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Pour en finir avec Simon

Dans ma plus tendre enfance, mes parents habitaient une vielle maison de 1924 en briques rouge. Mes souvenirs de cette période de 0 à 5 ans ne sont que du bonheur. Rien à redire, j’ai eu une belle enfance. À côté de chez moi vivait Simon[i]. Je n’ai pas de véritable souvenir de celui-ci comme mon voisin, mais il le fut. Simon et moi étions deux petits garçons, tout ce qu’il y a de plus banal.

Puis, vient l’usure, le temps, la vie quoi. Plus on a de vécu, plus nos « chances de malchances » se multiplient. Les deuils s’accumulent, les mauvais souvenirs, les déchirures, les erreurs, les regrets et les remords. Comme le dit si bien ce chanteur moins populaire qu’avant : tout le monde est triste. Mais, on vit avec notre bagage. Toujours de plus en en plus lourd. Parfois, quand on y repense, on déprime un peu, puis la vie continue. On s’accroche un sourire quotidiennement, comme certains enfilent machinalement un habit. Comme je dis annuellement à mes étudiants, la vie est une onde sinusoïdale (ou une représentation d’un cosinus, dépendant d’où l’on part…)

Et puis voilà, on ouvre Facebook, ce journal pas si intime que ça, pour apprendre par un ami que Simon avait décidé que c’était la fin. Simon a terminé sa route, il y a quelques jours. Simon ne vieillira plus, il demeurera pour le reste des jours de ceux qui l’ont connu un homme de 34 ans.

Je ne connaissais pas vraiment Simon, mais je pense à lui tous les jours depuis.  Évidemment, on a toujours la même histoire : « il n’a pas donné de signes », « je l’ai
vu avant-hier ! », « il avait l’air de bien aller ».

Ce n’est pas la première fois qu’un Simon n’existe plus de cette façon. De temps en temps, un Simon s’enlève la vie, comme ça, sans avertir. Il décide à un moment précis le moment de ses derniers pas.

Quand on parle de suicide, on parle souvent de dépression, de bipolarité, etc. Mais, rarement on parle d’erreur. Jamais on ne parle de ces parcours sans faute. Jamais on n’aborde le fait qu’une personne pouvait aimer la vie, mais ne plus voir clair. Il arrive que nos problèmes soient soudains, mais juste trop grands pour nous : rien de plus difficile de vivre avec des problèmes autogénérés.

Je ne sais pas pourquoi Simon n’est plus Simon. Je ne sais pas pourquoi il ne voulait plus être Simon. Je ne peux pas m’empêcher de penser à notre « nous » collectif. Celui qui juge sans connaître, si sévère avec tous et chacun. Prêt à crucifier le premier venu sur la place publique, parce qu’il n’a pas été parfait. Parce qu’il a merdé, parce qu’il a fait une erreur.

Dans toute cette violente critique véhiculée par les médias, je ne peux m’empêcher de penser à notre climat de vie stérile. On « turcottise » le moindre écart de conduite, on le décortique, on le juge et on le condamne d’avance.

Dans ce monde où tout se décrit comme blanc ou noir, alors que la réalité est d’un gris permanent, notre culture sociale ne tient-elle pas la gâchette ? Parce que l’erreur est souffrante, mais l’appréhension des conséquences de l’erreur peut parfois sembler fatale. Et si notre société « turcottisée » se cherchait constamment un ennemi à
haïr ?

Simon, ça aurait pu être vous, ça aurait pu être moi. Rien ne nous distingue, il est peut-être juste tombé sur la mauvaise case, subséquemment à un mauvais roulement de dés.

Il parait qu’il faut marcher 500 miles dans les souliers d’un homme avant de poser un jugement sur lui. Car au bout des 500 miles de chaque être humain, il y a une oasis, monochrome  et grise.


[i]
Simon est un nom fictif (de remplacement), pour les raisons que vous  comprendrez.