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La culture avec un grand K

Quand on analyse les médias, on a parfois l’impression que lorsque l’on parle de culture, on se limite au côté artistique de celle-ci. Il faudrait la promouvoir, la subventionner, la favoriser, et l’intégrer dans la tête de toute personne. On galvaude le terme culture à la sauce du terme « changement » en politique. Quand on parle de la culture, les phrases sont souvent aussi creuses que celles d’un discours politique.

Les artistes utilisent souvent la nécessité de promouvoir la culture pour soutenir leur raison d’être et leurs intérêts économiques. Comme un enseignant parle du futur des enfants pour monnayer ses conditions salariales. La culture est dans toutes les langues et dans tous les gestes d’une population. Elle n’est pas qu’artistique ou littéraire. Elle est aussi politique, économique ou scientifique. On ne peut pas tout savoir ni tout connaître : c’est ce qu’il y a de beau de notre passage sur Terre. Il faut éventuellement accepter cet état de fait.

Quand deux intellectuels masturbent leur ego en riant du fait que telle personne ne connaît pas l’œuvre d’Atom Egoyan, de Robert Lepage ou de Félix Leclerc, ils ne réalisent pas qu’ils rient d’eux même d’une autre façon. Deux banquiers pourraient renverser la vapeur en leur demandant ce qu’ils pensent de l’évolution de la politique monétaire de la FED sous les règnes de Greenspan, Bernanke et Yellen. Pendant ce temps, un étudiant de cégep en sciences pourrait demander à ces mêmes personnes d’expliquer les fonctions de la mitochondrie, de l’ARN messager et de la membrane cytoplasmique.

Cette petite démonstration illustre bien un fait : on peut être cultivé dans un domaine, mais être un parfait inculte dans un autre. Mépriser quelqu’un pour son manque de connaissances dans le domaine A revient à accepter de se faire démolir dans un domaine B. Par contre, dans le monde des médias, il y a ce lieu commun de la hiérarchisation des cultures. Ainsi, on mettra à l’avant plan ce que pense un réalisateur, un auteur de fiction, un acteur, un comédien, un humoriste ou un animateur. On supportera le tout avec des philosophes, des sociologues ou des historiens. On limitera les intervenants du domaine scientifique ou économique en décidant d’avance que ces types de cultures sont d’une importance inférieure et qu’il est normal de trouver celles-ci arides et plates. Combien de fois ai-je entendu « le public ne comprendra pas » ou « ça n’intéresse personne ». L’auteur de ces affirmations est donc en train d’extrapoler ce qu’il aime ou désire dans la tête des Québécois par son filtre personnel. On invitera Marie Laberge ou Michel Tremblay en vénérant leur œuvre, tout en laissant Louise Tremblay-D’Essiambre dans l’ombre même avec ses millions de livres vendus. La preuve, avant de lire ce texte, connaissiez-vous Louise Tremblay-D’Essiambre? Non? Comme moi, il y a quelques mois. C’est en écrivant un livre pour la même maison d’édition de cette dernière que j’ai saisi la réalité : le milieu médiatique décide ce qui mérite d’être discuté. Cela explique pourquoi un chanteur country roulant sa bosse depuis des décennies demeure inconnu du grand public. On a décidé que l’artiste pop de talent moyen à la musique criarde méritait plus d’attention (surtout si on parle de son bébé à venir dans la revue à potins) que celui roulant sa bosse du monde musical parallèle depuis des décennies. On a en quelque sorte hiérarchisé la culture avec un grand K.

Il n’y a pas de mérite à avoir lu Chomsky plus qu’un livre de recettes de Ricardo. Surtout si la lecture de l’œuvre était obligatoire dans ton cursus scolaire. Ne pas accorder du temps à certaines lectures ou pièces de théâtre n’est pas un mal. Il n’y a pas de produit culturel qui mérite de se prosterner devant un auteur et d’en mépriser un autre. La diversité fait partie de la société et si chacun mangeait toujours à la même table, on vivrait dans une population convenue en manque de vitamine B12. Ne pas avoir vu un film de Xavier Dolan n’est pas plus méprisable que ne pas avoir vu ou lu la série Harry Potter. Le temps est limité, à chacun sa route.

Au numéro de la culture générale, la majorité des gens peuvent être invités à un dîner de cons : il faut juste s’assurer que le con soit cultivé dans un autre domaine ou champ d’intérêt que le sien. On est tous le con de quelqu’un, parce que l’on est humain. Je suis, tu es, il est, nous sommes, vous êtes, ils « cons ».