Daniel Menche : amour, tendresse et harsh noise
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Daniel Menche : amour, tendresse et harsh noise

– Concert de Daniel Menche à Suoni per il Popolo –

Musique noise lors du festival Suoni per il Popolo
Musique noise lors du festival Suoni per il Popolo

Ils étaient en forme, le 18 juin au soir. Roche Ovale, Céline Bion, Riccardo Lucchesi, Hyena Hive, Daniel Menche et l’artiste mystère du projet Musique Extrême de Eeyou Istchee, avaient bien du noise à faire déferler sur nos oreilles, et ils s’en sont donnés à cœur joie. Rassemblant divers numéros de la scène noise québécoise, ce concert avait lieu au bar La Vitrola devant une quarantaine de personnes, une co-présentation du festival Suoni per il Popolo et Island Frequencies. Cette plateforme pour les musiques expérimentales organisent mensuellement des soirées de musique électronique, noise et électroacoustique et des événements comme le concert de samedi.

Composé d’Étienne Legast, de David Martin et de Marc-André Provencher, le trio Roche Ovale donnait une performance de comprovisation accompagnée d’une vidéo vraisemblablement en temps réel. Hors des trois synthétiseurs sortait un son à vif, dense et assez bien orchestré. Tout au long de la trentaine de minutes de ce jam plutôt structuré, les membres ont démontré leur plaisir à empiler des sons électroniques rudes et crus. Cette esthétique, tout à fait en ligne avec la « tradition » noise, pourrait tout de même être raffinée. En jouant telle note un octave plus grave, en baissant 3 dB par ci, et 6 dB par là, leur musique sera encore plus poignante.

Le numéro de Céline Bion était traversé par des moments de grâce: rythmes de dur à cuire, cassettes analogiques éraillées, sons de toussotements désintégrés de façon superbement musicale… De si beaux sons auraient été d’autant plus touchants si la direction de musicale avait été plus claire. Ici, on passait plutôt d’un élément à un autre, sans qu’il y ait de développement. La fin sèche et les quelques silences (assez longs) donnaient l’impression que l’improvisation était totale.

Il a fallu attendre la Musique Électronique Extrême De Eeyou Istchee avant d’ouvrir les écoutilles. Après un boom! qui nous a pris par surprise, on savait que l’artiste d’origine autochtone (Eeyou Istchee est un territoire dans le Nord-du-Québec réservé à la nation autochtone des Cris) ne nous ferait pas de quartier. Armé d’un maracas collé contre un micro, il nous a fait la tendresse avec 100 dB de buzz, de hurlements de feedback et de distorsion. Placé à genoux, il était complètement affalé sur lui-même, comme écrasé par toute la souffrance qu’il infligeait au son. La performance a pris fin alors qu’il était à demi-versé hors de la scène, arrachant les fils de sa console qu’il a presque foutu à terre. Du noise dans une de ses formes les plus pures. Du grand art.

Les choses n’allaient pas dérougir avec Hyena Hive, mais avant, Riccardo Lucchesi avait deux, trois choses à nous dire. Ses basses physiques et ses improvisations d’oscillateurs analogiques étaient combinées à un enregistrement de voix, volontairement transformé afin d’être inintelligible. Les sons semblaient plus changer que la forme, un peu stagnante, mais les applaudissements du public indiquaient plutôt que la pièce avait fait mouche, et que Lucchesi pouvait bien se dire satisfait.

Hyena Hive. Crédit : Michele Sica IV
Hyena Hive. Crédit : Michele Sica IV

Dans la veine de Musique Extrême, Hyena Hive faisait dans le très très sale. Le duo a pris la salle d’assaut à 23h28. Affublé d’une cagoule, le bassiste circulait en rond autour du public qui s’était rapproché. Son micro était braqué sur sa bouche comme une arme, pendant que son acolyte était à quatre pattes au-dessus d’un impressionnant système de pédales d’effets. Les lumières stroboscopiques projetaient sur les visages du public l’ombre de cette créature, mi-homme, mi-animal, qui semblait prête à ramper dans un abîme fait de misère humaine. Il tirait son collègue par la jambe et lui mettait des coups dans le tibia. Des samples de batterie, un peu molle, mais primale, rythmaient cette performance aux allures infernales. Nous étions fins prêts pour Daniel Menche…

Pointure de la scène de musique expérimentale, cette artiste d’origine américaine frôle deux fois la cinquantaine. À 46 ans, il a lancé près d’une cinquantaine d’albums depuis le début de sa carrière en 1993. Certainement l’artiste avec le numéro le plus élaboré de la soirée, Menche a usé de quelques instruments inusités, comme un monocorde (instrument utilisé par Pythagore pour établir des rapports entre les mathématiques et la musique) qu’il articulait avec un archet de contrebasse. Également, une longue barre de métal que le musicien collait contre sa gorge afin qu’elle capte les vibrations de ses cordes vocales. Avec cet arsenal, transformé par une pléthore d’effets, Menche était complètement déchaîné. Agitant les cheveux de façon frénétique, il semblait inarrêtable, atteignant une des limites de l’intensité qu’il est possible d’atteindre avec la musique.

En somme, un spectacle qui s’est très bien enchaîné avec des artistes dont l’intensité n’est plus à prouver. Quoi qu’on en dise, il y a souvent une part de sensibilité qui habite en chaque chose, et même quelque chose d’aussi brutal que le harsh noise nécessite de l’amour pour exister.

Un merci à Island Frequencies et son équipe pour l’organisation.