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Infoman et le professeur masqué

Cher professeur masqué,

La vie est souvent une question de perceptions. On cherche parfois à voir, inconsciemment, ce qui n’est rien dans les faits. Alors, commençons par le début.

D’abord précisons que la capsule présentée à Infoman demeure une satire, même une hyperbole. La majorité des téléspectateurs ont compris cela. D’ailleurs, n’est-ce pas le but d’une telle émission, faire ressortir les travers politiques d’une société pour faire preuve d’autocritique?

Ainsi, regardons votre critique pour comprendre l’angle mort de celle-ci.

  • Premier raisonnement : « On paie nos augmentations en faisant la grève »  = vrai !

Vous dites que c’est faux? Je vous réponds que dans plusieurs secteurs publics c’est vrai. Pourquoi? Simplement parce que nulle part on n’affirme dans la capsule que l’on paie la totalité de l’augmentation avec la grève. En démarrant une grève rotative, on finance partiellement l’offre subséquente du gouvernement. Ce n’est pas un sophisme, c’est mathématique.

  • Deuxième raisonnement : « Toute résistance est inutile »  = Je n’ai jamais dit cela.

Ce que je relève dans l’argumentaire, c’est le scénario planifié de cette grève. Ainsi, tout ce que je remets en doute, c’est la contribution marginale de la grève dans la négociation. Quel serait le résultat des négociations avec ou sans grève? Cette analyse comparative, on ne la fait pas, parce que l’on n’essaye pas la seconde option. Faire six jours de grèves rotatives ou des 45 minutes de pauses non payées dans d’autres secteurs ne pèse pas dans la balance des négociations. De plus, ce sont les syndicats locaux qui absorbent le coût de cette grève, alors que la CSN, au niveau national, profite de cotisations plus que généreuses de la part de ses membres sans contribuer dès le départ au fonds de grève.

Pour ceux qui avancent que de faire la grève demeure leur seul moyen de pression: le fait de ne pas en avoir d’autre ne démontre en rien l’utilité de celui-ci.

  • Troisième raisonnement : « La négociation de bonne foi ».

Le gouvernement démontre, dans un message public très ciblé, qu’il est « ouvert à la négociation », qu’il veut « en arriver à une entente », etc. Peu importe ce que l’on perçoit, il faut lire dans le message du gouvernement un scénario planifié pour illustrer sa bonne foi. Évidemment, ici nous parlons de forme, mais il n’en demeure pas moins que jusqu’à maintenant, le gouvernement gère l’agenda. Ainsi, vous avez raison, le droit à une loi spéciale dépend de l’interprétation de la négociation de bonne foi. Ce n’est peut-être pas pour rien que le discours gouvernemental est détendu et pausé : quand viendra l’heure de l’interprétation légale, on aura prévu le coup. Peut-on en dire autant de la partie adverse ?

Émission du 19 novembre 2015 Infoman Radio Canada.ca
(Crédit: Infoman – Ici Radio-Canada)

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Pourquoi les négociations du secteur public sont prévisibles? Le gouvernement ne se sent pas menacé par un départ massif d’employés.

 

A) Le régime de retraite à prestations déterminées : un outil de captivité.

Il est extrêmement pénalisant de quitter un régime de retraite à prestations déterminées parce que l’avantage financier se retrouve dans la partie « assurance future » de celui-ci. Ainsi, si un professeur de cégep quitte son emploi après 10 ou 15 ans d’enseignement, il perd l’avantage d’être rémunéré à la retraite sur les meilleures années financières de sa carrière. Ce type de régime de retraite est construit pour assurer la loyauté et pénaliser les départs. Dans une sphère économique où la précarité d’emploi et les multiples carrières se cumulent, le régime de retraite empêche l’employé de regarder ailleurs quand il sait compter.

B) Emplois peu disponibles dans le secteur privé

 Certains employés du secteur public sont captifs de leur emploi, car il n’existe pas dans d’autres sphères de la société. Pour les travailleurs de ce type d’emploi, menacer de tout quitter ne constitue même pas une option : il n’existe pas d’autres offres extérieures. Ainsi, on a beau crier à l’injustice, se rebeller, on ne peut pas utiliser la stratégie de mise en abîme. Le marché privé ne pourrait pas suffire à la main-d’oeuvre de certains domaines du secteur public.

C) Formation avec « faible valeur marchande » :

Chaque fois que l’on utilise les termes « valeur marchande », on se fait accuser de prôner l’utilitarisme et de répondre à une logique de marché infecte à une société. Malgré tout, dans la réalité, certaines formations académiques et professionnelles ne trouvent pas de valeur marchande appréciable. C’est-à-dire que peu de personnes ou d’entreprises sont prêtes à payer pour une expertise jugée accessoire ou non prioritaire (sans jugement de valeur ici, simplement une question de statistiques salariales). Ainsi, quand on se forge une valeur marchande comme employé, on agit en toute connaissance de cause. Certains employés du secteur public sont plus négociables que d’autres. Le monde du travail d’aujourd’hui rémunère pour un résultat, pas pour des diplômes, aussi vexés soient les diplômés de certaines facultés de cet état de faits.

La vraie arme des syndiqués? Une menace de démission collective. Le problème? Qui veut quitter un emploi demeurant sa meilleure espérance de revenus? Le gouvernement peut dormir tranquille et il le sait.

Cordialement,

Le professeur, chroniqueur et comptable non masqué.

 

NB 1: Je tiens à vous exprimer ma tristesse envers ces professeurs ou enseignants utilisant un avatar pour s’exprimer publiquement. Le professeur peut, contrairement à plusieurs citoyens, s’exprimer en toute liberté sans risquer de perdre son emploi sous des pressions corporatistes. Voilà, quand je m’exprime publiquement, je n’utilise pas un avatar, un masque virtuel ou un costume de nounours anarchiste. C’est peut-être cela être un véritable esprit libre, peu importe le prix.