Socalled : rappeur et réalisateur porno
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Socalled : rappeur et réalisateur porno

– Projection du film The Housesitter de Socalled au Cinéma l’Amour –

The Housesitter (2018) réalisé par Socalled
The Housesitter (2018) réalisé par Socalled

J’essaierai tout ce qui est légal une fois ou presque : sauter en parachute, manger de la langue de porc, aller voir un porno gai au Cinéma l’Amour.

Critiquer du gay porn quand on est hétéro, c’est un peu comme écrire sur un album jazz quand on est spécialisé en death métal. Difficile de savoir par où commencer ! Essayons avec le backstory, parce que l’histoire derrière la création du film The Housesitter, c’est 50% de la raison pour laquelle j’ai décidé de me rendre, le 27 septembre au soir, dans LE cinéma érotique du boulevard Saint-Laurent.

De rappeur à pornographe

Le rappeur montréalais Socalled, Joshua Dolgin de son vrai nom, est la figure de proue du hip-hop klezmer, un mélange de rap multiculturel, de musique juive d’Europe de l’Est et de langue yiddish. Touche-à-tout, dans son rap comme dans sa pratique artistique, ce marionnettiste, pianiste, DJ et photographe, est devenu, le temps d’un film, réalisateur de porno. C’est lors d’une date GrindR, une dating app pour la communauté LGBTQ+, qu’il a rencontré le adult performer River Wilson. Durant le rendez-vous, l’acteur a confessé son écœurantite vis-à-vis les films pornos: scénario écervelé, aucun sens de l’esthétisme… Quand allait-il ENFIN trouver le visionnaire qui mènerait ce foutu genre en dehors des sentiers fangeux? Vous l’aurez deviné, il allait être exaucé! En janvier 2018, Socalled s’est rendu au chalet de ses parents dans le coin de Gatineau, et a tourné The Housesitter avec Wilson et le danseur contemporain et acteur Valentin Braun. Le synopsis : un quidam vient arroser les plantes d’une amie durant son absence. La rencontre hasardeuse avec un voisin qui promène son chien va donner lieu à de torrides ébats…

Socalled, River Wilson, le chien de Socalled et Valentin Braun (de gauche à droite)
Socalled, River Wilson, le chien de Socalled et Valentin Braun (de gauche à droite)
Entre art et pornographie

Si The Housesitter a été associé au chef d’œuvre filmique Call Me By Your Name (2018) mais avec plus d «action», il ne faut pas se leurrer non plus. Ça demeure un porno : verges engorgées, sodomie interraciale… tout y est, et parfois même en gros plan. Toutefois, ce n’est pas seulement un porno. Centré sur un seul couple, le film réussit le pari de montrer la beauté de la sexualité, car il y a bel et bien du beau dans ces corps racés aux allures de statues grecques. Il y a du vrai dans ces êtres qui, s’épuisant l’un sur l’autre, tombent morts, brûlés d’amour et le corps en cendres pour citer Jacques Brel. Il y a de l’intimité dans cette extase mutuelle, à un point tel qu’on croit voir une house tape d’un couple authentique. Bref, on est loin de la vulgarité et des rapports de domination si communs dans les pornos américains.

L’entrée par le portique interdit

Impossible de passer sous silence le contexte qui valorise beaucoup le visionnement. Jeudi soir, à 22h50, je vois un line up s’étendre sous l’enseigne jaune blafarde du Cinéma l’Amour. Il y a quelques filles, surtout des gars. Je dois l’admettre, l’autre 50% de ma motivation à être ici, c’est une curiosité plutôt friponne. On ne se le cachera pas, voir la première de The Housesitter, c’est l’occasion politiquement correcte de pénétrer de façon éhontée par l’entrée taboue de cet endroit de vices, et ce, sans passer pour un pervers. En me mettant en file, je m’imagine les innombrables passants, qui, se promenant sur Saint-Laurent, ont tournés la tête, l’espace d’un instant, sans trop se faire remarquer, pour regarder les posters de films coquins affichés dans les vitrines du cinéma. À l’intérieur, il y a une ambiance plutôt amusante : odeur du popcorn frais, kiosque de clés USB en forme de phallus (USB sticks devient USB d**ks), affiches rigolotes du genre «3D is not as great as 36D»… Arrivé dans la grande salle de projection, il y a quelque chose de lynchien dans ces murs blanc et rouge, ce stuc écorné et kitsch et ce plafond immense avec des morceaux de peinture arrachée, comme un Club Silencio dans le film Mulholland Drive, mais en plus trash.

La projection : légère et décontractée

À 23h20, Socalled et ses chanteurs s’installent sur scène. Habillé d’une chemise blanche et d’une cravate piano, il s’assoit justement à un petit piano à queue (sans jeu de mots) : les musiciens exécuteront la trame sonore en direct durant la projection. Après seulement quelques minutes, celle-ci doit être arrêtée. Effectivement, la bande sonore du film était inaudible ! Socalled s’exclame débonnairement : «I love you and thank you so much for coming, but there is no sound! I spent f***ing months working on this movie. I think it’d be nice if there was sound.» En guise d’intermède, il enchaîne deux morceaux, notamment You Are Never Alone de son album Ghettoblaster (2007) qu’il conclue en disant «Let’s watch porno!».

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Il y a de l’humour taquin dans The Housesitter. Quoi de mieux qu’un effet sonore hollywoodien pour marquer le «point culminant» d’une scène où River Wilson s’auto-gratifie devant un foyer? Et que dire de l’attendrissement ressenti lorsqu’un beau gars en bobettes dans sa cuisine fait des brownies pour séduire son amant? Entendons-nous, des zizis gonflés qui entrent et sortent d’orifices, c’est pas l’affaire de tout le monde (moi le premier), mais il y a indéniablement quelque chose d’attachant dans ce spectacle. Les scènes surréalistes de rêve comportent des idées intéressantes: masques à la Eyes Wide Shut de Kubrick, flash frames de corps dans un sauna, montage très réussi où River Wilson révèle le corps de Valentin Braun en ouvrant le couvercle d’un piano. Le clavier devient alors une allégorie du corps sur lequel Wilson dépose littéralement ses doigts. Si les scènes de fesses, faute de les trouver émoustillantes, me paraissent interminables, je dois reconnaître qu’elles sont «véridiques». Oubliez la gymnastique spectaculaire des grosses productions de Los Angeles. Les acteurs trébuchent dans leur pantalon, se cognent sur une lampe dans un élan de passion… Ils nous emmènent avec eux dans cet entre-deux de l’hors-temps et de l’instant présent procuré par l’enivrement du sexe. Côté musique, Socalled enchaîne les duos piano-voix en anglais, français, yiddish et j’en passe. Entre Slaughter On 10th Ave. et une reprise de Diane Tell, il se sert d’un prélude de Chopin comme thème, tout en agrémentant le film avec des pièces à saveur soul. Même si j’ai de la difficulté à déterminer quelle musique est appropriée pour une scène de fellation, la présence de musiciens sur scène ajoute définitivement à la soirée. À tout le moins, ça permet de regarder autre chose quand des pénis hauts de 6 pieds apparaissent sur l’écran géant.

dU bon cœur… et Un craftsmanship à revoir

Pas de doute, on retrouve dans The Housesitter la beauté dont la plupart des films pornos actuels manquent. Toutefois, le film est rempli d’erreurs de production qui nuisent au visionnement de l’auditeur : pixellisation des images durant les moments de faible luminosité, colorisation inégale, édition sonore houleuse, bruit de fond qui enterre le peu de dialogue inintelligible, caméra plutôt branlante, fondus au noir maladroits… Sur le plan technique, The Housesitter n’accote pas les pornos qu’il critique à sa façon, mais il faut donner à son créateur le mérite d’avoir fait un film avec énormément de bon cœur, et, juste pour cela, on peut apprécier le film dans le contexte de la soirée. Si le film a confirmé mon ouverture d’esprit (et mon orientation sexuelle hétéro), il remportera certainement un succès auprès des membres de la communauté gaie. Preuve à l’appui, le public majoritairement masculin a acclamé le film dans un tonnerre d’applaudissements après la projection. Concluons sur ces belles paroles du générique : «Be responsible. Have protected sex.»

Socalled sortira très prochainement son tout nouvel album Di Frosh, maintenant disponible sur iTunes.

The Housitter, film réalisé par Socalled
projeté dans le cadre de POP Montréal
27 septembre 2018, à 23h
Cinéma l’Amour

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The Housesitter: A Socalled Film (trailer) from Josh Dolgin on Vimeo.