Basalte : roc noir métal
– Critique de l’album « Vertige » de Basalte –
Les oreilles plaquées au sol. Le corps engourdi par la froideur des hivers québécois. La peau faite de marbre craquelée. C’est ainsi que « Vertige » prend forme humaine et que Basalte redonne corps à sa musique.
Le son : mélodies de glaise
Le basalte est une roche volcanique de couleur noire. Présent dans la croûte océanique de la Terre, il forme également sur la Lune de grandes plaines appelées « mers lunaires », et ces étendues basaltiques sont aussi observables à la surface de Mars, Vénus et Mercure. Pourtant, rien dans la musique de Basalte n’est tourné vers le ciel. Mis à part un intérêt pour le vide cosmique au cœur de l’âme humaine, « Vertige » a été sculpté dans le magma chaud de la planète, puis refroidi et transformé par des éons d’ère glaciaire. Ce deuxième album du quatuor montréalais n’a pas non plus la texture vitreuse et lisse de l’obsidienne, une autre roche magmatique. « Vertige » est rugueux à l’écoute, crasseux, comme un roc sonore trempant dans la slush de l’avenue Mont-Royal. Au lieu d’être monolithique, cette musique est une entité polymorphe, fermement encastrée dans le post black metal et pigeant ça et là dans une multitude de genres musicaux. Alliant les mélodies de .deafheaven. à la production quasi lo-fi de Cloak of Altering, les chansons sur « Vertige » sont replètes de batterie punk, de riffs à la stoner metal et par moment de musique électroacoustique noise.
LA COMPOSITION : méticuleuse et tourmentée
L’auditeur sera interpelé dès l’introduction de « Ce que le corps doit au sol », sombre et atmosphérique. Des sifflements de guitares entretenues par un archet électronique s’enfilent par-dessus une vase sonore grave, elle-même surplombée par des pincements de cordes métalliques. Des intermèdes comme celui-ci sertissent chacune des pièces de l’opus, entrelaçant les morceaux en un tout suivi. Bien loin de pêcher par prétention ou mauvais goût, ces interludes sont en fait une composante essentielle de l’expérience de l’album, et indiquent un souci du détail et un grand sens de la composition. En quelque sorte, « Vertige » a la forme d’une histoire continue, un grand voyage dans la vacuité de l’existence humaine, voyage jalonné de pièces variées et imprévisibles, de rage et de détresse glaciale.
C’est du lourd… avec beaucoup de variété!
Les 4 chansons sont basées en grande partie sur un feu roulant de tremolo picking, de cris orchestrés, de batterie implacable et d’harmonies dissonantes à la guitare clean. Ces dernières offrent souvent un répit apprécié, et permettent à l’auditeur de respirer avant d’être replongé dans une bourbe de blast beat et d’élans mélodiques. Après la lyrique « Ce que le corps doit au sol », on enchaîne avec « La sclérose coule dans ses veines », et l’on est tout de suite frappé par la lourdeur de la ligne de guitare. Rythme lent et oppressant, grommèlement ténébreux et grognement guttural… On croirait assister à la marche d’un mort-vivant couvert de croutes et de chair scarifiée. Le groupe fait succéder à cette lenteur d’agonie le passage le plus déconstruit de l’album, et l’auditeur est jeté tête première dans un chaos de trémolo et de groove de batterie d’un instant à l’autre. Basalte alterne ainsi entre montées et descentes, entre frénésie déchaînée et intermezzos chagrinés, ce qui donne, étonnamment, une impression générale d’équilibre.
Plus courte pièce de « Vertige » à 9 minutes (les trois autres approchent le quart d’heure), « Acouphène » détient l’entrée en matière la plus dynamique de l’album, mêlant un riffing punk accrocheur, un hi hat bien cochon et des mélodies déchiquetées sans oublier quelques notes de piano sur fond de feedback distorsionné. S’il est une telle chose qu’un single sur cet album, « Acouphène » occupe assurément le titre.
Toujours dans un esprit de variété, le morceau « Éclat de verre » débute sur un rythme ternaire, presque valsé. Cette dernière danse de l’album contient un solo vocal tout à fait déchirant. Les accords de guitare meublent délicatement le vide d’une petite pièce dans laquelle l’un des chanteurs s’égosille éperdument. Chez Basalte, la chute vertigineuse ne se fait pas dans un éther intersidéral de réverbération. L’être se replie plutôt dans ses limbes intérieurs, et les notions d’éloignement et de profondeur disparaissent complètement alors qu’il s’affaisse entièrement en lui-même.
Dans les bémols
L’album est parcouru de longueurs, et celles sur « Éclat de verre » se font particulièrement sentir. Après l’instant de discorde vocale sus-mentionné, la pièce commence malheureusement à traîner, malgré une mélodie très réussie à la guitare, et l’impression de se faire resservir la même chose sévira pendant plusieurs minutes encore. Par endroits, l’album aurait gagné à être écourté. La fin est toutefois sauvée avec un silence bien ponctué et une conclusion épique, superbe même. Dans les paroles finales, on peut lire ceci : « Je tombe sans cesse dans les limbes de mon tourment, condamné à ce cycle perpétuel. » Malgré cette déchéance, la fin de « Vertige » induit plutôt une colère de célébration, un refus invincible qui prend fin de façon abrupte, en un coup sec de cymbale où tout est dit.
Côté production, il n’est pas clair dans quelle proportion le rendu sonore a été guidé par un choix esthétique ou par des décisions malavisées. Sur le premier album du groupe de 2014, l’esthétique moins authentique avait au moins le mérite d’être plus transparente. Dans « Vertige », les guitares systématiquement à l’avant-plan et les voix et batterie en retrait donnent un mixage trop opaque. La compression dynamique en particulier freine les gestes plus surprenants et nuit à leur capacité de se saisir de l’auditeur. Les premières productions de black métal étaient notoires pour leur faible qualité d’enregistrement, une tendance qui, pour certains, est devenue la signature du genre. Certains avanceront donc que la rudesse des enregistrements donne un certain caractère à la musique. Ici, elle s’avère contreproductive, et l’auditeur pourra se sentir interdit de la pleine poésie et d’émotions que Basalte souhaite déployer. De fait, affirmer que le genre justifie ces erreurs est à remettre en question.
CONCLUSION
Mis à part cette tare à laquelle d’innombrables groupes ont succombé pour leurs premiers albums (et au-delà pour certains), on retiendra deux choses de « Vertige » de Basalte : d’une part, le talent incontestable de ses musiciens et, d’autre part, un intérêt pour leur prochain concert et pour les chemins qu’ils prendront dans leurs compositions futures.
« Vertige » est le second album du quatuor montréalais Basalte. Il est sorti le 13 février 2018.