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Pierre Renaud : quand un commerce démocratise le livre

On apprend aujourd’hui le décès de Pierre Renaud, le cofondateur de Renaud-Bray. C’est une journée pour honorer et souligner l’apport d’un homme d’affaires. On achète chez Renaud-Bray, on y entre et on y découvre des produits. Pour les puristes de l’industrie, on ne peut pas tolérer que l’on puisse parfois acheter un livre dans un endroit où l’on trouve d’autres types de produits. En tant qu’auteur, j’aimerais relativiser cette perception.

Le livre est un produit. Oui, un produit avec des mots, mais il est un produit. Peu importe le culte que l’on peut y porter, c’est un produit à vendre avec un coût de revient, des employés à payer, de la distribution et de la mise en marché. Pour que les gens achètent des livres, on doit parler du livre, on doit le voir, on doit le toucher. Le livre n’est pas une boîte de vis, mais ce n’est pas non plus un objet de culte qu’il faut élever au rang supérieur. Ce qui rend le livre noble, c’est le contenu, pas le contenant. Le contenant porte le contenu, mais il demeure un contenant. Peu importe ce que l’on en pense, le contenant est ce qui fait vendre le produit.

Peu importe ce que la librairie indépendante peut percevoir, le fait que Renaud-Bray ait une place importante dans le marché, elle en bénéficie d’une certaine façon. Quand le commun des mortels entre dans un centre commercial et qu’il entre dans un Renaud-Bray, il s’initie au livre. Il accepte d’entrer dans cet univers. On ne voudrait que des librairies indépendantes ? Désolé, je n’y crois pas. Une réalité est qu’une grande partie de la population peut passer sa vie sur Terre sans mettre le pied dans une librairie de ce type. Par contre, une grande partie de la population finira par mettre un pied dans un Renaud-Bray. De la sorte, le consommateur s’initie au livre, il inculque à son cerveau le désir de lire. De la même façon, un Costco, un Walmart ou une épicerie aident aussi à publiciser le livre. Chaque fois que l’on parle du livre ou qu’on le voit, on aide l’industrie. Quand on arrête de voir un produit, il disparaît tranquillement.  Nous sommes dans un écosystème du livre qui a besoin de tous ses joueurs. Évidemment, Costco et Walmart ont leurs effets pervers: en vendant le livre à rabais, on envoie un signal au consommateur que le livre vaut moins cher que le prix suggéré par l’éditeur. Le consommateur ne perçoit pas toujours tout le travail et le risque d’affaires pris par les éditeurs et les détaillants. Aussi, ces grandes surfaces vendent des valeurs sûres. Renaud-Bray accepte de vendre une diversité importante de titres et ne concurrence pas les librairies indépendantes sur le prix de détail. Sans ouvrir un débat plus large, l’industrie est plus complexe qu’on ne le pense.

Je n’entrerai pas dans le débat de la chaîne du livre ni des pratiques commerciales des détaillants. L’angle de ce texte est la distribution du livre. Durant mes études en journalisme, j’avais un professeur de littérature qui nous faisait des éditoriaux contre Renaud-Bray. Il nous expliquait comment nous les jeunes, nous étions des incultes de ne pas acheter nos livres exclusivement chez Olivieri. Récemment, on apprenait justement que cette librairie avait été sauvée par … Renaud-Bray.

J’y achète des livres comme je le fais dans les librairies indépendantes.

Ce que les éditeurs comprennent : plus le réseau de distribution du livre est important, plus l’industrie fait la promotion du livre. Que le livre soit vendu chez Costco, Wal-Mart, Renaud-Bray ou à la librairie Boyer de Salaberry-de-Valleyfield, l’auteur touche le même montant. Cela, peu importe le prix de vente au détail.

En somme, l’industrie du livre, c’est la fine ligne entre les intérêts communs et la concurrence. Quand une personne qui ne lit pas souvent achète mon livre, elle me fait plaisir. Elle me dit qu’elle n’a pas d’intérêt pour la lecture en général, mais que le produit l’a intéressé au-delà de ses habitudes. Pour moi, c’est le plus beau compliment que l’on peut me faire en tant qu’auteur. C’est-à-dire raviver le goût de lire à quelqu’un.

En cette journée de deuil pour la famille de Renaud-Bray, c’est peut-être l’occasion d’avoir un œil nouveau sur l’héritage de Pierre Renaud et d’y voir une contribution à une industrie en constante évolution. Le commerce du livre n’est plus ce qu’il était autrefois, rendons à César, ce qui appartient à César: Pierre Renaud a eu une vision que ses compétiteurs n’ont pas su ou pu avoir.