Il y a quelques semaines, l’œuvre Dialogues avec l’histoire de l’artiste français Jean-Pierre Raynaud tombait sous les coups d’une pelle mécanique, en plein cœur de la place de Paris, à Québec. Le monument, offert à la capitale en témoignage d’amitié par la Ville lumières, nécessitait d’urgents et importants travaux afin de solidifier sa structure, qui prenait l’eau de toutes parts. Plutôt que d’investir les sommes nécessaires à la remise en état de l’œuvre, l’administration du maire Labeaume – qui aurait auparavant signifié son intention de restaurer le monument – a plutôt décidé de la démolir, purement et simplement. À Montréal, le premier quotidien de la métropole a récemment fait sa une de l’édification d’une œuvre d’art publique installée boulevard Pie IX, tout juste à l’entrée de l’île, point d’orgue des travaux de réaménagement de l’intersection du boulevard Henri-Bourassa, qui se sont échelonnés sur quelques années. « La vélocité des lieux », qui sera la plus grande œuvre d’art extérieure de Montréal, se veut un hommage au transport collectif et a été édifiée au coût de 1,1 million de dollars. Il n’en fallait pas plus pour que le quotidien, qui se fait un point d’honneur d’« informer » le lecteur montréalais sur « où vos nos impôts », tende bien sûr le micro à des citoyens sceptiques : «Ce n’est pas une œuvre d’art qu’on construit là, c’est juste une grosse structure. »
Ces deux exemples illustrent à eux seuls, à mes yeux, notre rapport collectif à l’art, incapables que nous sommes d’envisager l’art et l’architecture urbains comme des moyens d’enrichir notre quotidien et de marquer l’espace et le temps d’une façon durable. Nos grands projets collectifs portent la marque de cette médiocrité architecturale et artistique, où l’obsession des dépassements de coûts a pris le pas sur l’inventivité et sur notre capacité à édifier des bâtiments et des monuments qui deviendront la signature future de notre métropole ou de notre capitale. La Maison symphonique de Montréal, si sublime dans son intérieur mettant en valeur le bois québécois, n’est qu’un immense bloc de béton percé de fenêtres. Comme le soulignait l’architecte montréalaise Phyllis Lambert : « On a cherché un architecte qui se vantait d’arriver pile dans le budget et dans les délais, point. Est-ce de l’architecture? Non, c’est du commerce!» Le nouveau pont Champlain, qui sera ces prochaines années l’un des principaux chantiers d’envergure à Montréal et qui sera édifié au coût de 4,2 milliards de dollars, se démarquera surtout par la banalité de ses lignes. Idem pour le nouveau CUSM, dont les formes et les couleurs rappelant celles d’un cube Rubik n’ajoutent en rien au paysage urbain de la métropole. Nous échouons à édifier des bâtiments dignes d’une grande métropole, nous laissons dépérir notre patrimoine bâti, nous démolissons des œuvres d’art publiques dans la capitale ? Qu’à cela ne tiennent ! Comme une image de l’air du temps, ils étaient près de 110 000 citoyens à s’arracher des billets de visite et à faire la queue devant le tout nouveau Centre Vidéotron, immense construction perdue au cœur de Limoilou. Enfin un investissement « rentable » pour la capitale…
Journal d’un étudiant sur le tard
Dans son dernier roman qui se présente sous les traits de l’autofiction, Journal d’un étudiant en histoire de l’art, livre passionnant à cheval entre le roman et l’essai d’art contemporain, Maxime Olivier Moutier nous livre les confidences d’un trentenaire blasé ayant décidé – tout comme lui – de s’inscrire à un certificat en histoire de l’art à l’UQÀM. S’ennuyant dans sa vie rangée d’homme marié, ce dernier cherche à illuminer à nouveau son quotidien en redécouvrant et s’émerveillant de la richesse contenue dans le patrimoine artistique occidental et mondial, comme un contrepoint à la monotonie de sa propre vie et de celle de notre collectivité. Et si nous tentions, nous aussi, d’illuminer à nouveau notre vie collective par des œuvres et des bâtiments qui sauront nous projeter dans le XXIe siècle? Comme l’écrit Moutier, au détour d’une page : « Heureusement que l’art est partout. »
Je laisse le lecteur, en guise d’ouverture, sur un extrait frappant du bouquin de Moutier, qui raconte les pérégrinations montréalaises du personnage principal sur la trace des œuvres d’art accrochées, anonymes et ignorées, aux murs des bâtiments publics et des hôtels de la métropole :
Deux autres toiles sont accrochées dans un corridor menant aux ascenseurs, mais un gros bonhomme avec une cravate et un air sérieux, nous en interdit l’accès. Il est là pour ça. C’est son métier. Même s’il ne doit personnellement pas faire la différence entre un Jean Paul Lemieux et un pot de fleurs. Même au nom de l’art, il nous est défendu de passer. Je tente de lui expliquer que nous sommes des passionnés, des étudiants en histoire de l’art. Peu importe, cela ne le fait pas frémir. Il ne faut pas exagérer pour autant. Encore une fois, il ne faut pas exagérer. C’est fou le nombre de fois, dans ma vie, où quelqu’un doit m’expliquer qu’il ne faut pas exagérer. Je me demande s’il existe d’autres œuvres qui dorment aux autres étages, dans les bureaux et les salles de réunion. Payées par nos impôts et dont tout le monde se fiche. Mais pour le savoir, il faut être un grand financier. Avoir étudié aux HEC. Déambuler promptement dans les corridors avec un attaché-case, trois espressos Tassimo au fond de la gorge. Ceux qui ne connaissent rien aux œuvres d’art et qui ne songent qu’à leur piscine creusée, qui viennent de perdre 40 milliards en quelques mois, sans trop savoir pourquoi, qui ont bien d’autres chats à fouetter et d’autres comptes à rendre, qui rebondissent entre deux gags salés et trois bonus. Ils peuvent bien avoir des Riopelle et des Borduas devant les yeux toute la journée, cela ne semble pas les aider à réfléchir plus intelligemment à leur avenir, ni à cogiter sur l’existence et la métaphysique. (Journal d’un étudiant en histoire de l’art, p.110-111)
Maxime Olivier Moutier, Journal d’un étudiant en histoire de l’art, Marchand de feuilles, août 2015
Alors comme ça le nouveau CUSM ressemble à un Rubik’s cube et c’est donc ben laid… mais quand Labeaume fait démolir un véritable Rubik’s cube à Québec, c’est une grande perte pour l’art.
J’ai la solution à votre problème: à l’avenir, chaque fois que vous verrez le nouveau centre de santé, imaginez-vous que c’est « Dialogues avec l’histoire » de Raynaud à la place.