Chaque jour, il m’envoyait la main. Mon voisin de 86 ans mangeait sa soupe quotidiennement sur son perron avant. Sympathique, s’informant de ma vie et me regardant creuser mon sous-sol à la main, il faisait partie de ma vie en quelque sorte. Je l’avoue, j’aime les « vieux », leur vécu, leurs histoires, leur mémoire, leurs souvenirs. Je les trouve inspirants parce qu’ils ont cultivé une autre vie, une autre réalité.
Puis un jour, il me dit comme ça :
– Je vais vendre ma maison
Il s’y était résigné. Des décennies d’attachement à sa réalité, c’était le temps de passer à une prochaine étape. Déménager, une dernière fois, faire le deuil de sa vie. Il en reste moins long qu’il en restait, comme disait mon oncle Maurice au dernier souper de Noël.
Quelques heures plus tard, il me croise à la crèmerie du coin. Un cornet de crème à la vanille, faisant partie de sa routine hebdomadaire.
Puis, il m’invite à visiter sa maison.
Après quelques pas, on se retrouve en 1979. Seuls un four à micro-ondes 1998 et un téléviseur cathodique Sharp jouaient le rôle d’anachronisme de ce souvenir d’une autre décennie. Le tapis recouvrait une partie du bois franc. Un appartement sans trainerie, sans éclat. Une seule couleur sur tous les murs, marquée par des années de cigarette, habitude qu’il a perdue depuis. Cet homme n’a jamais connu Internet et ne se sent pas mal pour autant.
Une chose a marqué mon esprit : il ne possédait rien. Rien dans le sens contemporain du terme. Arrivés dans la pièce qui lui servait de bureau, un bureau vide en métal et bois âgé de quelques décennies définissait l’endroit. En ouvrant la porte d’une garde-robe, il me dit :
– Ici, c’est les finances. C’est un peu à l’envers.
Deux pochettes avec des papiers ne faisant que quelques centimètres d’épaisseur représentaient ce « un peu à l’envers ».
Les personnes âgées ont parfois cette réalité de ne plus posséder de choses inutiles. Pourquoi posséder quelque chose qui ne servira plus d’ici notre fin de vie utile? Ce n’était pas une question de faibles moyens, il a même vendu son immeuble à un prix dérisoire :
– Pourquoi vendre plus cher? Je n’ai pas vraiment besoin d’argent. Je n’ai pas d’héritier, à quoi bon en cumuler plus?
Raison, il avait.
Puis, on revient chez soi. Déprime totale, l’échec du matériel. Tous ces objets inutiles, toutes ces choses qui nous rendent malades, générant de l’entretien, du stress et demandant du temps.
À quoi bon garder les pochettes de CD quand ce n’est que la musique l’important? Pourquoi garder des livres qu’on ne lira plus? Et tous ces vêtements qu’on a portés qu’une fois?
Des emballages cadeaux? Va-t-on vraiment donner 54 cadeaux cette année? Pourquoi garder le « making of » de « Die Hard ». Qui a vraiment le temps de regarder les « special features » et les « making of » … d’un film de Bruce Willis? La liste est longue, le temps est limité. Pourquoi posséder quatre guitares quand on gratte une fois ou deux par année?
Par la simplicité de leur mode de vie, les vieux nous parlent. Discrètement, ils nous enseignent quelque chose. Pourtant, on ne les écoute plus vraiment. À un bain par semaine lorsqu’ils perdent de l’autonomie, on les juge non contributifs. Pourtant, à leur façon, ils mettent un frein au rythme saccadé de la vie actuelle.
Oui, j’aime les vieux. Parce qu’ils ne sont en quelque sorte qu’un miroir de notre futur.
À la fin de notre vie, ne devrait-on pas être considéré comme un actif plutôt qu’être considéré pour ses actifs?
À ce moment, il me restera au moins des choix existentiels comme le Jello ou le pouding au riz.
Oui, j’aime les vieux avec leur horloge grand-père qui dit « je vous attends ».
Et moi aussi je les aime bien les vieux, Monsieur McSween.
Depuis que je suis tout petit. J’avais peut-être trois ou quatre ans à peine et je me rappelle être allé avec ma mère visiter une vieille tante à elle. Appartement sombre, presque lugubre. Rempli de souvenirs d’une vie passée.
Une chanson (que j’ai écrite en 1975) aborde même le tragique départ de son conjoint de vie pour une brave petite vieille. Touchant. Et chaque fois que je me la fredonne silencieusement je ressens l’immense vide ressenti par la survivante qui n’attend plus que son heure.
Et puis, avant que je ne déménage de NDG pour CDN voilà une douzaine d’années, j’avais pour voisin un vieux professeur de sciences à la retraite depuis longtemps. Qui avait fait des trucs pour la NASA, avait voyagé partout, et avait même volé sur le Concorde! Nous bavardions de longues minutes, souvent. À propos de l’espace, de Carl Sagan, et de l’avenir. Mais il a quitté cette vie deux mois avant que je quitte pour où je suis rendu.
En somme, j’apprécie et je comprends les vieux. Ce sont de riches mines d’informations et de sagesse selon le cas. Et moi, qui progresse dans la soixantaine à présent, je possède un assortiment bigarré de choses plus ou moins utiles, anciennes et modernes. Et plusieurs boîtes pleines dont je n’ai pas consulté le contenu depuis quinze ou vingt ans dans plusieurs cas.
Un jour, je ferai le ménage. Ou quelqu’un le fera…