BloguesLe blogue de Pierre-Luc Brisson

Un enterrement de première classe

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Une grande murale honorant Janine Sutto a été dévoilée en 2016, dans l’arrondissement Ville-Marie, à Montréal.

Alors que les hommages continuent de se multiplier, sur la place publique, au lendemain de l’annonce du décès de la comédienne Janine Sutto, on apprenait aujourd’hui que le gouvernement du Québec n’entendait pas souligner sa mémoire par la tenue de funérailles nationales. Selon le journaliste Jean-François Lépine, gendre de la disparue, ce type d’hommage officiel est réservé, d’un point de vue protocolaire, à ceux qui ont contribué au rayonnement du Québec sur la scène internationale. Soulignant les hommages nationaux récemment rendus par le gouvernement à certaines personnalités disparues, Lépine affirmait, dubitatif : « Ce n’est pas toujours évident, leur carrière internationale, dans certains cas, mais en tout cas! » Or, le site Internet du Ministère des affaires internationales du Québec  souligne pourtant que les funérailles nationales « sont réservées aux personnalités qui ont marqué la vie politique, culturelle ou sociale du Québec, selon une décision du gouvernement. » C’est donc dire que dans le cas présent, le premier ministre et son gouvernement n’ont pas jugé bon d’honorer les soixante-dix années de contribution de Janine Sutto à la vie culturelle québécoise, autrement qu’en offrant à sa famille un soutien logistique dans l’organisation des cérémonies privées.

Le même gouvernement n’a pourtant pas hésité en 2016 à offrir les hommages de la Nation à René Angélil, qui fut exposé en chapelle ardente à la basilique Notre-Dame de Montréal, alors que le fleurdelisé fut mis en berne sur les édifices publics le jour des obsèques, comme le prévoit le protocole. L’ancien joueur du Canadien de Montréal, Jean Béliveau, a reçu les mêmes honneurs en 2014, de même que le ministre libéral Claude Béchard – dont l’activité de législateur ne marquera sans doute pas les annales politiques de l’histoire du Québec – terrassé par un cancer à l’âge de 41 ans. Janine Sutto n’aura pas droit à ces hommages officiels, et ce, malgré son rôle dans la fondation du TNM, malgré toutes les pièces, les téléséries, les films dans lesquels elle a joué et malgré soixante-dix années de carrière qui ont accompagné l’évolution culturelle du Québec, des années 40 à aujourd’hui.

C’est un véritable enterrement de première classe que le gouvernement du Québec réserve aux artisans du milieu culturel québécois.

C’est un véritable enterrement de première classe que le gouvernement du Québec réserve aux artisans du milieu culturel québécois. Alors que l’on avait porté en terre l’imprésario de Céline Dion avec tous les honneurs, on a souligné avec une triste indifférence la vie de l’auteur et dramaturge Marcel Dubé, décédé quelques semaines plus tard. Aucun hommage officiel pour l’auteur de Zone et d’Un simple soldat, alors que l’on mettait en berne le drapeau national pour l’époux d’une grande chanteuse, mais dont l’œuvre personnelle sera sans doute moins pérenne que la contribution culturelle de ces artistes immenses.

Les commémorations nationales sont des temps d’arrêt important dans la vie d’une société. En choisissant d’honorer la mémoire et la contribution politique, culturelle ou sociale d’une personne, l’État exalte en quelque sorte les valeurs qu’il entend incarner et promouvoir auprès de la population.

Le choix du gouvernement de spontanément honorer la mémoire de hockeyeurs ou de membres du milieu du showbiz, et ce, avant celle de comédiens ou de dramaturges dont la contribution fut pourtant immense, en dit long sur l’état de notre société.

Le choix du gouvernement de spontanément honorer la mémoire de hockeyeurs ou de membres du milieu du showbiz, avant celle de comédiens ou de dramaturges dont la contribution fut pourtant immense, en dit long sur l’état de notre société. Une société où les divertissements bon marché et le sport professionnel sont portés au pinacle, alors que l’art, qui nous définit pourtant en tant que peuple et qui marque notre identité à la face du monde, suscite au mieux une indifférence générale chez nos dirigeants. Voilà de bien sombres perspectives, alors que le rideau tombe sur la vie de Janine Sutto, une femme si petite, mais dont la contribution fut si grande.