Premier réflexe du citoyen ordinaire à son arrivée à la maison : ramasser les lettres reçues. En 2013, elle est maintenant loin l’époque où l’on recevait des nouvelles d’amis, des invitations à une rencontre, une lettre d’amour ou des informations sympathiques par la poste. Aujourd’hui, la poste se divise en deux volets principaux : des offres de consommations et des comptes. Ainsi, une journée sans nouvelles semble maintenant synonyme de joie. Il y a quelques jours, je reçois une lettre de mon institution financière :
« Important :
Madame, Monsieur,
Vous appréciez (calque de l’anglais) que votre carte Mastercard vous procure tranquillité d’esprit et liberté? »
Réflexion de mon cerveau :
Ah bon? Honnêtement, une bonne nuit de sommeil me procure davantage de tranquillité qu’une possibilité d’endettement supplémentaire à un taux d’intérêt annuel de 19,99 %. Liberté? Non, la carte de crédit ne m’offre pas de liberté. Soyons honnêtes, la bonne utilisation d’une carte de crédit équivaut à un financement gratuit d’au moins 21 jours. Quand je dis gratuit, j’exagère, puisque depuis que l’utilisation du crédit est généralisée, le coût des biens tient compte des frais de transaction. Ainsi, nous assumons collectivement la totalité de l’utilisation de ce système. De plus, comme nous sommes habitués au crédit, nous avons simplement décalé nos paiements immédiats d’un mois. Une fois l’habitude prise, nous ne bénéficions pas davantage de liberté, mais bien d’un décalage dans le temps. L’avantage du crédit est de ne pas avoir à trainer l’argent liquide partout où l’on va. Pourtant, la carte bancaire aussi nous donne cet avantage, sans endettement.
Mais, c’est la suite qui est amusante.
« Dans cette optique et pour que votre limite de crédit corresponde bien à vos besoins, vous avez dès à présent la possibilité de l’augmenter de 1250 $. »
Réflexion de mon cerveau :
Pour que ma limite corresponde à mes besoins? Ma limite est déjà à un montant complètement démesuré par rapport à l’ensemble de ma capacité de paiement. Ah! La banque a des objectifs de ventes non atteints et l’on tente d’augmenter l’encours du solde des cartes de crédit pour augmenter les revenus. Bon, pourquoi ne pas le dire simplement?
En poursuivant ma lecture, je m’étouffe :
« Une limite de crédit plus élevée pour vos achats vous donnera plus de souplesse et de flexibilité pour réaliser les projets qui vous tiennent à cœur »
Réflexion de mon cerveau :
Que d’altruisme, moi qui pensais qu’on avait une relation d’affaires! Ma banque me propose de se soucier de ce qui me tient à cœur. C’est trop d’attention, je n’en peux plus, je suis gêné. Mais, une minute, quel sera l’impact de cette demande de crédit offerte sur ma cote de crédit? Ce n’est pas précisé. De la souplesse? Si j’atteins cette limite de crédit, c’est officiel, je vais trainer un solde pendant plusieurs mois. Une limite supérieure à son revenu net trimestriel est complètement démesurée.
Quand on arrive à cette réflexion, il y a toujours un quidam pour lancer « oui, mais tu fais des points! » À ce moment, le côté droit de mon cerveau fond. Les points, les « air miles », les cadeaux, les remises, et autres ne sont pas gratuits : c’est un système de profilage de consommation. Ce sont l’ensemble des consommateurs qui payent plus cher leurs achats pour soutenir le plan marketing visant à les faire consommer davantage. Nous sommes la bête qui se cannibalise. Nous sommes entrés collectivement dans la spirale de l’endettement individuel, nous l’avons banalisée et intégrée dans la normalité des choses. Je dois acheter pour 11 000 $ pour recevoir une valeur de 100 $ en points. Cela donne un retour sur consommation de 0,9 %. Wow! Les frais de transaction sur les cartes de crédit sont déjà plus élevés que cela pour le commerçant. Pourquoi ne pas éliminer le système de points et en donner davantage aux consommateurs dès le moment de la vente? Ah, on veut le fidéliser ? On veut qu’il consomme encore ? Mon fils a tellement de jouets que son camion en plastique commence à faire de l’embonpoint.
Voilà un coup d’épée dans l’eau, je le sais bien. Il fait froid aujourd’hui, le Carrefour Laval doit être rempli de consommateurs n’ayant rien d’autre à faire que d’acheter. Drôle d’évolution n’est-ce pas? Tout ce combat pendant des décennies pour que l’apothéose du bonheur soit de se trouver quelque chose d’autre à acheter. Et lorsque l’on n’achète pas assez, on reçoit des offres de crédit supplémentaire.
Drôle de monde.
Réflexion de mon cerveau :
Bon, j’ai assez réfléchi pour aujourd’hui. Je dois me rendre au Dix-30. Il me reste quelques heures pour profiter de la vie avant la fermeture.
Excellent Pierre-Yves ! en tant que coach je tente de sensibiliser les gens a chaque jour et je réussis a en sauver de temps en temps ….
Vous êtes décidément impayable – encore une fois! – Monsieur McSween. Trouver à redire à une sympathique institution financière qui prend si manifestement vos intérêts à cœur, surtout ceux que vous auriez à lui verser d’un relevé de compte impayable à l’autre…
Des loups déguisés en brebis, voilà à quoi nous avons trop souvent affaire. Tout sourire en tendant le piège… et puis les crocs une fois la proie incapable de s’en extirper.
Afin de savoir un peu à l’avance ce qui se trame du côté des fournisseurs de biens ou de services, je me suis inscrit il y a quelques années déjà à des panels de sondages en ligne. Des entreprises en tout genre cherchent par ce moyen à mieux cibler ce que préfèrent les consommateurs, ainsi qu’à recueillir leurs impressions à l’égard de nouvelles offres en préparation.
À lire les questions posées, je peux lire un peu dans leur jeu. C’est très éducatif.
Le pire de tous les volets de ces sondages est lorsque l’on demande aux participants d’accoler un qualificatif (ou plusieurs, selon le cas) à un produit ou à une entreprise, de temps à autre une institution financière. Alors, une belle liste de qualificatifs aimables et valorisants est proposée.
Typiquement, on demande au répondant: si le produit ou l’entreprise XYZ était une personne, la/le qualifieriez-vous de sympathique, ou amical(e), ou moderne, ou plusieurs-autres-possibilités de ce type positif. Souvent, on ne laisse qu’une toute petite «porte de sortie» au répondant qui serait en désaccord avec la liste de gentils qualificatifs. On pourra ainsi parfois opter pour un «je ne sais pas».
Participer à des panels de sondages en ligne, c’est pouvoir jeter un coup d’œil dans l’antre de la Bête. Et déceler ce qui s’en vient, pour peu qu’on soit assez alerte et aux aguets pour le voir.
(En passant, pour revenir sur le courrier que l’on reçoit, avez-vous déjà remarqué que «facteur» et «facture» ont exactement les mêmes lettres, les seules lettres qui vont d’une porte à l’autre de nos jours…?)