À l’automne de 1998, dépassé par les études, en pleine déprime, en plein stress, j’assiste à une réunion familiale où j’attends le moment. Celui où un oncle, un cousin, une tante lanceront la fameuse phrase. Une rengaine infinie, un ultime jour de la marmotte, les mots résonnent comme un début de YMCA dans un mariage entre le repas principal et le dessert. Comme une défaite des Nordiques en 1987 ou un « et cetera » de Léo-Paul Lauzon. Puis, au moment où je trempe la carotte dans la trempette, je l’entends : « Pis? Les études? Profites- en, c’est ton meilleur temps ». Voilà, elle est sortie, trop facile, trop vite. Mon meilleur temps?
De toutes les personnes qui utilisent l’expression « C’est ton meilleur temps », aucune n’ajoute le « car » ou le « parce que ». Pourquoi? Parce que chaque personne a ses raisons d’être nostalgique de l’époque révolue des études ou d’une autre antérieure : une raison bien à elle. Elle se contente donc de lâcher la généralité « c’est ton meilleur temps ».
Puis, on avance, on vieillit. Le temps apporte son lot de bonnes et de mauvaises choses. Plus le temps passe, plus on a l’occasion ou l’impression de trébucher, d’agir ou de ne pas oser. Je croise une dame chaque jour, elle n’a pas d’expression de joie dans le visage. En fait, elle ne semble jamais avoir souri. Elle promène son chien à vive allure en évitant le plus possible toute note d’interaction. L’amertume marque son visage, elle le ronge. Pourquoi? Je ne sais pas, probablement que son meilleur temps est loin derrière. Puis, il y a ce vieil homme toujours souriant, il va chercher sa bière d’un litre, chaque jour, au dépanneur du coin. Attendant patiemment le jour où il ira rejoindre sa conjointe dont le chemin s’est terminé plus rapidement que prévu.
Plus près de soi, les événements se bousculent. Nos amis enterrent leurs parents. On assiste à des mariages et aux divorces de ceux-ci. Tranquillement, on se définit une vie, imparfaite, mais correcte. On se rappelle le temps où les possibilités étaient infinies, ou presque.
Les âmes déçues remplissent leur « profit » Facebook de souvenirs du passé pendant que les autres s’inventent un bonheur permanent en publiant à la goutte les photos de leur dernier voyage dont les seuls moments de véritable bonheur sont artificiellement immortalisés sur celles-ci. Notre monde est une machine à fabriquer des âmes déçues. Tout est une question de temps.
Dans notre tête, on ajoute le « car »… On le définit, on y ajoute des propositions conjonctives. L’université est une grande période de rêve. Où sont passés les rêves ? disait Mick est tout seul. En fait, je dirais plus d’espoir. Voilà, ce qu’on aurait dû me dire, « c’est ton meilleur temps pour avoir de l’espoir ». En effet, le début de la vingtaine, c’est le temps des espoirs de toutes sortes.
La semaine dernière, une étudiante se plaignait de sa charge de travail. Avant de sortir de la classe, je lui ai lancé : « profites-en, c’est ton meilleur temps ». Puis, j’ai fermé la porte, sans dire pourquoi.
Ce billet, Monsieur McSween, me fait penser à ce proverbe bien connu:
«Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.»
Ou encore à ce classique de Charles Aznavour (que je me fredonne parfois – bien malgré moi… – car arrivé dans la soixantaine c’est comme ça…):
La chanson «Hier encore». Ouais hier encore, j’avais vingt ans… Hier encore voilà plus de quarante ans, néanmoins.
Bonne journée à vous tous les jeunes! Et profitez bien – mais surtout intelligemment – de vos belles années… hein?!!