BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Qu’est-ce qui anime donc Philippe Couillard?

 

Source de l'image: http://i.huffpost.com/gen/1659979/images/o-PHILIPPE-COUILLARD-facebook.jpg
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La plupart des hommes et des femmes politiques, qu’ils soient maires ou ministres, ont le désir de laisser leur trace dans l’histoire, de marquer durablement leur société. Cette marque, elle s’imprime dans le béton des grands chantiers, dans la transformation du paysage urbain (le chantier de la baie James, la revitalisation du Vieux-Québec, la construction de la Grande bibliothèque et de l’amphithéâtre de Québec, etc.) ou par la rédaction de pièces législatives majeures. Il faut de l’égo et de l’ambition pour aspirer à devenir chef de gouvernement et tous les premiers ministres de l’histoire récente du Québec ont cherché, certains plus adroitement que d’autres, à laisser leur empreinte : l’union autour de l’atteinte du déficit 0 de Lucien Bouchard, la signature de la Paix des braves de Bernard Landry, la mise en chantier du Plan nord de Jean Charest ou encore l’épisode avorté de la Charte des valeurs québécoises de Pauline Marois.

Arrivé à mi-parcours de son mandat, il est juste de se demander quelles sont les motivations profondes qui animent Philippe Couillard et qui guident son action à la tête du gouvernement. Les cafouillages politiques des derniers mois et l’incapacité du premier ministre à communiquer une vision claire de la destination que son gouvernement entend atteindre nous auront cependant fournis, jusqu’à maintenant, bien peu de réponses.

Une « vue de l’esprit »

Le ton olympien du premier ministre et son relatif retrait de l’espace public au plus fort des récents dérapages survenus à l’Assemblée nationale (les excuses du docteur Barrette, l’arrestation de l’ex-première ministre Nathalie Normandeau et l’affaire Hamad), n’ont rien pour rassurer la population quant à la vision que lui et son gouvernement entendent porter. L’incapacité – réelle ou feinte – du premier ministre et de son bureau à brider le ministre de la Santé, qui ne rate jamais une occasion d’insulter ses vis-à-vis de l’opposition et d’abaisser le débat public au ras des pâquerettes, n’a en rien aidé le gouvernement à assurer la cohésion de son action et la clarté de son message.

Il y a plus d’un an, alors que des journalistes questionnaient le premier ministre sur la cure d’austérité que son gouvernement imposait à l’appareil public, Philippe Couillard avait tourné en ridicule ses critiques en affirmant d’un ton souverain qu’il s’agissait d’une « vue de l’esprit » partagée par ses détracteurs. Cette vue de l’esprit s’est pourtant incarnée de façon bien tangible pour des milliers de Québécois aux prises avec les conséquences engendrées par le train de mesures austères adoptées ces dernières années. Ils ont été des centaines à édifier des chaînes humaines devant des écoles publiques afin de dénoncer les compressions subies par le milieu de l’éducation, résultant en coupes chez le personnel de soutien (orthopédagogues, éducateurs spécialisés, etc.) travaillant auprès des élèves en difficulté. Les Québécois se sont émus du sort réservé aux toxicomanes du centre Mélaric, en Outaouais, qui a été forcé de fermer ses portes suite aux modifications apportées par le gouvernement aux prestations d’aide sociale versées aux usagers de centre d’hébergement. Cette « vue de l’esprit », elle est aussi vécue dans les centres de la petite enfance où l’on est bien souvent forcé de sabrer dans les activités et les services apportés aux enfants, ou encore dans le réseau universitaire québécois, où il n’est pas rare de voir certains programmes de sciences humaines passer à la trappe, comme ce fut le cas ces derniers mois à l’université Laval ou à Sherbrooke.

Questionné en chambre il y a quelques semaines par le chef de la CAQ sur la volonté de son gouvernement de relever les seuils d’immigration de la province, le premier ministre s’est fendu d’une attaque injustifiée contre François Legault, qu’il accusait à mots à peine voilés de « souffler sur les braises de l’intolérance ». Pourtant, dans le contexte actuel, les questions du chef caquiste étaient plus que pertinentes : comment assurer l’intégration sociale et professionnelle de ces nouveaux arrivants alors que le gouvernement semble présentement incapable d’établir un plan d’action concret et surtout, fournir les ressources financières nécessaires à la francisation des néo-Québécois, pourtant la principale clé à leur intégration à leur nouvelle société d’accueil. S’il convient de se méfier des discours réactionnaires quant à l’immigration, il est cependant préoccupant de constater la désinvolture avec laquelle le gouvernement semble traiter le dossier délicat de la langue et de l’intégration des nouveaux arrivants. Les récents événements survenus en Europe nous prouvent bien que l’exclusion sociale (qu’elle soit le fait d’un racisme ambiant ou de l’incapacité à assurer l’avenir économique d’une famille de nouveaux arrivants) fait le lit des groupes extrémistes, et que c’est dans ce terreau que germe les idées les plus radicales.

Reprendre l’initiative

Il reste à peine deux ans au premier ministre pour reprendre l’initiative et communiquer aux Québécois une vision concrète de l’avenir du Québec. Surtout, l’entourage de Philippe Couillard devra le convaincre que la fonction de premier ministre du Québec n’est pas celle d’un technocrate en chef sans âme, mais qu’elle comporte, en elle-même, une charge symbolique importante. Couillard est sans doute le premier chef de gouvernement depuis le début des années 90 à ne porter aucune revendication auprès d’Ottawa afin d’assurer ou d’accroître l’autonomie du Québec (même Jean Charest avait su incarner, à sa façon, une certaine forme d’autonomisme), faisant sans doute de lui le plus « canadien » de nos premiers ministres à ce jour. Il devra également se montrer plus sensible aux enjeux de la langue et de l’identité, et proposer à la population un programme qui va au-delà de l’austère obsession de l’équilibre des comptes publics qui anime son équipe économique, alors qu’Ottawa a marqué ces dernières semaines la fin de l’austérité sur la scène fédérale. Alors que les jeunes familles de la classe moyenne subissent dans de nombreux domaines les compressions gouvernementales et que les enjeux éthiques refont surface, ces jours, avec encore plus d’acuité, nous sommes en droit de nous demander s’il y a encore un capitaine derrière le gouvernail de l’État… La même question aujourd’hui demeure: qu’est-ce qui anime donc Philippe Couillard?