Toi et moi, nous avons été séparés à la naissance. Dès notre jeune âge, tu avais ton quartier, j’avais le mien. Puis, un jour, nous sommes entrés à l’école. Tu allais à l’école Gault, moi à Saint-Joseph-Artisan. Voilà, c’était le début d’un long périple sur deux voies parallèles.
Pourtant, à l’origine, nous étions dans le même sillon. Mon premier ancêtre en Amérique aurait été un MacQueen s’étant battu aux côtés de Wolf, le « méchant Anglais » de mes cours d’histoire du Canada. Mais, avec les années, d’un illettré à l’autre, MacQueen serait devenu McSween (selon certaines hypothèses) et ma famille se serait intégrée à la francophonie. Si bien qu’aujourd’hui, mis à part mon nom, je n’ai rien d’un Écossais.
Après l’école secondaire, tu as fréquenté le « John Abbott College » pendant que je faisais le tour du cégep de Valleyfield. Puis, McGill et Concordia ont été tes choix de prédilection, alors que j’optais pour Polytechnique et HEC Montréal.
Une fois dans le milieu professionnel, rien n’a changé. Au bureau, il y avait implicitement les anglophones d’un côté et les francophones de l’autre. Bien sûr, on se côtoyait, on se parlait. Mais, les rassemblements internes et les sorties sociales finissaient souvent par nous séparer.
Le jour de la réussite de l’examen des comptables agréés, il y avait deux événements : un pour chaque langue.
Puis un jour, on constate que Montréal est relativement divisée en deux territoires : l’Est et l’Ouest. La barrière se situant relativement sur la rue Saint-Laurent. Comme un mur de Berlin virtuel : nous nous sommes emprisonnés dans une réalité économique ou culturelle.
Dans les médias qui me sont adressés, je n’entends pas souvent parler de toi. À quelques exceptions musicales près, ta réalité, je ne la vis pas, on ne me la présente pas.
Tu lis The Gazette, je lis LaPresse.
Tu écoutes CBC ou CHOM et moi 98,5 FM Cogeco ou Ici, Radio-Canada Première.
Mes anciens patrons allaient au défunt « Club St-Denis », les tiens allaient au défunt « Mount Stephen Club ».
Catégorisés par la langue, on nous a séparés à la naissance.
Tu sais à quoi je pense? À un modèle économique différent. À un modèle, où dans le journal, il y aurait des articles en français et d’autres en anglais. À une chaîne de radio dont une partie des émissions serait dans la langue de Shakespeare et l’autre dans la langue de Molière. Et si on se mélangeait un peu ? Qui sait, Vincent Vallières écrirait peut-être une chanson sur Westmount ? As-tu envie de prendre une bière au Hurley’s ? Après, on ira à la Distillerie si tu veux.
Le concept des deux solitudes n’a pas été inventé, mais on semble tout faire pour le maintenir en vie.
J’ai envie qu’on se côtoie davantage. Et toi ? Quelle richesse ce serait, n’est-ce pas ?
Hélas, maintenant c’est la multiple solitude. La charte des valeurs québécoises pourraient peut-être servir de lien. Je le souhaite. Je l’espère. Nadine Magloire
Vous abordez cette fois le (désolant) concept de séparation, Monsieur McSween. Et votre exposé est tout ce qu’il y a de plus factuel. Plutôt que de favoriser l’inclusion, notre société a historiquement opté pour l’exclusion. Possiblement par crainte de l’autre paraissant quelque peu différent. La peur de ce qu’on ne connaît pas – ou très peu et mal.
Pour ma part, j’ai eu la chance de pouvoir échapper à cette catégorisation restrictive. Étant natif d’Ottawa, je me suis naturellement et sans effort fort bien accommodé d’un métissage culturel entre «nos valeurs»… hé-hé… francophones et anglophones.
J’ai ainsi indifféremment fréquenté l’Université de Montréal et l’Université Concordia. Choisissant d’abord parmi les programmes offerts plutôt que la langue dans laquelle les dits programmes étaient enseignés. Ce que plusieurs ne peuvent malheureusement faire car ayant été, comme vous le dites si bien, séparés à la naissance.
Et pourtant, si on désire vraiment avoir l’heure juste, il suffit peut-être de simplement jeter un petit coup d’œil du côté de la Suisse. Trois langues là-bas. Et une neutralité légendaire…
Mais notre réalité ici va à contre-courant. Depuis fort longtemps. D’ailleurs, à titre d’exemple, en 1982 alors que j’étais le directeur-adjoint de la succursale montréalaise de North American Life (pour le courtage), cette succursale était scindée en deux. Dans le même bureau. Directeur et directeur-adjoint pour le volet francophone, et directeur et directeur-adjoint pour le volet anglophone. Heureusement que le ridicule ne tue pas.
Hélas, avec le projet de Charte des valeurs québécoises, ça ne risque pas de s’améliorer pour le cas où celle-ci devait éventuellement passer à travers le concert cacophonique de hauts cris indignés et d’applaudissements pour devenir loi. Quoique, peu importe ce qu’il adviendra de cette Charte de la division en bout de ligne, le mal est déjà fait.
De part et d’autre, on se braque.
Et il faudra des années pour espérer rétablir des liens qui, malgré des accrocs ici et là, avaient commencé à se tisser. Une tâche autrement plus ardue que de viser à un rapprochement constructif entre francophones et anglophones. Puisque cette fois, en raison de cette Charte, la pagaille vient de se généraliser à tous les groupes de quelque nature qu’ils soient.
Un gâchis. Dans la langue qu’on voudra car le choix vient de s’élargir dramatiquement…
Mais me semble qu’on y arrive, c’est long oui, mais il faut laisser le temps au temps.
Lorsque je regarde en arrière, je trouve qu’on a fait de grands pas vers cette réalité souhaitée… ce n’est pas fini!
Y-en a toujours qui essaient de nous faire croire que rien n’a changé, mais si nous n’écoutons pas leurs bruits on voit bien que Montréal n’est pas figé dans le temps.