En février dernier, le Québec apprenait, stupéfait, que six jeunes cégépiens avaient quitté le sol montréalais dans l’espoir de s’enrôler dans les troupes djihadistes combattant en Syrie. Ces dernières semaines, deux étudiants du cégep de Maisonneuve âgés de 18 et 19 ans ont été traduits devant les tribunaux, accusés d’avoir eux aussi voulu quitter le pays dans l’espoir de perpétrer des attentats à l’étranger. Au début du mois de juillet, les autorités françaises procédaient à l’arrestation de trois jeunes, âgés de 17 à 23 ans, soupçonnés de fomenter l’assassinat puis la décapitation d’un haut gradé de l’armée française. Devant tant d’exemples récents où des jeunes né(e)s qui au Québec, qui en France ou ailleurs en Occident, succombent aux discours les plus délirants propagés sur le Web par les organisations djihadistes, nous avons le devoir de nous questionner sur les raisons profondes qui poussent certains de nos jeunes concitoyens à se porter candidats au martyre. Plus fondamentalement, nous devons nous demander, d’un point de vue philosophique, ce qu’offre encore l’Occident – ou ce qu’elle échoue à transmettre – pour que des centaines de jeunes de par le monde décident de vouer leurs efforts à la destruction des valeurs qu’elle a toujours prétendu incarner.
L’austérité et le corporatisme étatique comme seuls projets
Les pays occidentaux ont été suspendus ces dernières semaines aux péripéties qui ont ponctué le drame du peuple grec, appauvri et exsangue au terme de cinq années d’austérité budgétaire, le pays ayant perdu près du quart de sa richesse intérieure et le taux de chômage avoisinant désormais les 25 % . Malgré l’élection, l’hiver dernier, d’un gouvernement d’extrême-gauche et la victoire récente d’un « non » retentissant face aux nouvelles mesures d’austérité exigées par Bruxelles, les grandes puissances européennes, liguées aux banques, ont fait plier le gouvernement d’Alexis Tsipras, ignorant souverainement l’expression de la volonté du peuple grec. La gauche européenne, plutôt que de saisir l’occasion afin d’infléchir une politique que des dizaines d’économistes de premier plan jugent suicidaire, a plutôt officié, complaisante et impuissante, au dépeçage de la souveraineté politique du peuple grec. Athènes, berceau même de la démocratie, est désormais sous la tutelle effective de Bruxelles et des ministres de l’Eurogroupe, son parlement n’étant plus libre de légiférer sur les questions touchant à son avenir économique.
Partout en Occident et ici même au Québec, l’austérité budgétaire est devenue le seul horizon dans lequel s’inscrivent les actions de nos gouvernements, qui semblent pour certains plus soucieux de l’intérêt des grandes institutions financières et de l’opinion des agences de notation, que des problèmes vécus par leurs propres citoyens. Les coupes budgétaires affectent de plein fouet les milieux de la culture et de l’éducation, certains arts ou programmes d’enseignement étant jugés peu « rentables » pour l’État, l’université devant désormais s’aligner sur les impératifs du marché et les besoins de l’entreprise privée. La littérature, le théâtre, l’histoire et la philosophie classique ne sont plus guère enseignés dans les collèges, alors qu’il s’agit pourtant des disciplines les plus à même de forger l’esprit critique des étudiants et de les aider à devenir, le moment venu, des citoyens critiques et engagés. Nous avons en somme coupé l’école de ses racines culturelles et historiques, coupé de l’héritage porté par toutes ces sociétés qui se reconnaissent dans une certaine origine occidentale commune et qui a été forgée, notamment, par la pensée politique grecque, la philosophie des Lumières et la défense des droits de l’homme. Notre système politique n’a plus de « démocratique » que le simulacre d’élections auquel nous nous livrons une fois tous les quatre ans, à grands renforts de slogans et de campagnes publicitaires creuses, alors que les mouvements citoyens de protestation sont bien souvent réprimés avant même qu’ils ne puissent prendre leur envol, au profit des grandes corporations décriées.
Devant le triomphe de l’austérité et du corporatisme d’État, comment se surprendre alors que des jeunes, qui peuvent subir au quotidien l’exclusion sociale – en raison de leur origine ethnique ou de leur statut économique – se tournent vers des mouvements fanatiques afin d’y trouver ce que nos sociétés n’offrent plus depuis longtemps : une philosophie commune et un idéal humain auxquels communier. C’est parce que nous avons échoué ces dernières décennies à incarner l’idéal fraternel et humaniste supposément promu par l’Occident, que certains de nos jeunes concitoyens, bien souvent nés dans les pays qu’ils veulent désormais frapper, se sont détournés de l’héritage que nous n’avons pas su transmettre et revivifier.
La réponse aux problèmes posés par l’extrémisme religieux – et par l’islamisme plus particulièrement – ne se trouve pas dans l’imposition de nouvelles mesures sécuritaires qui ne feront que restreindre encore plus les libertés individuelles – ceci quand elles ne servent pas de prétexte à la répression de mouvements sociaux plus vastes –, mais bien dans la refondation de l’école et de nos institutions démocratiques qui demeureront toujours les outils les plus efficaces pour remporter une lutte qui doit avant tout se déployer sur le terrain idéologique.
Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, le premier ministre français avait pour la première fois évoqué « l’apartheid » qui sévit en France dans certaines banlieues, où la pauvreté, le racisme et l’exclusion sociale font le lit de l’extrémisme. C’est précisément lorsque les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité sur lesquelles est fondée la République française – et dont se réclament nos pays – seront devenues une réalité politique concrète que nous pourrons enfin espérer voir l’intégrisme reculer. Encore faut-il désormais avoir le courage et la volonté de rejeter le corporatisme d’État et de renverser une politique qui, à bien des égards, mène l’Occident au désastre.
Cette fois, vous me semblez être complètement à côté de la plaque avec votre analyse de la situation, Monsieur Brisson. Du moins, selon ce que j’en comprends de cette analyse.
Tout d’abord, il me parait très inconvenant d’assimiler les idées d’«austérité» ou de «corporatisme étatique» – en passant, c’est quoi cet épouvantail? – à des «projets». Et, de surcroit, à ce qui seraient devenus les «seuls projets» de nos sociétés démocratiques.
L’austérité n’est pas un projet. Il ne s’agit en fait que d’un passage obligé, hélas, vers des jours meilleurs. Un peu comme d’avoir à se taper des tas de tracasseries suivies de kilomètres de route avant d’arriver à une destination de voyage. Si on veut atteindre ce pays de Cocagne, il faut se fouler un peu. Autrement, on n’ira nulle part.
Et puis le fait qu’il se trouve ici et ailleurs des fêlés préférant aller massacrer des innocents plutôt que de se retrousser les manches et mettre l’épaule à la roue, comme nombre de leurs concitoyens, ne signifie nullement que notre démocratie ait échouée. Plutôt, il s’agit là d’asociaux et de cinglés, de faiblards refusant de faire le moindre effort constructif pour se prendre en main ou aider leurs voisins.
L’heure est à la remise en ordre de la maison. «Clean up time» comme l’a chanté John Lennon. Lorsque le ménage aura été fait, nous connaîtrons assurément des jours radieux. Et nous pourrons graduellement ajouter à notre liste de vœux, et nous permettre leur réalisation. Nos lendemains sont prometteurs. Pourvu qu’on se donne aujourd’hui la peine de préparer le terrain. Et ça, c’est un formidable projet de société.
Bonne journée.
Laissons de côté sermon du curé sur le « ciel qu’on doit gagner à la sueur de notre front » de votre commentaire. (Étonnant tout de même que ce genre de discours de résignation catho ait encore une raisonnance.)
Sinon, c’est vous qui avez tout faux M. Perrier. Le gouvernement Couillard a déjà fait part de son « projet de société ». Lorsque le budget sera à nouveau équilibré (mais ne l’est-il pas déjà?), nous aurons droit… à des baisses d’impôt.
http://www.soreltracy.com/2015/fev/13f.html
« Formidable projet de société », en effet.
Bonne journée à vous également.
L’austérité pas un projet ?
Peut-être pas un projet de société dont in a convaincu le peuple de sa pertinence, mais certainement un projet des dirigeants. Depuis les années Tacher-Reagan, tout l’Occident a suivi les dogmes néo-libéraux (sans que la population ne soit consultée bien sûr) qui correspond à changer le rôle drastiquement de l’État et à réduire les pouvoirs des travailleurs au profit de ceux de la haute finance.
Avez-vous oublié le virage de Lévesque en 1982 ?
Le « déficit zéro » de Bouchard ?
Les mesures « proposées » (et martelées par les lobbys financiers depuis plus de 35 ans): réduction constantes des services publics, privatisation de ce qui reste avec sous-traitance, PPP et « ré-ingénérie de l’État », baisse des salaires des employés, « souplesse » exigée de la main d’oeuvre (« ressources humaines » à exploiter dans la théorie managériale), disparition du filet social, baisses des règlementations des transnationales, baisses des impôts des ultra-riches et des transnationales contrebalancés par des hausses de taxes avec tarification des services publics (taxes déguisées) selon le principe récent inventé par les lobbys financiers de « l’utilisateur-payeur » (principe que ne s’applique évidemment pas aux grosses compagnies étrangères qui bénéficient des largesses de l’État et des infrastructures qu’on leur bâtit à nos frais), etc.
Il est remarquable que « l’austérité » épargne systématiquement certains secteurs.
Par exemple, la Grèce a dû accorder des baisses d’impôt aux ultra-riches pour pouvoir entrer dans la zone Euro. Elle n’a pas le droit de revenir sur ces baisses d’impôt. Les plans « d’austérité » ne touchent pas aux exemptions d’impôt des armateurs (la Grèce est un paradis fiscal des armateurs: 0% d’impôt), pas plus qu’aux dépenses militaires (alors que la Grèce est le plus gros importateur d’armes d’Europe et le 9e au monde, pour la 74e population du monde). Et j’en passe.
Au Québec, Coiteux et Couillard ont OFFICIELLEMENT et PUBLIQUEMENT exempté de tout effort d’austérité les hauts gestionnaires des sociétés d’État, pourtant les mieux rémunérés.
Ainsi, Sebia a eu droit l’an dernier à une petite augmentation de..93% !!! 93% en un an !!!
Thierry Vandal a eu droit à une prime de départ de 650 000$ comme « compensation »…de sa propre décision de partir avant la fin de son contrat pour aller gagner du fric sur d’autres CA. A cela s’ajoute une pension de 500 000$ par an, automatiquement indexée et intouchable.
Couillard et son patron Coiteux refusent de toucher à:
– la Romaine (qui nous endette pour produire de l’électricité qu’on en a en surplus et qu’au mieux on vendra à perte)
– la cimenterie de Port-Daniel (que Couillard avait pourtant dénoncé pendant les élections) qui augmentera de 10% nos émissions de GES au coût de 450 millions en fonds publics + exemption totale d’impôt et de taxes pendant 10 ans (et déplacer 150 emplois des autres cimenteries qui ne roulent déjà qu’à 60% de leur capacité, faute de débouchés)
– tableaux blancs interactifs dans toutes les écoles du Québec (alors qu’on coupe partout)
– sauvetage de Petrolia à Anticosti (que Couillard avait pourtant aussi dénoncé pendant les élections)
– abolition de la taxe sir la capitalisation des banques (un petit cadeau de 800 millions par an)
– achat sans négocier des médicaments qu’on paie 30% plus cher qu’en Ontario (à quand Pharma-Québec ? un gain de 1 à 2 milliards par an)
et j’en passe pour des milliards de dollars
Sans compter les innombrables détournements de fonds légalisés ou tolérés de la part des hauts dirigeants.
Un exemple: la sous-ministre adjointe à l’Éducation (Chantal C, Beaulieu) vit à Montréal et travaille à Montréal, mais est officiellement inscrite comme travaillant à Québec, cela lui donne droit à une allocation de 1 225$ par mois (montant qui dépasse le montant de ma propre hypothèque) pour pouvoir payer un loyer à Québec; loyer qu’elle ne paie pas, n’ayant pas besoin de logement là-bas.
Personne ne trouve à redire: ni au Emplois supérieurs du Conseil exécutif, ni au Ministère de l’Éducation, ni même au Conseil du trésor de l’austère en chef Coiteux.
Alors la soi-disant « rigueur budgétaire », faites-moi rire.
Couillard s’en cache à peine`Il n’arrête pas de répéter depuis quelques mois qu’il « change de manière profonde la nature de l’État ».
C’est cela le « projet »…qu’on nous impose sans nous consulter et en catimini.
Salut Pierre-Luc. Quel plaisir de te lire à nouveau! Je suis en accord avec toi sur cette question de société. Il y a aussi une notion oubliée ici des esprits plus faibles, moins éduqués en effet, mais pas seulement : des personnes plus argiles intellectuellement et émotionnellement. Je crois avoir lu un texte de Todd et une émission ou une chronique d’@rrêt sur images à ce sujet et qui allaient dans le même sens que toi.
Finalement si je peux me permettre de corriger deux coquilles, effacez cette partie eu texte après moderation.
Troisième paragraphe : dans lequel s’inscriVENt les….
Idem : nous avons en somme (sans « s »)
Merci pour cet excellent billet!
Qu’offre encore l’Occident???
La possibilité de t’exprimer librement sur un blogue même si tu n’es pas totalement pour le système en place?
Coudonc, vous avez donc bien besoin de balises…
Les dérives idéologiques tirées de ou influencées par l’islam ne datent pas d’hier.
Alors, c’est un peu simpliste — bien que fort bien rédigé — de dire que c’est la faute à l’austérité ou au manque de modèle à suivre proposé par la société d’aujourd’hui.
Franchement ! Les jeunes qui rejoignent les brigades barbares n’en ont rien à foutre de l’attitude de l’Europe à l’égard de la Grèce ou de l’austérité d’Harper ou de Couillard!
Mais ce n’est pas si fou que ça, non plus!
Y a forcément un peu de vrai dans ce que vous dites. Même si le terme d’apartheid ne s’applique absolument pas à la France, il y a des factures sociales propices à la montée des « fascismes » de tous poils.
L’islam politique en est un. Il est le plus sectaire, le plus violent, le plus sanglant et le plus haineux de ces extrémismes — si tentants pour des jeunes désœuvrés…. si je vous suis bien.
Mais l’appel au djihad frappe toutes les régions du globe! Des fascislamistes, y en a en Suède, au Danemark, en Australie, aux States, chez nous au Québec…., en Allemagne, aux Pays-Bas… dans des pays où le multiculturalisme est élevé au rang de modèle de société.
Comme dans des pays africains qui n’ont jamais connu la démocratie.
Et bien entendu, dans TOUS les pays dits musulmans.
Autrement dit, c’est pas le déficit démocratique ou le manque d’efforts d’intégration qui chatouille le mental de ces jeunes cons.
Alors? Partout tout le temps, c’est la faute à l’Occident ?
D’accord pour qu’on lui cherche des poux.
Et votre papier met en lumière des failles bien réelles.
Mais ce qui fait le nazi, c’est le nazisme.
Ce qui fait le coupeur de tête et l’égorgeur de journalistes ou de civils, c’est l’idéologie religieuse qui a nom « islamisme » — idéologie qui a ces chevaux de Trois justement dans les domaines dont vous parlez : dans nos écoles, dans nos garderies, dans nos institutions. Il faut aussi appeler un chat un chat….:-)