Les règles économiques et financières sont-elles justes? Non. Il faudrait se mentir à soi-même pour se convaincre qu’il est parfaitement juste de commencer sa vie avec un capital financier significativement variable d’une personne à l’autre. Les mieux nantis doivent comprendre que l’acceptation de leur richesse protégée par la société de droits ne tient que parce que la société y trouve son compte. En résumé, la population doit croire qu’un système injuste est plus rentable que de vivre l’anarchie. Cela explique pourquoi l’impôt progressif est un principe relativement acceptable : les moins nantis se voient redistribuer des ressources et les mieux nantis protègent ainsi la société de droit.
Par contre, comme la version humaine de la planète Terre joue à ce jeu, il est difficile d’en faire abstraction. Ainsi, on ne peut pas s’engager à jouer à un jeu durant des décennies et puis du jour au lendemain faire fi des règles et croire que les autres joueurs voudront continuer à jouer. Le Québec ne peut pas décider soudainement de ne pas tenir compte de ses obligations financières et de vivre sa vie en respirant des marguerites. On a beau être contre la financiarisation de notre économie, cette réalité dicte notre existence comme la Matrice de l’œuvre de science-fiction.
La quête de l’équilibre budgétaire n’est pas nécessairement une idéologie, mais le fruit d’une compréhension des règles du jeu. En ce moment, on affirme que de faire des compressions budgétaires revient à effectuer des mesures d’austérité. Peu importe le nom qu’on lui donne, le but demeure d’assainir les finances publiques. Pourrait-on le faire plus mollement? Peut-être. Peut-être que ce gouvernement possède des données macroéconomiques difficiles à saisir par la population. Peut-être aurait-il été préférable d’agir avant? Quand on soulève que des mesures d’austérité ont échoué ailleurs dans le monde et que l’on fait un appel à l’autorité en mentionnant Joseph Stiglitz, mesure-t-on réellement le pour et le contre? Quel est le niveau « d’austérité » acceptable? Dans des périodes de crise, les compressions budgétaires n’améliorent pas nécessairement le sort d’une population, par contre le fait de dépenser sans compter non plus. L’État doit jouer avec les règles du jeu et avoir une marge de manœuvre pour intervenir lorsque la situation le nécessite. Par contre, intervenir massivement de façon continue et soutenue donne-t-il un résultat probant à long terme?
Ce qui manque dans notre débat public, c’est non seulement de la vulgarisation financière, mais aussi de la cohérence dans les propos. Le travailleur voudrait que les entreprises payent davantage d’impôts. D’accord, mais avec les règles mondiales fiscales non uniformisées, il est facile pour une entreprise de changer de camp. On n’a qu’à prendre l’exemple de Burger King : une société américaine déménagée au Canada pour diminuer l’impact fiscal et augmenter le revenu des actionnaires.
En ce sens, quand un contribuable affirme qu’une entreprise doit payer davantage d’impôts, il doit comprendre que cela réduit le bénéfice net de celle-ci. Au bout de la chaîne, il y a des propriétaires, dont les fonds institutionnels. Le régime de retraite du contribuable investit dans les entreprises pour que celui-ci ait de bonnes conditions de retraite. Par conséquent, augmenter l’impôt des entreprises, c’est aussi réduire les REER et les régimes de retraite du contribuable. En somme, il faut payer quelque part. Que ce soit dans les salaires, les bénéfices nets, les impôts, les conditions de retraites, etc. On ne peut pas bénéficier de quoi que ce soit gratuitement. Tout a un prix. Tout est une question de transfert de confort.
Toute décision gouvernementale finit par avoir des conséquences. Il n’y a pas de « bonnes décisions garanties ». Chaque bonne nouvelle génère une mauvaise nouvelle. Ce qui est le plus difficile pour un gouvernement, c’est de maintenir ce juste équilibre de compromis. Vivre dans un monde imparfait avec des règles imparfaites n’est pas de tout repos.
Le Québec a déjà compté 10 travailleurs pour un retraité. En 2030, on prévoit que ce ratio sera de deux pour un. Cela changera complètement la réalité économique et financière de la province.
L’erreur de logique la plus courante est ce que j’appelle le « sophisme générationnel ». En somme, ce n’est pas parce qu’une génération s’en est sortie que la génération suivante pourra s’en sortir de la même façon. Les conditions changent, la population augmente, mais les ressources demeurent limitées.
Chacun pense à soi. Chacun tire de son côté. Il faut agir, mais ne touchez pas à mes privilèges. L’humain est égoïste, c’est un peu partie intégrante de sa nature. Ainsi, plusieurs trichent, des biens nantis comme des travailleurs moyens. Tous essaient de tirer profit de l’autre, maximiser son capital. Pourtant, plus la Terre sera peuplée, plus nous aurons besoin de vivre ensemble, partager et faire passer le « nous » avant le « je ».
Donc, la situation du Québec est précaire. On voit des mouvements s’activer pour refuser de changer, refuser de revoir leur vision du confort. Il est vrai que la décadence du confort des uns peut parfois choquer par rapport à la détresse des autres. Aussi, le manque d’information et de mise en contexte trafique indûment la capacité des uns à comprendre la situation des autres.
Il y a dans l’air ambiant, dans les réseaux sociaux, dans les manifestations, cette quête de l’ennemi. On cherche quelqu’un à détester. On cherche à cibler le mal, à y apposer un visage. La population veut détester ceux qui s’affairent à gérer notre destinée. Il n’y a pas d’ennemis à abattre, il y a peut-être davantage une situation à affronter. Collectivement, on se trouve peut-être dans cette zone grise inconnue où chaque décision peut être remise en doute ou peut s’avérer salutaire. Il y a quelques décennies, le gouvernement de Robert Bourassa a opté pour les grands chantiers de la Baie-James. Voilà une décision audacieuse, mais pour laquelle on doit être reconnaissant aujourd’hui. Pendant que la tendance était au nucléaire, le Québec faisait preuve d’audace, imaginant des chantiers plus grands que nature. Chose certaine, le Québec se doit de développer sa capacité à voir 5, 10, 15, 20, 50 ans en avant. Voir au-delà de son champ de vision personnel : au-delà du confort.
On fera face à de grands vents venus d’angles impossibles durant les prochaines décennies. Il serait intéressant de marcher main dans la main pour améliorer notre société. L’année 2015 s’annonce comme une année de confrontation. Les syndicats s’activent, l’ASSÉ se cherche une raison d’être et les représentants d’associations se voient déjà élevés au rang de prochain Maximilien de Robespierre. Pourtant, pendant que d’autres sociétés travailleront activement pour trouver un consensus acceptable, il semble que le Québec soit confortablement installé dans son inertie. Cette année devrait être l’année de l’information, de la vulgarisation et du partage des idées.
Là où l’information est améliorée de part et d’autre, la confrontation ne semble plus logique. En attendant, on a fait de notre débat de société un happening marketing où chacun des groupes tente de gagner la guerre de l’image publique. Si les mesures du gouvernement actuel sont qualifiées « d’austères », faudrait-il qualifier les mesures antérieures de « jovialistes »? Souhaitons que 2015 soit l’année du nous. Ce fameux « nous » inclusif dont on parle si souvent, mais qui ressemble étrangement à une légende urbaine. En somme, notre destinée collective demeure davantage une question d’interdépendance que d’indépendance.
Et si on travaillait à s’assurer que chacun paie sa juste part?
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/02/08/004-comptes-bancaires-canadiens-suisse-evasion-fiscale-enquete-hsbc.shtml
Quand on pense qu’une femme sur l’aide sociale à Montréal se voit forcée de rembourser près de 25 000 $ à l’aide sociale pour avoir mendié (environ 4 années d’aide sociale), et qu’on voit les amendes ridicules imposées aux grandes banques, il y a de quoi être choqué par les mesures d’austérité qui nous sont imposées http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/02/08/004-comptes-bancaires-canadiens-suisse-evasion-fiscale-enquete-hsbc.shtml
L’évasion fiscale, peu importe le revenu est une distorsion qui brime le principe d’équité. La solution se trouve dans un changement de culture :
Frauder l’État ne devrait en rien être une fierté.
En principe je souscris à votre propos. Mais celui-ci laisse croire que les décisions gouvernementales et les puissants lobbys qui les inspirent pensent à long terme pour le bien commun et non pas à maximiser leurs profits en externalisant les coûts dans la société.
Ainsi, à la lumière des 33 ans de matraquage de l’idéologie néo-libérale à laquelle j’assiste depuis mon arrivée à l’âge adulte, il m’apparaît assez clair que les mesures d’austérité actuelle relève de l’idéologie (et de l’intérêt corporatiste) et a bien peu rapport avec l’équilibre budgétaire.
D’une part, il semble que ce gouvernement, comme les précédents qui se sont attaqués à l’objectif du « déficit zéro » souhaite d’abord l’obtenir sur papier. Maints passes-passes comptables sont utilisées en ce sens.
Ensuite, il suffit de voir où le couperet tombe: sur les cibles des lobbys financiers (services publics, classe moyenne, filet social, organismes communautaires, bref les acquis de la Révolution Tranquille).
Tous des secteurs ayant de fortes retombées économiques, toutes l’histoire du capitalisme le démontre, en passant par le New Deal et la Révolution Tranquille. Sabrez dans les investissements rentables me semble assez loin de l’objectif d’avoir de saines finances.
D’ailleurs dans le cas de la modulation des tarifs des Centres de la Petite ENfance, Couillard lui-même s’est échappé en l’expliquant: Il a admis que le gain financier serait faible que la mesure était essentiellement…idéologique (c’est le terme qu’il a utilisé avant de patiner pour le récupérer).
Alors qu’on pourrait récupérer beaucoup, beaucoup plus que le montant du déficit, en sabrant dans les projets gaspilleurs qui ne profitent qu’à des lobbys et n’apportent rien à l’État, l’économie ni à la société. Petite liste (non exhaustive):
– Les deux dernières phases de la Romaine, pour produire de l’électricité qu’on a déjà en surplus et qu’on vendra, au mieux, à perte; 400 millions pour perdre de l’argent, c’est toute une « vision » économique
– La cimenterie de Port-Daniel, exempté à 100% d’impôt pour 10 ans! 10 ans! Alors que les cimenteries existantes ne fonctionnent qu’à 60% de leur capacité faute de débouchés; pour ajouter l’injure à l’insulte, le ciment qui sera utilisé sera importé…de Corée du sud; le tout pour augmenter de 10% les émissions de GES du Québec (en devenant complice des sables bitumineux)
– Les tableaux blancs interactifs dans toute les classes du Québec (Bolduc croit sans doute que des enfants « pourraient mourir » de ne pas en avoir dans leur classe)
– sauvetage de Petrolia à Anticosti (aucun, aucun investisseur privé n’était intéressé à prendre, même des risques moins grands)
– nouveaux compteurs énergivores d’Hydro, de durée de vie moitié moindre que celle des compteurs mécaniques; réseau qui consommera une beurrée en électricité (compteurs, routeurs, serveurs); fabriqués à l’étranger par une compagnie étrangère, installés et entretenus par une autre entreprise étrangère (CapGemini) et contrat d’informatique ($$$) confié à une autre entreprise étrangère qui fait le traitement en Ontario
– pensions à 6 chiffres des hauts gestionnaires (les « PK Subban » de la gestion selon Coiteux), ajoutés à leurs primes de départ (du même calibre, vous vous souvenez de H-P Rousseau avec sa « petite » prime de 330 000 $ quand il s’est sauvé après nous avoir fait perdre la bagatelle de…40 milliards), leurs primes de « rendement », leurs « repas d’affaires », les voyages à nos frais et leurs autres primes et bonus / le 25 novembre Couillard a même déclaré officiellement qu’il n’était pas question de toucher aux « primes » des hauts gestionnaires des sociétés d’État
– subventions aux écoles privées : Seul le Québec les maintient. Faut croire qu’on tient à notre « différence »
– achat sans discussion des médicaments selon les listes établies par…les pharmaceutiques; prix croissant beaucoup plus vite que l’inflation, au point que depuis une douzaine d’années les hôpitaux paient plus en médicaments qu’en salaire; alors qu’on paie pratiquement 100% des coûts de la recherche; à quand Québec-Pharma ? (une économie de 2 milliards par an)
– PPP dont les dépassements de coûts faramineux nous font perdre des milliards, en plus que les paiements mensuels sont très élevés (un peu comme payez une maison avec une carte de crédit plutôt qu’une hypothèque); rachetez les contrats nous coûterait 2,5 milliards, mais nous permettrait d’économiser 4 milliards de plus que ce coût
(à suivre)
(3e partie)
Et que dire que la monstruosité qu’est le Plan Nord qui nous endette. Le vérificateur-général a démontré que les mines nous font perdre de l’argent avec des redevances minières parmi les plus basses au monde (l’immense majorité des pays africains demandent plus que nous pour leurs ressources); on s’endette pour que les minières fassent des milliards en partant avec nos ressources…non renouvelables (bravo pour les générations futures : on les prive des ressources, mais on leur laisse les dettes, des sites contaminés et des villages qui meurent à petit feu une fois le filon vidé).
Et il n’a regardé que les mines actuelles, qui sont dans les territoires habités et organisés. Le Plan Nord vise de nombreux sites situés très loin des zones organisées et dans des terrains difficiles; ce qui va coûter des dizaines de milliards en infrastructures, accentuant le déficit pour l’État de l’exploitation minière.
Pourquoi ne pas relever les redevances au-dessus du niveau tiers-mondiste actuel, exiger une participation majoritaire de l’État dans tous les projets (comme le fait la Chine, la Norvège, l’Équateur, etc.) pour avoir des dividendes (pas mal plus payantes que les redevances), garder le contrôle des opérations et avoir accès aux documents que les minières préfèrent garder secrets, nous réservant la plupart du temps de désagréables surprises ? Pourquoi ne pas exiger des investissements qui profiteraient à long terme aux communautés et pas seulement à la mine ? Pourquoi ne pas exiger la seconde, voire la troisième transformation quand cela est faisable, infiniment plus payants et surtout à long terme que l’exportation des matières brutes (les pays pauvres exportent leurs matières premières et importent les produits finis alors que les pays riches font le contraire) ?
(3e partie)
Et pourquoi ne pas récupérer les pertes de revenus qu’on s’est volontairement imposé depuis 30 ans, sans aucun profit pour l’économie :
– abolition de 13 des 16 plus hauts paliers d’imposition (ceux qui touchaient les plus riches, aucun profit pour la classe moyenne)
– multiplication abracadabrante des échappatoires fiscales (évidemment accessibles seulement à ceux qui peuvent se payer des fiscalistes)
– exemption d’impôt à 50% des profits de spéculation (avant les autres déductions), une perte de 739 millions
– juste avant de perdre le pouvoir Charest a aboli la taxe sur le capital des institutions financières : une perte de « seulement » 800 millions par année
Selon le dogme néo-libéral que plus les ultra-riches sont riches et plus les banques ont d’argent, plus ils « créent » de la richesse et créent des emplois très payants; au point que l’État récupérera rapidement en impôts sur les nouveaux emplois la perte de revenus qu’il s’est volontairement imposé
Inutile de dire que ce dogme a été contredit par les faits, systématiquement, dans tout l’Occident, depuis 35 ans. Mais qu’il est repris comme un mantra par les lobbys financiers comme si c’était une révélation divine.
Hélas, Monsieur McSween, vos propos – si limpides et éclairants soient-ils – se butent à l’incompréhension de plusieurs. Trop ne voient pas où nous mènerait inéluctablement le non-redressement urgent de notre situation économique combiné aux effets hors de notre contrôle de la mondialisation.
Et ce qui n’est certes pas pour arranger quoi que ce soit à une équation difficile, il y a de l’aveuglement volontaire à profusion. Un refus de reconnaître l’ampleur inquiétante et bien réelle du problème. Et une fin de non-recevoir à l’idée de mettre l’épaule à la roue. Plutôt, la préférence va à balayer le tout sous le tapis…
Bien sûr, on ne saurait douter qu’il y ait des blâmes qui mériteraient d’être distribués pour que nous en soyons collectivement arrivés aujourd’hui à une situation si précaire. Mais ce n’est pas la distribution de blâmes qui réglera notre problème pressant. Colmatons d’abord là où ça fuit, revoyons le cap, et tâchons par la suite de tenir fermement la barre.
Autrement, notre seule option risque d’être le recours aux canots de sauvetage. Lesquels sont fort probablement en nombre insuffisant.