(Parfois) Le système public est une drôle de bête. Il aime la stabilité, il aime la routine. Il ne faut pas trop le brasser le public. Oh non, quand la compétence se pointe le bout du nez, elle fait peur aux inertes. Ceux-ci n’aiment pas être chamboulés. Ils bloquent l’arrivée des acteurs de changement. En fait, il faut être docile et ne pas brusquer les sentiments. Il faut faire comme l’an dernier plus 2%. Tout cela dans un monde où « on a toujours fait ça comme ça » demeure l’argument de réflexion primaire. En fait, dans ce monde, on préfère un geste défensif sans risque, plutôt que d’oser réussir avec brio. On ne gère pas, on maintient le bateau à flot.
Pour monter dans le système public, il faut prendre son trou. Il faut être patient. Dans un système où la compétence se définit par le nombre d’années passées dans un poste, la promotion est un système de méritocratie. Un système où les intérêts d’un petit groupe peuvent passer devant ceux de la collectivité. Pour être gestionnaire, même pas besoin de qualifications, juste d’avoir déjà fait du temps. Celui où l’optimisation des ressources collectives est un concept bien théorique. Parfois, on a l’impression de vivre dans un système où certains cherchent l’éclat du soleil, mais se cachent rapidement lorsque vient l’orage.
Dans le système public, la pomme pourrie est blindée. Incapable d’être gérée par des gestionnaires trop mous et par une protection syndicale à toute épreuve, l’abuseur de système se graisse la patte. Il est libre, on ne le dérange pas. Il pourra abuser de tous, ça prend du courage politique ou un dossier épais comme un double Big Mac extra salade pour s’en débarrasser. Dans le public, on préfère ne rien faire plutôt que prendre des décisions. Puis, à voir le traitement de faveur que l’on donne à la pomme pourrie, on se retrouve à cumuler les effets négatifs. Les plus motivés perdent leur entrain. On assiste à une désaffection des plus talentueux, blasés de voir le système se cristalliser autour de l’inaction. On donne une chance, puis on est déçu.
On peut être déçu par le système public. Celui qui a besoin d’une année pour prendre le virage d’un degré. Le système public préfère parfois créer une structure de trop, pour ne pas avoir à déranger le moindre ego local. On pénalisera ceux qui questionnent, ceux qui réfléchissent. On finira par avoir leur peau à force de jouer du coude par vanité, incompétence ou manque de confiance en soi.
Je l’ai toujours dit, les employés compétents s’entourent de gens compétents. Les incompétents ont peur. Ils se bâtissent un mur de protection, on tient à l’écart les éléments clés. Juste pour être certain de continuer à régner sur un royaume que l’on juge à son service. Pour être certain de garder la main mise sur son royaume, on amène des amis.
Aller de l’avant, changer les conventions, améliorer le service commun passera seulement par des obligations et non par une initiative. On ne veut pas déranger, les meubles sont au bon endroit. Pourquoi ne pas juste faire comme d’habitude. L’argent public, c’est un concept un peu vague. On n’a personne qui frappe à la porte en disant : comment se fait-il que l’efficacité ne soit pas au rendez-vous. On se compare à soi-même et le miroir affirme que tout est correct.
Dans un monde où le questionnement pertinent est vu comme un élément perturbateur, je me sens bien loin d’une autre époque. L’époque du public où à 36 ans, on pouvait devenir premier ministre du Québec. L’époque où une nation s’est dit : on nationalise notre hydroélectricité. L’époque où le Québec allait à New York négocier à l’étranger lorsque des roitelets locaux jouaient à l’abus de pouvoir.
Cette province pourrait innover, s’améliorer et sortir de ses habitudes. Pour cela, elle a besoin d’établissements d’enseignement qui innovent, changent les façons de faire et fouettent le moral des troupes. Pas de chance, le système public est une drôle de bête bien domestiquée.
NB: Le présent texte est une généralisation. On pourrait dire « Parfois » devant chaque phrase. Par exercice de style, je laisse le parfois être implicite dans la tête du lecteur.
Bien dit!
J’ai travaillé dans ce système en sortant de l’école . J’y suis restée ~ 10 ans à temps partiel car il n’avait aucun poste de disponible et de nombreuses coupures .
Quelle chance finalement car je crois que je serais morte d’ennui…
« Aller de l’avant, changer les conventions, améliorer le service commun passera seulement par des obligations et non par une initiative. »
Ce texte n’est-il pas une initiative proposant une prise en charge de ces améliorations? 😉
La structure bloque cette prise en charge.
Comparer le système public au privé comporte un risque, celui de confondre un service public avec celui qui vise la quête du profit et de la rentabilité. Oui, il y a des pommes pourries au public. N’y en t-il pas au privé? Les deux systèmes n’assimilent pas ces derniers de la même façon. Dans l’enseignement collégial, par exemple, un piètre enseignant est vite jugé et moqué par ses étudiants (es) et il en arrache à poursuivre ce boulot. Au privé, il stagne ou change fréquemment de boulot. On peut certes établir des liens et des différences entre les deux systèmes, mais ils ont chacun une génétique spécifique, avec leur qualités et défauts respectifs. À quoi mesure t-on l’efficacité et la non-efficacité d’un enseignant du collégial? Au nombre de comités sur lesquels il siège, au nombre de fois où la direction ou les les collègues l’encensent et lui remettent des prix? Personnellement, je connais des professeurs qui ne sont pas impliqués dans le système, mais qui sont de putain de bons enseignants, compétents et dévoués pour leurs étudiants (es). Il y en a d’autres qui ont besoin d’être partout, de participer au moindre rassemblement, événement ou comité. Sont-ils pour autant de meilleurs enseignants (es)? L’efficacité d’une institution publique s’évalue t-elle par le nombre de changements, de réformes et de branle-bas de combat qu’elle effectue? Une bonne recette mérite parfois d’être tout simplement améliorée, adaptée et implémentée. Après plus de trente année dans le système des cégeps, j’ai vu bien des tempêtes, des réformes et autres scénarios de changements, se révéler inutiles, nuisibles et bâclées, pour faire plaisir aux électeurs ou à telle partie de la société et donner l’impression qu’ils ont le navire bien en mains. Mais, parfois également, les changements s’imposent. Tout dépend de qui les porte, les initie et en évalue tous les impacts.
Monsieur Mongeau,
Ce texte ne fait pas le sophisme du faux dilemme d’opposer le public au privé. Ce serait une erreur d’interprétation. On ne fait que souligner les problèmes constatés dans le secteur public. On ne parle pas de comparer avec le privé…
On souligne les problèmes qui arrivent, parfois, je dis bien parfois au public. D’où le mot « parfois »‘
Vous dites: « Dans l’enseignement collégial, par exemple, un piètre enseignant est vite jugé et moqué par ses étudiants (es) et il en arrache à poursuivre ce boulot. »
Ça me rappelle le cas d’un professeur qui donnait un examen à choix de réponses comme examen final. Il proposait même à ses étudiants de remplir le mot manquant en donnant la première lettre de chaque réponse. Un étudiant se moquait de ce prof en me disant: « Il a écrit un final qui se répond en maximum 10 minutes et qui doit se corriger en deux minutes, il voulait partir en voyage au plus vite. Nous, les étudiants, on ne va pas se plaindre que ce professeur abuse du système quand son examen final se répond en 10 minutes ».
Comme quoi, les abus ne sont pas toujours dénoncés. Ils se perpétuent chaque année et les collègues ferment les yeux. Fermer les yeux est un sport moins forçant que de prendre action.
Par exemple, un professeur qui donnerait un examen final à choix de réponses qui se répond en 10 minutes pour pouvoir partir en voyage annuel…
Suite à la réponse de monsieur McSween à mon commentaire ci-bas, j’ai préféré répondre en privé à celui-ci, parce que je trouvais déloyal de lui répondre honnêtement sur une tribune publique. Ceux ou celles parmi les collègues qui désireraient avoir écho du message en question, peuvent s’adresser à moi en privé. Bien à vous, Michel Mongeau
Je ne comprends toujours pas quel indice dans ce texte fait référence à vous Monsieur Mongeau. C’est un débat public ici, pas un échange de courriels.
Je ne me permettrai que de dire que c’est la nature humaine et c’est bien de faire ce constat mais les entreprises qu’elles soient publiques ou privees sont des micro-société et on peut partout aisément constater les mêmes comportements
Précisons que ce portrait n’est pas caractéristique du public, mais des grosses structures administratives. On le remarque plus dans le public parce que nous sommes plus directement en contact avec l’organisation et que comme celle-ci supervise un ensemble de services à la grandeur du Québec elle est plus « visible ».
Mais, le portrait est le même dans n’importe quelle grosse entreprise. Même dans un domaine aussi « novateur » que l’informatique, l’immobilisme y fait des ravages. Quiconque a travaillé dans une banque ou une compagnie d’assurances peut en témoigner. Et d’après ce que j’en sais, les entreprises de constructions automobiles fonctionnent de même.
(Il faut lire le « Monde de Dilbert » de Scott Adam pour avoir une liste effarante de décisions « administratives » totalement aberrantes réellement vécues).
Pour ce qui est de la convention collective, c’est surtout un beau prétexte pour l’inaction quand un gestionnaire ne veut pas agir.
Anecdote vécue par mon père des débuts de la syndicalisation des profs: Cinq ou six profs se retrouvaient à enseigner des matières pour lesquelles ils n’étaient pas diplômés (prof d’histoire en math, prof de math en géographie, …) mais qui correspondaient ensemble à leur matière. Autrement dit, en faisant des échanges, chacun se retrouverait dans la matière pour laquelle il était formé.
Constatant ce fait, avant le début de l’année scolaire, ils sont allés voir le directeur pour faire état de la situation et de la solution (évidente) au problème. Faire l’échange ne pourrait profiter qu’à tout le monde, aux profs comme aux élèves. Réponse du directeur: Je ne peux pas à cause de la convention collective. La plupart du temps l’histoire se termine ainsi et on conclut que la convention collective empêche toute gestion intelligente.
Mais mon père n’était pas du genre à s’arrêter à un tel argument. Après tout, une convention collective c’est une entente entre les travailleurs et les « patrons » (administrateurs). A la première assemblée syndicale, il a exposé la situation, Réponse du syndicat: « Vous êtes tous d’accord ? Personne n’est lésé ? Allez-y vous avez notre appui. »
Fort de cet appui, les profs sont retournés voir le directeur. Lequel s’est mis à patiner. « Il faudra revoir les assignations de tâches », « Cela créerait un précédent », …
Un précédent où les profs amèneraient une solution pour améliorer l’enseignement ? Où est le problème ? Bref, devant la volonté des profs d’aller de l’avant avec une solution intelligente, le directeur a fait venir dans son bureau deux d’entre eux, individuellement, et, coïncidence extraordinaire, suite à ces rencontres « privées »,les deux profs en question ont retiré leur demande et le projet d’échange des tâches est tombé à l’eau. Le prof d’histoire a continué à enseigner les maths, le prof de maths à enseigner la géo, …
On peut voir un bon exemple d’un gestionnaire qui ne veut pas se casser la tête et craint par-dessus tout les « précédents » qui l’obligeraient à faire un effort pour améliorer les services données mais qui troubleraient son train-train dans son bureau. Il a même dépensé de l’énergie pour maintenir l’immobilisme et éviter le précédent « dangereux » pour son calme.
Et la convention collective est le prétexte idéal, parce qu’elle semble être un contrat qui lui lie les mains et que lui-même n’a pas signée personnellement*. Mais un simple prétexte. Il y a toujours moyen de passer par-dessus les obstacles administratifs si on a la volonté d’agir…à condition que l’obstacle ne soit pas l’administrateur lui-même.
Ce que vous décrivez bien: « Je l’ai toujours dit, les employés compétents s’entourent de gens compétents. Les incompétents ont peur. Ils se bâtissent un mur de protection, on tient à l’écart les éléments clés. Juste pour être certain de continuer à régner sur un royaume que l’on juge à son service. »
Certaines institutions publiques (écoles, hôpitaux, …) fonctionnent très bien (dans la mesure où le financement inadéquat le permet) et les travailleurs et travailleuses sont enthousiastes et dévoué-e-s. Dans d’autres, il semble y avoir une accumulation « d’incompétents » (souvent des gens démotivés).
Phénomènes qu’on peut aussi observer dans les milieux des grosses boîtes privées.
La différence ? La direction.
Le seul changement qui passe depuis près 40 ans sont les coupures faites au dépends de ceux au bas de l’echelle et du citoyen…
Je suis toujours surprise de constater à quel point les gens ont de la difficulté à interpréter la critique. Le présent texte est un portrait de la tendance qui s’observe dans les services publiques, quels qu’ils soient, et non une pointe personnelle envers chacun de vous (comprendre ici les âmes persécutées qui ont commenté en versant dans l’anecdote personnelle). Qui plus est, M. McSween a même eu le bon soin d’ajouter une note en bas de page afin de parer aux excès de susceptibilité! Et puisqu’il est ici question de commenter, j’aurais plutôt bien vécu avec le fait de substituer « parfois » par « souvent »…