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« Con$truction »

Le Gouvernement du Québec vient de découvrir que le travail au noir est généralisé dans le domaine de la construction. On crie au scandale et on mandate la CCQ de récupérer les sommes perdues.

L’aveu du Président de l’Association de la construction du Québec (ACQ), Jean Pouliot, en fait sursauter plus d’un à l’Assemblée nationale. En effet, ses propos étaient rapportés dans un article publié le 2 juillet dernier dans La Presse: « Les employeurs sont (…) contraints de faire travailler des salariés le samedi sans le déclarer aux autorités fiscales », avouait-il. L’ACQ soutient que même si ses membres veulent éviter le travail au noir, le « dogmatisme » des syndicats « rend l’honnêteté quasi impossible dans l’industrie ».

Pourtant, ce n’est pas la déclaration de Jean Pouliot qui était le premier indicateur de l’aveu de la fraude fiscale de l’industrie. La véritable dénonciation est venue de l’Alliance syndicale de la construction. En affirmant que « les travailleurs de la construction gagnent 35 $ l’heure ce qui, compte tenu du nombre d’heures travaillées, représente 35 000 $ par année en moyenne », l’Alliance voulait démontrer que le salaire des employés de la construction était faible. Pourtant, les deux statistiques juxtaposées ne font aucun sens si
on se met à les relativiser. Il y a trois conclusions possibles :

1)    Un salaire de 35 $ l’heure équivaut à 70 000 $ par année sur une base de 40 heures par semaines et 50 semaines de travail par année (2000 heures). En d’autres termes, le salaire moyen à l’heure de cette industrie semble plus qu’appréciable. Notons que le niveau d’études nécessaire de cette industrie est majoritairement un diplôme d’études professionnelles. Ainsi, le rendement par rapport au temps d’étude semble plus que raisonnable.

2)   Si un travailleur gagne en moyenne 35 $ l’heure et ne gagne que 35 000 $ officiellement, cela signifie qu’en moyenne, il travaille 6 mois par année. En fait, comme il touche possiblement du chômage, le montant de 35 000 $ inclurait le chômage. Comment est-ce possible qu’en moyenne les employés ne travaillent pas plus de 6 mois par année? N’est-il pas logique de toucher « que 35 000 $ » annuellement lorsqu’on ne travaille que la moitié du temps?

3)   Troisième possibilité : travail moyen de 20 heures par semaine. La troisième possibilité serait qu’en moyenne, le travailleur moyen œuvre dans son domaine à 50 % du temps. En somme, présenter un salairemoyen déclaré de 35 000 $ à un taux réel de 35 $ l’heure, c’est illustrer les possibilités suivantes :

1)  L’employé ne travaille pas à temps plein

2)  L’employé profite du chômage de façon prolongée annuellement

3)  L’employé travaille au noir

4)  Un amalgame de toutes ces possibilités.

Maintenant, pourquoi le travail au noir est-il si répandu?

Du côté de la CCQ, on pourrait comprendre que les charges totales de cette industrie commencent à dépasser l’entendement. Quand le client veut engager un charpentier-menuisier pour faire des divisions de pièces de son sous-sol, il n’a pas l’impression qu’il doit payer davantage que pour le travail à effectuer.

Pourtant, en plus du salaire horaire à payer à l’employé, le client du secteur de la construction peut se retrouver à payer implicitement les montants suivants si son projet doit être soumis à certaines règlementations de la CCQ:

  • Fonds de retraite
  • Assurance
  • Fonds de qualification
  • Fonds de formation
  • Équipement de sécurité
  • Contribution sectorielle
  • Taxe sur l’assurance
  • Jours fériés et vacances
  • Fonds d’indemnisation
  • Fonds de participation au régime d’avantages sociaux
  • Cotisation annuelle de AECQ
  • Cotisation horaire des employés de AECQ
  • Marge de profit de l’entrepreneur
  • Outils loués et facturés au client
  • TPS
  • TVQ
  • Plusla hausse de 2 % votée par loi spéciale !

Du côté des travailleurs, la raison est simple : possibilité de profiter de tous les avantages de la société québécoise en déclarant un revenu moyen en dessous de 40 000 $. Cela permet de ne pas attirer l’attention, tout en gardant des avantages fiscaux perdus par les tranches supérieures de revenus. De plus, les travailleurs peuvent offrir à leurs clients des prix moindres pour des travaux équivalents. Bien que cette stratégie soit illégale, quel risque réel court un particulier d’engager un peintre au noir? Quelqu’un a-t-il déjà demandé une garantie prolongée sur une couche de peinture?

La fin de l’article du 2 juillet est intéressante. On y apprend que, selon la CCQ, le travail au noir est en régression:
« De 1994 à 2011, le volume de travail déclaré augmente plus que celui de la valeur des travaux. On note une hausse de 76 % du ratio d’heures rapportées par million de dollars investis, ce qui porte à croire que le travail au noir diminue. »

Comme tout est relatif dans la vie, comprenons que de 2000 à 2011, nous avons aussi vécu une baisse importante des taux d’intérêt et une pénurie de logements adéquats. Ce scénario a favorisé l’investissement dans le secteur immobilier. Donc, bien que le ratio d’heures rapportées par million de dollars investis ait augmenté, la valeur totale en dollars du travail au noir a aussi augmenté. Ainsi, peut-on affirmer que le travail au noir diminue si la tarte totale augmente? Il faut savoir faire la différence entre un montant en dollars et un pourcentage.

Pour le contribuable désirant se faire une idée sur les arguments des parties impliquées dans ce conflit, je propose le « Petit cours de l’autodéfense intellectuelle » de Normand Baillargeon. Parce ce que la relativité fait parfois mentir les statistiques.

En attendant, faire le travail soi-même demeure l’ultime façon de réduire les coûts. À plus de 50 $ de l’heure, plusieurs contribuables sont prêts à prendre le pinceau, la torche à souder ou le balai avant de payer une industrie jouant volontairement à l’autruche. Personnellement, je n’ai pas mes cartes de la construction, mais tenir un balai, démolir un mur avec une masse, manier la torche à souder, passer des fils dans des « 2×4 », faire des trous, etc. sont nombre de choses qu’un être à demi allumé peut apprendre à faire.

Si la CCQ et le fisc désirent vraiment coincer les fraudeurs du domaine de la construction, rien de plus facile. Voici quelques trucs :

1)   Croisement de données sur le niveau de vie des travailleurs :

 Avec un revenu moyen de 35 000 $,il faut arrêter de manger pour se payer un Ford F-250, un chalet, un bateau et une maison de 350 000 $.

2)  Surveillerles opérations des services de paiement au comptant de chèques :

Qui a réellement besoin de payer une commission aux entreprises comme « Insta-Chèques ». Évidemment, si l’on encaisse un chèque contre une commission dans ce type de comptoir, il est plus difficile de retrouver la trace de l’argent que dans un compte bancaire régulier. Se pourrait-il que des clients payent la TPS et la TVQ, mais que celle-ci ne soit pas remise aux gouvernements concernés?

3)   Surveiller le blanchiment quotidien :

Comment blanchir facilement de l’argent gagné au noir? Premièrement, payer au comptant les dépenses courantes. Avec les systèmes de points et les bornes électroniques, payer comptant à l’épicerie devient illogique financièrement. Les fraudeurs payent comptant à l’épicerie pour écouler l’argent liquide. Qui plus est, dans les centres de location d’outils, chez les quincaillers ou dans les centres de rénovation (ex. : Rona, BMR, Patrick Morin, etc.), il est illogique de payer en liquide. Pourtant, on y voit des particuliers payer des factures de plusieurs centaines de dollars en coupures de 100 $, 50 $ ou 20 $. Suivre la trace de l’argent comptant équivaut à remonter le fleuve de la fraude.

Pour ajouter à l’insulte, l’activité de la construction ne s’est pas totalement arrêtée pendant le débrayage. Lorsque j’ai questionné un employé d’un centre de location d’outils, sa réponse fut très évocatrice de la situation :

« Durant la grève, cela a été complètement fou. Les employés qui habituellement prenaient les outils des entrepreneurs pour faire leurs travaux au noir la fin de semaine ont été obligés de venir louer les outils ici. Pour nous, la grève n’a eu aucune conséquence monétaire importante. »

Rappelons que le taux moyen d’imposition d’un salaire de 35 000 $ est de seulement 18,18 % (marginal 28,53 %), alors qu’il est de 27,21 % (marginal 38,37 %) lorsqu’un contribuable déclare 70 000 $ par an.

Éliminer l’argent liquide demeurera la seule et unique façon d’éliminer le travail au noir. Qu’on se le dise.