Cette semaine, le rapport annuel du Southern Poverty Law Center, qui documente les activités des groupes d’extrême-droite américains depuis les années 70, a tiré la sonnette d’alarme en faisant état d’une hausse marquée, de 2014 à 2015, des organisations prônant des discours haineux envers les minorités ethniques et sexuelles aux États-Unis. Leur nombre serait ainsi passé de 784 à 892, notamment par l’augmentation du nombre d’organisations satellites du Ku Klux Klan, prônant la suprématie de la « race » blanche américaine. Une situation inquiétante qui fait écho aux situations vécues dans de nombreux pays européens, où la crise des migrants syriens et l’incapacité des États occidentaux à contribuer à une solution diplomatique au Proche-Orient a nourri les discours de l’extrême-droite et des mouvements néo-nazis, notamment en Allemagne, dans les Balkans et plus récemment, en France, autour de l’odieux bidonville de Calais.
Partout, on voit la même dynamique à l’œuvre : une population blanche, aux prises avec des difficultés économiques importantes et ayant le sentiment – dans une certaine mesure légitime – d’être petit à petit « déclassée » politiquement et économiquement, projette sa colère et ses craintes sur les groupes minoritaires, injustement accusés d’être responsables de ses malheurs. Cette même classe moyenne blanche, plutôt que de questionner les politiques d’austérité et les transformations imposées par le capitalisme mondialisé aux industries locales, reporte sa colère sur les Syriens, les Mexicains, les musulmans ou les minorités sexuelles, objets des fantasmes de l’extrême-droite, qui seraient responsables de l’effritement des liens sociaux, aux États-Unis comme en Europe.
Cette dynamique s’observe aux États-Unis dans les discours politiques et religieux exacerbés, où le fondamentalisme chrétien (notamment au sein du mouvement évangélique) sert à sanctifier la colère et les préjugés portés par une grande partie de l’électorat républicain. Comme le soulignait déjà Chris Hedges il y a quelques années : « Le dénominateur commun de ces mouvements [fondamentalistes] est le désespoir, un désespoir latent au sein de la classe moyenne qui se sent menacée, aux prises avec les coupures ou l’exportation des emplois à l’étranger. Ce désespoir existe dans des communautés à travers le pays, au sein de la classe moyenne inférieure comme de la plus aisée, où les gens se sentent isolés et exclus. » (American Fascists, 2006) Les droits des gais et lesbiennes, le droit à l’avortement et l’accès aux méthodes contraceptives, l’accès des femmes au milieu du travail, la sécularisation des écoles et des programmes scolaires; toutes les avancées de la société libérale sont vues comme autant de privilèges octroyés aux minorités, autant de maux qui rongent la société américaine de l’intérieur et contribuent à son déclin.
La surenchère droitière à laquelle se livrent aujourd’hui les nouveaux démagogues républicains, et en particulier Donald Trump et Ted Cruz, est symptomatique de ce désarroi dont parlait Hedges. L’exaltation de la puissance guerrière des États-Unis (Sarah Palin qui hurle, extatique, que Trump va « botter le c** » de l’État islamique), le refus de l’avortement, le refus du mariage gai et le retour aux « valeurs chrétiennes » de l’Amérique constituent autant d’éléments de discours auxquels cet électorat blanc peut se rattacher. Le patriotisme conservateur, avec sa fermeture à l’autre (le Mexicain « violeur » et « criminel » ou le musulman), devient l’un des derniers étendards sous lequel la classe moyenne peut se fédérer, elle qui a été exclue, déclassée socialement et économiquement. En France, suite aux attentats de Paris de novembre dernier, le patriotisme et le renforcement des politiques sécuritaires ont été parmi les seules réponses proposées par un gouvernement « socialiste » en déroute dans l’opinion publique. L’État d’urgence, sous lequel vit le pays depuis novembre, a à nouveau été prolongé, alors que la déchéance de nationalité, mesure jusque-là défendue par la droite frontiste de Marine Le Pen, sera bientôt inscrite sous l’impulsion de la gauche dans la constitution française.
C’est dans ce contexte qu’il est intéressant, aujourd’hui, de regarder la montée lente, mais certaine, d’un candidat comme Bernie Sanders dont la campagne dépasse la simple idée d’élire la première femme à la Maison blanche, afin de s’adresser aux préoccupations économiques plus large de l’électorat américain. Il ne saurait plus y avoir de simples victoires symboliques pour les progressistes (l’élection d’un noir ou d’une femme à la Maison blanche) si les conditions sociales et économiques d’aliénation des groupes minoritaires auxquels s’est adressée l’élite libérale ces dernières années ne sont pas transformées. Il y a toujours autant de Noirs dans le système carcéral aux États-Unis au terme de la présidence de Barack Obama et l’équité salariale n’est toujours pas une réalité pour les femmes américaines, malgré la montée en puissance d’Hilary Clinton. L’enjeu aujourd’hui pour les forces progressistes, aux États-Unis comme ailleurs, est de faire comprendre que la défense des droits des femmes et des minorités sexuelles ou ethniques peut et doit s’inscrire dans le contexte plus large des transformations nécessaires du capitalisme mondialisé, insensible et apatride. Des transformations qui profiteront non seulement à ces groupes, mais à l’ensemble de la classe moyenne qui aujourd’hui est charmée par les discours des démagogues d’extrême-droite. À cette époque des extrêmes, il s’agit là d’un devoir de plus en plus pressant…
Il y a quelque chose de pas très chrétien chez ces chrétiens!