée, ces derniers mois, sur l’autel de l’austérité provinciale. Cette posture politique de Philippe Couillard a de quoi inquiéter, alors même que ses prédécesseurs fédéralistes n’avaient jamais manifesté un pareil désintérêt envers le maintien de la position du Québec sur la scène étrangère.
Comme le soulignait récemment l’ancien chef du protocole de l’Assemblée nationale, la récente « rencontre » entre le pape François et le premier ministre Couillard marquait un dangereux précédent et rompait avec une certaine « tradition » diplomatique instaurée au début des années 80. Alors que le premier ministre s’est contenté d’un échange de quarante-cinq secondes avec François sous le soleil de la place Saint-Pierre, parmi les milliers de fidèle réunis, ses prédécesseurs avaient eu, quant à eux, le privilège de s’entretenir directement avec le souverain pontife dans sa bibliothèque personnelle. Ce fut le cas Robert Bourassa qui a rencontré Paul VI en 1970, puis de René Lévesque, Lucien Bouchard et Jean Charest, qui ont tous pu s’entretenir directement avec l’évêque de Rome. Une visite bâclée par Québec, au moment même où le chef de l’Église catholique s’affirme comme un acteur diplomatique de premier plan, facilitant le rapprochement entre Cuba et les États-Unis et marquant récemment un grand coup par son soutien affirmé à la lutte aux changements climatiques.
Le 17 juin dernier, on procédait à la démolition de l’œuvre Dialogue avec l’histoire, située sur la place de Paris dans le Vieux-Québec, présent offert en 1987 par le maire de la capitale française, Jacques Chirac, qui allait devenir président en 1995. Je ne peux m’empêcher d’y voir comme une allégorie de l’état de nos relations avec un pays que les Québécois ont longtemps considéré comme leur « mère patrie ». N’y aura-t-il pas un peu de lassitude à l’avenir, chez les présidents français, lorsque nos premiers ministres iront fouler le gravier de la cour de l’Élysée? Ils seraient en effet en droit de se demander: « Que viennent-ils encore faire ici ceux-là? » Au moment où les grandes questions de notre époque (changements climatiques, mouvements de population, indépendance des États par rapport aux marchés financiers, etc.) se discutent sur la scène internationale, dans les grands forums mondiaux, il est plus qu’inquiétant de voir le gouvernement du Québec se replier et se satisfaire de son seul champ d’action provincial. Nous avons besoin, et vite, d’une refondation de notre politique internationale qui permettra au Québec, à défaut d’être un pays souverain, de se prononcer sur les grands enjeux qui touchent les champs d’action qui lui sont entièrement dévolus. À défaut d’impulser une nouvelle vision à notre politique extérieure, le Québec risque de voir se concrétiser une marginalisation politique qui est déjà en marche. À moins qu’il ne s’agisse là, en réalité, de la volonté même d’un gouvernement qui, à bien des égards, est le plus « provincialiste » que le Québec ait connu ces dernières décennies. Il faudra alors réaliser que Philippe Couillard voit petit, très petit…
Tellement vrai et tellement triste.