Manuel Barrueco : une poésie d’Espagne
– Concert de Manuel Barrueco à la salle Bourgie –
Manuel Barrueco occupe une place iconique dans le répertoire de la guitare classique. Dans 50 ans, lorsque l’on voudra entendre la musique de Barrios, Aguado ou Brouwer, on retrouvera certainement parmi nos références des enregistrements de ce guitariste cubain, reconnu comme l’un des meilleurs musiciens de son temps.
Cette légende vivante nous rendait visite le mercredi 12 avril afin de donner, à la salle Bourgie, un concert intitulé « La guitare espagnole ». Au programme de ce spectacle produit par la Fondation Arte Musica et la Société de Guitare de Montréal, des œuvres de Fernando Sor, Enrique Granados et Manuel de Falla, tous trois compositeurs originaires des régions de Catalogne et d’Andalousie respectivement.
Quelques notes d’Espagne
En ouverture, Barrueco a enchaîné, par groupe de deux, six des douze Danses espagnoles de Granados. Dans ces œuvres de piano réarrangées pour la guitare, le compositeur, guitariste et pianiste Granados n’a repris aucun thème traditionnel du folklore ibérique. Pourtant, chaque danse comporte une mélodie accrocheuse, comme si elle était inspirée d’un chant populaire. Barrueco les a jouées sans exubérance, avec retenue. Cette interprétation tendre de ces thèmes à saveur festive a permis de sublimer la poésie et le lyrisme de cette musique, et l’on s’est plu à rêver des nuits chaudes d’Espagne.
Après cette pièce, on voit mieux où veut en venir le guitariste McCutcheon lorsqu’il dit que le jeu de Barrueco est « très pianistique, quasi chanté ». Après avoir présenté l’artiste en début de concert, McCutcheon avait annoncé que la soirée était en quelque sorte un hommage à la mémoire du regretté Roland Dyens. Décédé en 2016, il était une figure d’importance de la guitare classique.
Manuel Barrueco : guitariste virtuose
Si le style pianistique de Barrueco fut également mis en valeur lorsqu’il arriva au compositeur Fernando Sor, il temporisa le lyrisme, préférant se lancer avec aplomb dans la virtuosité. À ce titre, son interprétation des variations sur un thème de Mozart fut particulièrement impressionnante. On dit que le maître d’un instrument donne l’illusion qu’il est facile d’en jouer si aisément. Barrueco en fit la démonstration lors des Cinq pièces extraites de El Sombrero de très picos et de El Amor brujo du compositeur Manuel de Falla. Les passages de paso doble furent l’opportunité de multiplier les rasgueado et d’offrir l’un des rares moments du concert où la dynamique attegnit fortissimo.
DEUX RAPPELS POUR LA FIN
On était encore subjugué par la virtuosité de Barrueco lorsqu’il revint sur scène pour un rappel. Après un arrangement d’une sonate de Domenico Scarletti, jouée à une vitesse prodigieuse, le guitariste émérite prit un moment pour nous adresser quelques mots au sujet de son père qui avait passé du temps à Montréal, il y a de cela plusieurs décennies. Le concert prit fin avec un second rappel : une danse vénézuélienne d’Antonio Lauro.
Les seuls bémols de la soirée : on se sent mal pour les nombreuses personnes qui n’honorèrent pas leur billet (le concert affichait supposément complet) et pour les longs moments que le guitariste dût prendre pour s’accorder, en vain, puisque la guitare faussait malgré ses efforts, donnant raison à cet adage taquin : « Le guitariste passe la moitié de sa vie à s’accorder, et l’autre moitié à jouer faux. »