BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Le peuple et ses alliés de circonstances

 

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« Ces analyses bâclées font bien sûr l’économie d’une nécessaire réflexion sur la campagne du « Leave » et notamment, sur les discours démagogiques et parfois xénophobes tenus par ses principaux leaders, Nigel Farage et Boris Johnson. » (Source de l’image: http://www.lefigaro.fr/international/2016/06/17/01003-20160617ARTFIG00160-l-affiche-anti-migrants-de-nigel-farage-choque-la-classe-politique-britannique.php)

 

La récente victoire des partisans de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a fait couler beaucoup d’encre, au Québec comme à l’étranger. Alors que certains y ont vu un symptôme du long effritement du rêve européen et de l’échec des élites politiques, d’autres, notamment parmi les souverainistes québécois de tendance conservatrice, y ont plutôt vu la victoire du peuple britannique qui se serait « enfin » réapproprié sa souveraineté politique. Ceux qui aujourd’hui, à l’extrême-gauche du spectre politique, se désoleraient de voir l’Europe se diriger vers une impasse qui semble insurmontable seraient, aux yeux de ces mêmes conservateurs, les adversaires du peuple souverain, accusés de mépriser les électeurs favorables au « Brexit » et de communier à l’idéologie néolibérale, dont ils ont pourtant dénoncé les dérives depuis des années.

Ainsi, selon Mathieu Bock-Côté, les partisans de la sortie de l’UE seraient considérés comme des « rebuts indésirables au sens commun intoxiqué » par les tenants du maintien. Pour David Leroux, la gauche favorable au maintien du pays au sein de l’Union et l’élite néolibérale seraient « des alliés objectifs qui défendent d’une même voix l’hégémonie qu’exerce le libéralisme sur la réflexion politique dans nos sociétés occidentales » et qui, en clair, rejetteraient toute possibilité pour le peuple de s’exprimer sur son destin collectif.

Ces analyses bâclées font bien sûr l’économie d’une nécessaire réflexion sur la campagne du « Leave » et notamment, sur les discours démagogiques et parfois xénophobes tenus par ses principaux leaders, Nigel Farage et Boris Johnson. Tout au plus, David Leroux se contente d’écrire, laconique, que les ténors du camp du « Leave »  « n’ont pas mené la campagne la plus aseptisée de l’histoire ». C’est peu dire, alors que l’ancien leader de l’UKIP avait mis de l’avant, afin de rallier les électeurs, des affiches électorales mettant en scène une « horde » de migrants se lançant à l’assaut des chemins de l’Europe! Les indépendantistes conservateurs ont, aujourd’hui, de bien tristes alliés politiques.

Cette soudaine préoccupation pour la souveraineté populaire et pour l’expression démocratique des aspirations des citoyens à de quoi surprendre chez un homme tel que Bock-Côté, tout pétri de l’idéologie gaulliste de laquelle il se réclame. Une idéologie qui, plutôt que de favoriser l’expression légitime des aspirations politiques du peuple, les contient afin de les faire s’incarner de façon artificielle dans la personne d’hommes politiques providentiels – ceux que Bock-Côté appelle les « grands hommes » – seuls capables de parler et d’agir au nom du peuple. Une idéologie décatie, qui fétichise le passé et qui préfère sacraliser les anciennes institutions monarchiques sur lesquelles on a appliqué un vernis de démocratie, plutôt que de chercher à faire éclore de nouveaux espaces de discussion et d’expression politique. Que penserait Bock-Côté des référendums d’initiative populaire, ou encore de l’idée des budgets participatifs ou du tirage au sort des décideurs politiques? Sans aucun doute, une atteinte à la majesté des institutions politiques et de la sacro-sainte tradition.

Le peuple n’existe, à leurs yeux, que lorsqu’il se manifeste par des sursauts de réaffirmation identitaire, que lorsqu’il s’exprime dans le vocabulaire de l’État-nation, mais jamais il ne s’incarne, pour eux, dans les grandes luttes populaires qui marquent notre époque.

En vérité, ces penseurs conservateurs ne défendent le « peuple » que lorsque celui-ci réclame l’édification des vieilles frontières et le retour à des traditions oubliées qui ne font qu’exalter un passé mythifié qui n’a, dans les faits, jamais existé. Le peuple n’existe, à leurs yeux, que lorsqu’il se manifeste par des sursauts de réaffirmation identitaire, que lorsqu’il s’exprime dans le vocabulaire parfois vindicatif de l’État-nation, mais jamais il ne s’incarne, pour eux, dans les grandes luttes populaires qui marquent notre époque. La lutte des travailleurs pour le droit à une retraite digne, pour conserver un salaire décent, ou encore la lutte des étudiants qui ont battu le pavé afin de défendre l’accès à une école publique gratuite et de qualité. Les mouvements populaires sont plutôt, à leurs yeux, l’expression infantile de fantasmes marxisants, mais jamais une nouvelle façon pour le peuple d’exprimer, oui, sa souveraineté politique en dehors des institutions traditionnelles qui sont, aujourd’hui, de moins en moins représentatives…

Le peuple qui s’exprime aujourd’hui avec force, ici comme en Europe, afin de dénoncer avec raison les dérives de l’État technocratique, l’hégémonie du néolibéralisme et le démantèlement des services publics, devrait se méfier de ses nouveaux alliés de circonstances. Des alliés qui ne font que détourner le sens de sa colère légitime pour la mettre au profit de leur nostalgie identitaire. Lorsque viendra le temps de repenser nos institutions démocratiques, lorsque viendra le moment de rebâtir nos institutions publiques et de retisser les liens de notre solidarité, ces alliés de passage seront, cette fois-ci, de l’autre côté de la barricade…