L’événement que plusieurs commentateurs et journalistes, au sein des grands médias d’informations, jugeaient encore improbable il y a un peu plus d’une semaine est survenu : Donald Trump deviendra le 45ième président des États-Unis en janvier prochain. Ce n’était pourtant pas faute de signaux avant-coureurs et d’appels pressants, à la gauche du spectre politique (Hedges, Chomsky, etc.), à prendre le milliardaire excentrique au sérieux. Depuis son entrée sur la scène politique il y a un an lors des primaires républicaines, Trump a fait exploser l’ensemble des codes qui ont régi ces dernières décennies la vie politique américaine et a écrasé tous les représentants de l’establishment politique qui, à commencer par son principal rival Jeb Bush, incarnaient aux yeux des Américains, et ce malgré leur expérience, un système politique sclérosé qui a depuis longtemps cessé de travailler au profit des citoyens. Trump est le dernier symptôme en date d’une vague populiste qui semble déferler présentement en Occident et qui s’est déjà manifestée au Royaume-Uni à la faveur du « Brexit », de même qu’en France avec les succès électoraux remportés par le Front national aux dernières élections municipales, alors que Marine Le Pen est en bonne position pour s’assurer une place au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017.
Le populisme d’extrême-droite et les dangers de la stigmatisation
Le populisme politique n’est pas un phénomène nouveau et il ne faut pas remonter très loin dans l’histoire du XXe siècle pour en retrouver les premières émanations. C’est ce que s’est attardé à faire le journaliste américain John B. Judis dans son récent ouvrage The Populist Explosion, récemment paru aux États-Unis. Si Judis démontre bien les racines anciennes du populisme américain, notamment à la gauche de l’échiquier politique avec des formations politiques telle que le People’s Party (ou Populist Party) et des personnages tel que Huey Long, le populisme d’extrême-droite, comme nous pouvons le voir aujourd’hui, présente quant à lui un visage plus inquiétant. En effet, le populisme politique n’est pas une « idéologie » à proprement parler, possédant une cohérence intellectuelle interne propre; il s’agit plutôt d’une posture, d’un type de discours qui s’articule autour de l’opposition entre le « peuple » (notion informe rarement définie) et les « élites », qu’elles soient politiques, médiatiques ou économiques. On comprendra rapidement que le populisme politique peut ainsi s’enraciner tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique, Bernie Sanders et Donald Trump offrant les deux exemples les plus flagrants et antinomiques.
Or pour J. Judis, le populisme de droite se distingue cependant du populisme de gauche par l’inclusion d’un troisième acteur dans la dynamique d’opposition peuple/élite, à savoir un ou des groupes minoritaires (les immigrants illégaux, les musulmans, les Afro-Américains, les homosexuels, etc.), vers lesquels les démagogues d’extrême-droite canalisent une partie de la grogne populaire, puisqu’ils sont considérés être « favorisés » par les élites libérales au pouvoir, aux dépends du « peuple ». « Leftwing populists champion the people against an elite or an establishment. Their is a vertical politics of the bottom and middle arrayed against the top. (…) Leftwing populism is dyadic. Rightwing populism is triadic. It looks upward, but also down upon an out group. » (The Populist Explosion, 2016, p. 15). C’est ainsi que nous avons vu Donald Trump parler des immigrants illégaux mexicains comme des « criminels et des violeurs », qui trafiquent de la drogue en sol américain. Le nouveau président a également proposé d’interdire à tout musulman de poser le pied aux États-Unis, accentuant cette idée que l’Amérique est prise d’assaut par des ennemis intérieurs et extérieurs qui ne partagent pas les traditions et codes culturels de la vieille Amérique blanche. Des traditions et une identité qui sont exaltées dans les discours des populistes d’extrême-droite qui avancent l’idée de retrouver une espèce d’âge d’or déchu – « make America great again! » – et ce faisant, incitent les électeurs à se retrancher dans un univers fantasmagorique qui n’a plus prise avec la réalité politique de leur pays. Un univers qui exalte les codes de l’hyper-masculinité, de la supériorité raciale blanche et de la puissance impérialiste américaine qui a vocation à réaffirmer sa puissance politique et militaire. Cette analyse était déjà présente dans les récents ouvrages publiés par le journaliste et essayiste américain Chris Hedges (Wages of Rebellion, 2015), notamment dans son livre American Fascists (2007), pour lequel Hedges est allé à la rencontre d’évangéliques américains s’étant réfugiés dans une certaine forme de pratique excessive de la religion afin d’atténuer les maux infligés par une société et un modèle néolibéral qui les laissaient de plus en plus pour compte. Ce sont ces mêmes Américains que nous avons vu s’exprimer, ces derniers mois, dans les rassemblements politiques de Donald Trump.
La tentation totalitaire
La présidence de Donald Trump inquiète en raison des tendances morbides qui semblent traverser son électorat, où le racisme, la xénophobie, l’islamophobie et l’homophobie semblent désormais s’exprimer sans aucune forme de retenue. Nous avons vu les rassemblements de campagne du candidat milliardaire être ponctués par de multiples épisodes de violence, où des protestataires pacifiques ont été agressés par une foule de partisans chauffés à blanc. Le candidat républicain a également reçu l’appui public de l’une des principales figures du Ku Klux Klan sans pour autant que cela ne provoque de distanciation formelle de la part de Trump. Ce même mouvement suprémaciste blanc dont les membres prévoient défiler en Caroline du Nord au début du mois de décembre afin de souligner l’élection de leur champion. Or, l’élection de Trump inquiète également en raison de l’accélération ces dernières années de l’édification de l’appareil sécuritaire américain, dont les potentialités orwelliennes ont été mises au jour par Edward Snowden et le scandale entourant la NSA, provoquant de ce fait une véritable chasse aux lanceurs d’alerte.
Ce que nous avons pu constater, depuis une quinzaine d’années, c’est la mainmise du monde financier sur la vie politique américaine, où les campagnes électorales se remportent à coups de milliards de dollars, l’argent de l’entreprise privée étant désormais canalisée vers les « super PACs », qui ne sont régis par aucun plafond de dépenses. Le récent cycle électoral ne fait pas exception à la règle : à la mi-octobre, Hillary Clinton et les groupes d’appuis privés qui lui étaient affiliés avaient levé près de 1,3 G$, dont près de 200 M$ récoltés par ces fameux « super PACs ». Le Capitole de Washington est quant à lui peuplé de milliers de lobbyistes qui, chaque année, influencent de leur argent les décisions prises par les législateurs américains. Donald Trump a par ailleurs intégré dans son équipe de transition de nombreux membres de l’establishment politique et financier, à commencer par Steven Mnuchin, ancien de la banque Goldman Sachs, qui a piloté la campagne de financement du candidat républicain et qui est présenti par certains pour devenir le nouveau secrétaire du Trésor. Cette mainmise de l’élite financière sur l’ensemble des leviers du pouvoir avait mené le politologue américain et professeur à Princeton Sheldon Wolin (1922-2015) à théoriser l’idée de « totalitarisme inversé » : alors que dans les régimes totalitaires classiques le pouvoir politique a parfois maille à partir avec le monde de l’industrie et de l’entreprise, le totalitarisme inversé se caractérise par le fait que l’État sert désormais de bras armé à l’entreprise privée.
Cette mainmise de l’élite financière sur l’ensemble des leviers du pouvoir avait mené le politologue et professeur américain Sheldon Wolin à théoriser l’idée de « totalitarisme inversé » : alors que dans les régimes totalitaires classiques le pouvoir politique a parfois maille à partir avec le monde de l’industrie et de l’entreprise, le totalitarisme inversé se caractérise par le fait que l’État sert désormais de bras armé à l’entreprise privée.
C’est ainsi que dans les dernières années, nous avons vu le gouvernement américain et ses agences infiltrer et briser des mouvements populaires d’opposition tels qu’Occupy Wall Street, infiltré par le FBI en intelligence avec de nombreuses instituons financières, comme l’ont révélé de nombreux documents rendus publics en 2012 . Encore récemment, les nations autochtones opposées au projet de pipeline dans le Dakota du Nord devant traverser les terres ancestrales Sioux de Standing Rock, se sont confrontées aux forces policières lourdement armées, voire même militarisées, dépêchées sur place afin de briser leur mouvement pacifique. Une militarisation des corps policiers américains également observée dans de nombreuses villes ébranlées ces deux dernières années par les meurtres de jeunes Afro-Américains par des policiers en fonctions, et où les manifestations et émeutes ont été matées par des agents disposant désormais d’un véritable arsenal paramilitaire. Une enquête du New York Times de 2014 révélait ainsi que depuis le 11 septembre 2001, et particulièrement sous l’administration de Barack Obama, les corps policiers américains avaient bénéficié, soit en transfert direct d’équipement ou en garantie de prêts de la part du département de la Défense, de près de 39G$ en équipements militaires (chars blindés, hélicoptères, armes d’assaut, lunettes de vision de nuit, etc.).
Dans ce contexte, la tentation totalitaire risque de se faire sentir lorsque les citoyens américains ayant voté pour Donald Trump, déçus de constater que leur champion mène une politique favorable à la même élite financière à laquelle il s’était pourtant opposé, tout en poursuivant le mouvement de dérégularisation de l’économie, seront alors tentés de s’opposer publiquement à l’administration républicaine. À ce moment, et considérant la puissance des systèmes de contrôle mis en place par le gouvernement américain depuis plus de quinze ans, les choses deviendront complètement imprévisibles…
Bien d’accord. Mais je met un bémol sur le dernier paragraphe.
La tentation totalitaire ne se fera pas sentir quand les partisans de Trump vont constater qu’il « mène une politique favorable à la même élite financière à laquelle il s’était pourtant opposé, tout en poursuivant le mouvement de dérégularisation de l’économie ».
Ils vont plutôt être en colère de voir leur situation continuer de se détériorer et « l’élite » financière et politique s’engraisser toujours plus. Mais ils ne vont pas, majoritairement, se retourner contre leur « Messie », ils vont plutôt applaudir à chaque geste que celui-ci posera contre « l’élite gauchiste » qu’Il ne manquera de leur désigner comme les responsables de leurs malheurs. Par exemple quand il va s’attaquer (comme promis) aux journalistes et aux médias qui lui déplaisent. Puis aux groupes féministes, écologistes, de défense des minorités, …
Dans ma jeunesse, j’ai beaucoup étudié la montée du nazisme. Et j’ai constaté qu’Hitler lui aussi se présentait comme le défenseur du peuple contre l’establishment (je ne dis pas que Trump est comme Hitler à tous points de vue). Et lui aussi, une fois au pouvoir, a collaboré main dans la main avec les financiers et les fabricants d’armes (après avoir écrasé l’aile « gauche » du parti dans la Nuit des longs couteaux). Et malgré les dérapages constants de son régime, la corruption endémique, les abus des meneurs de son parti (de véritables gangsters dans leur comportement), les abus de pouvoir fréquents des forces policières et des SS, Hitler est toujours resté très populaire, les gens mettant la faute sur son entourage et sur l’Ennemi (les Juifs et la « gauche »). Il a fallu attendre 1943-44 et la perte évidente de la guerre pour que sa popularité en souffre.
Je ne m’attend donc pas à ce que beaucoup de pro-Trump se retournent contre lu, même si les choses venaient à se passer totalement à l’envers de ses promesses. Au contraire, il pourra même s’appuyer sur les plus extrémistes d’entre eux pour renforcer son pouvoir et écraser les oppositions.
Il suffit de lire les réactions à la nomination de Stephen Bannon. Plein de commentaires pro-Trump prétendant que le type n’est pas un raciste, misogyne, antisémite, … et que l’affirmer c’est de « la propagande des médias de l’establishment ».