Encore une fois, le Québec courbe l’échine. La stratégie corporative est toujours la même : « vous pliez ou nous quittons ». Dans un geste de panique, on sort les subventions à coup de millions. On joue à la poule mouillée en se faisant frire d’avance : on saute soi-même dans la friteuse. On commet un suicide de rapport de force. Alcoa a gagné sur toute la ligne : un tarif préférentiel moyen de 3,3 cents le kWh au lieu des 4,7 cents le kWh prévus. Cette diminution du tarif représente une baisse de 42,4 %.
1) Analyse stratégique de la direction d’Alcoa
Avant de prendre une décision, un des premiers réflexes devrait être de faire une analyse stratégique. Le modèle «FFOM » (« SWOT » en anglais) constitue une première source de réflexion sur la place d’Alcoa au Québec. Voici le genre d’analyse que la direction d’Alcoa a pu faire :
Forces d’Alcoa au Québec:
– L’hydroélectricité est une « énergie verte » utilisée au Québec
– Main-d’œuvre du Québec est formée et expérimentée
– Il y a présence de centrales hydroélectriques fournissant de l’énergie de façon sûre pour plusieurs années (réseau en surcapacité).
– Il y a eu des ententes fixant à long terme le prix l’hydroélectricité (couverture contre la volatilité) par le passé.
Faiblesses d’Alcoa au Québec:
– Certains investissements sont nécessaires pour certaines installations d’Alcoa.
– La main-d’œuvre est plus dispendieuse que dans d’autres pays.
Opportunités (environnement externe) :
– La demande pour l’aluminium pourrait augmenter significativement avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Par exemple, les véhicules comme le F-150 de Ford seront maintenant fabriqués avec un alliage d’aluminium pour alléger la structure à déplacer.
– Le Québec pourrait éventuellement développer ses industries pour la transformation de l’aluminium.
– Avec les pressions pour réduire les gaz à effet de serre, la présence de plusieurs usines approvisionnées en hydroélectricité peut être une preuve de responsabilité sociale de la société.
– Il y a possibilité d’être subventionné par le gouvernement québécois : ce gouvernement a déjà démontré des mesures interventionnistes généreuses.
Menaces (environnement externe) :
– Le prix de l’énergie pourrait augmenter au cours des prochaines années.
– Des concurrents pourraient s’installer dans des marchés où les sources d’énergie sont moins dispendieuse.
– Le prix de l’aluminium est volatil.
Conclusion de l’analyse FFOM :
À la lumière de l’analyse stratégique, on remarque que la stratégie du bord de l’abîme (« brinkmanship ») pourrait être utilisée pour inciter le gouvernement québécois à subventionner Alcoa. Normalement, dans ce type de stratégie, on pousse l’adversaire à reculer sur une position sous la menace d’exécuter une action (potentiellement perdante). Alcoa a le beau jeu dans la présente menace : si le Québec refusait de baisser son tarif du kWh, Alcoa pourrait tout de même conserver la situation actuelle. En somme, qu’est-ce que la compagnie avait à perdre de menacer le Québec? Rien.
2) Un petit calcul avant de commencer :
L’analyste Jean-François Blain estime que pour Alcoa, la subvention se chiffre à 210 000 000 $ par années en fonction de la consommation d’énergie estimée d’Alcoa. Cette somme représentant le rabais tarifaire octroyé à Alcoa pour concurrencer le marché : une subvention de 65 000 $ par année par emploi (210 000 000 $/3 300 emplois directs). En comptant les emplois indirects (7700 emplois), cela représente plus de 19 000 $ de subvention par emploi direct et indirect. Pour Alcoa, c’est la manne, on réduit drastiquement son coûté énergétique par rapport à la situation précédente.
Donc, Hydro-Québec perd 210 000 000 $ de revenus prévus pour ne créer aucun nouvel emploi. Évidemment, on pourra dire que ces revenus perdus sont irréels, puisque le prix négocié au tarif « L » était supérieur au marché d’exportation. L’analyse que l’on devrait nous proposer est la comparaison des tarifs passés par rapport au prix du marché. Ainsi, avant la hausse proposée de cette année, quel a été le gain ou la perte d’Alcoa sur le tarif des premières années?
3) Le coût d’opportunité : a-t-on la meilleure offre?
Est-ce que dans le monde, une autre entreprise aurait souhaité créer un nombre équivalent d’emplois en faisant une meilleure offre? En somme, est-ce que la subvention tarifaire à long terme aurait pu être intéressante pour une autre multinationale? A-t-on fait un appel d’offres mondial ? On ne saura jamais, puisque le contrat avec Alcoa est déjà signé.
4) Un instrument financier imbriqué
L’angle mort de toute cette transaction est l’incapacité de présenter une information financière vulgarisée au public. En effet, en comparant le cours de l’énergie au prix offert à Alcoa, l’analyste oublie de souligner et mesure la valeur de la couverture « imbriquée » au contrat. Le tarif du kWh variera en fonction du cours de l’aluminium. Cette assurance de tarif à un certain prix a une valeur. Ainsi, il faut qu’Alcoa paie plus cher que le prix du marché pour payer cet instrument de couverture de risque financier. Combien? J’aurais aimé qu’un véritable spécialiste du marché énergétique le calcule. Chose certaine, Alcoa devrait payer une prime pour cette couverture de risque
5) Traduction de la position d’Alcoa :
En somme, Alcoa a conclu une entente à long terme avec Hydro-Québec en 2008. Tant que l’entente a fait son affaire, l’aluminerie l’a respectée. Au moment où le kWh devait passer au niveau « L », la société a décidé d’utiliser la stratégie de la menace.
Pour faire une analogie simple, une banque offre un certificat de placement garanti à taux croissant (ex : 1,5 % les quatre premières années et 5 % la cinquième). Imaginons que la banque respecte l’entente les quatre premières années, mais décide que le 5% est trop cher la cinquième année en fonction des coûts de financement inférieurs du marché. Pour un épargnant, cette situation serait injuste puisque le rendement moyen est le véritable calcul nécessaire au placement.
C’est un peu la stratégie qu’Alcoa a utilisée. En plus de réduire de 75% l’investissement promis en 2008 à Baie-Comeau, Alcoa n’a pas respecté l’entente tarifaire initiale.
6) Position de vulnérabilité :
Le Québec a aujourd’hui encore une fois flanché devant la menace et sous la pression de la compétition des marchés mondiaux. Alcoa a ouvert le chemin pour toutes les alumineries ou sociétés qui exigeront les mêmes types de privilèges. Quelle position de négociation le Québec aura-t-il dans futur avec son historique interventionniste. Une telle position est un aveu implicite du manque d’attrait du Québec pour les investissements majeurs. À force de penser petit, on nous traite en petit.
Quand on se met à genou, on se fait regarder de haut.
Lorsque l’on se couche à plat ventre, on se fait marcher dessus.
Oui mais les grosses subventions ça paraît mieux en période électorale qu’une multitude de petites.
Les grands industriels de ce monde se servent toujours du même genre de chantage si tu ne me donne pas ce que je veut bien on ferme et ils le savent que trop.De toute façon les champions incontestés des subventions au Canada c’est le Québec si je ne m’abuse.De rajouté de ce fait c’est comme si on était en éternelle campagne électorale.P.S:N’ont ils pas engrangé des millions par Hydro dû à la vente de leurs surplus d’électricité lors de la fermeture (temporaire) d’une de leur usine.
Excellente analyse.
Dommage que les dirigeants des gros partis (PQ, PLQ et CAQ) soient des laquais (je m’excuse du terme, mais il faut appeler un chat un chat) des financiers, des lobbys et des transnationales.
Le pire, c’est que c’est payant électoralement de nous voler ainsi (comme le souligne JF).
Les É.U, l’Ontario et autres n’ont ils pas subventionné GM? Résultat: GM a pris de la valeur et des milliers d’emplois ont été crées. Seul Ford n’a rien demandé.
Lorsque l’on en est a sauver des banques (heureusement pas au Canada) il y a des questions à se poser.
La majorité des emplois dans l’Amérique du Nord sont subventionnés. Alors on les laisse partir comme lorsqu’il y a eu l’accord de libre échange avec le Mexique?
Très bonne analyse de cadrage, mon commentaire est plutôt une question: Est-ce que Alcoa, comme entreprise étrangère, est soumise, d’une quelconque façon, à l’impôt sur le revenu au Canada, doit-elle également acquitter les taxes TPS et TVQ sur sa consommation d’électricité?
Je pense que la réponse est négative dans les deux cas, mais j’aimerais bien en avoir le cœur net.