BloguesEn as-tu vraiment besoin ?

Lettre de Mark Eting à la gent féminine

Salut, ça faisait longtemps que je t’avais écrit. Je sais, je te joue dans la tête. Je vais être honnête avec toi : je suis payé pour ça. Je me sers de toi pour vendre des produits et des services. En fait, j’ai programmé ton insatisfaction. Quand je propose une campagne marketing pour un public cible féminin, je ne veux vendre qu’une chose : la période 20-30 ans. Tout le marketing est basé là-dessus. C’est simple, hein?

Oui, tu as une espérance de vie de plus de 80 ans. Par contre, durant ta vie de femme, je vais me concentrer à t’obséder avec cette décennie ou à être nostalgique de celle-ci. Donc, tu passeras 70 ans de vie à attendre ou regretter cette période. Je travaille fort pour que tu ne vives que pour cette période et je suis assez fier : ça fonctionne. Quotidiennement, je cultive ton insatisfaction.

Pourquoi la vingtaine est-elle une période distincte? C’est la première décennie du vieillissement. Le corps commence à s’oxyder et la croissance est finie. On commence tranquillement à vieillir. Entre 20 et 30 ans, ça ne parait pas encore trop.  C’est aussi la première décennie de l’âge adulte. C’est donc la période de référence. C’est celle où tu n’as pas encore de déception majeure. Ton couple n’a pas encore craqué, ton corps n’as pas vécu des accouchements, tu n’es pas usée par le stress du travail, tu n’es pas aigrie par les malchances. Ta vie est encore peut-être parfaite. Je m’ancre dans ce souvenir de toi et je te le vends jusqu’au dernier dollar. En plus, c’est la période où tu as encore des aspirations, où tu rêves encore de projets différents. C’est le dernier moment de ta vie où tu peux « vivoter » à ta guise.

Tu connais l’expression « 30 is the new 20 », c’est moi qui l’a inventée. Pour lancer le message que ta trentaine sera comme ta vingtaine. C’est complètement faux. Ça marche bien, hein? Le pire, c’est que tu me crois. Pourquoi tu penses que le magasin s’appelle « Forever 21 »? Ça aussi, c’était mon idée. Même quand je te vends des tampons, je te mets des images de 20-30. Ridicule, non?

En passant, j’aime beaucoup les «vedettes Instagram ». Tu sais pourquoi? Elles sont parfaites en marketing. Premièrement, elles sont nombreuses, donc l’offre est grande. Je n’ai plus besoin de payer des mannequins à des prix astronomiques. Je cherche les « influenceurs » au féminin. Je leur donne un voyage gratuit contre des photos paradisiaques dans un tout inclus. Tu sais ce qui est génial? Je leur vends l’illusion qu’elles sont « the next best thing ». Leur valeur marchande est de quelques années, le temps que la prochaine vedette arrive. Après, elles ne sont relativement rien. Je leur souhaite sincèrement d’avoir mis de l’argent de côté durant ce temps ou d’avoir développé une entreprise en parallèle. Sérieusement, la « business » de l’apparence, c’est du très court terme. Bâtir une carrière là-dessus, c’est une illusion. Pas d’importance, j’en profite et tu payes.

Tu m’en veux ? Regarde-toi? Regarde les autoportraits que tu publies chaque jour avec un angle favorable et un filtre (tout en montrant tes attributs). Tu ne le sais pas, mais tu m’aides. Tu rends ma vie plus facile. Avant, je payais pour vendre du rêve. Maintenant, tu m’aides à maintenir la cadence presque gratuitement. Comment ça? Quand tu mets juste tes vacances, tes loisirs et tes beaux portraits sur les réseaux sociaux, tu m’aides à nourrir l’insatisfaction de mon public cible. Et tu sais quoi? Tu ne me charges rien pour ça. Par la suite, j’achète les mots clés de tes conversations privées avec tes amies dans les messages privés et publics. Voilà, tous les « suiveux » sur Facebook ou Instagram, je peux maintenant leur vendre le rêve à peu de frais. Je vais leur vendre leur période 20-30 ans ou la nostalgie de celle-ci pour l’éternité.

Je te vends des voitures, des cosmétiques ou des vêtements avec de la jeunesse. À la télévision, ce n’est pas différent. Pourquoi penses-tu que le téléphone ne sonne plus souvent chez les actrices de 40 ans et plus ? On ne veut pas vendre la vie ordinaire au public. Même les séries sont écrites pour vendre la décennie souhaitée. Les agences d’artistes le savent. Dans une fiche d’actrice, il est écrit « âge à la caméra » et on va enlever quelques années de vie à son actif. C’est ça la réalité. On ne vend pas du réel, tu le sais, mais tu achètes quand même.

Et quand je ne peux pas te vendre du rêve, quand je n’arrive pas à te convaincre que le 20-30 est à ta portée, j’utilise la stratégie de la dernière chance. Je te vends l’estime de toi. Tu pensais que j’avais un cœur et une conscience? Mais non, je te vends juste ce que tu veux avoir. Je te vends ce que tu veux voir et entendre. Je te vends donc une campagne pour l’estime de toi. Sérieusement, tu penses que j’ai un autre objectif que de faire plaisir à mon client qui cherche à vendre des produits à un public cible? C’est beau la naïveté. Tu sais ce qui est bien avec la vente de l’estime de soi? Je peux viser une clientèle mineure sans tu ne m’accuses de viser les jeunes à des fins mercantiles. En fait, tout ça sert à fidéliser les jeunes filles à ma marque pour le jour où elles auront de l’argent à dépenser.

En somme, merci pour tous ces « likes », « # » ou autres publicités gratuites quand tu te vantes de faire quelque chose. Tu sais quoi? Toi aussi tu fais ça pour générer l’envie,  le désir ou pour faire du marketing avec ta vie privée. En somme, tu veux dire à tes amies comment ta vie est plus extraordinaire qu’elle ne l’est réellement. Toi aussi, tu vends 10 jours de ton année sur les réseaux sociaux avec un angle favorable. Évidemment, tu ne mettras jamais les 355 jours ordinaires du reste de ton année. Tu ne susciterais pas l’envie et tu ne m’aiderais pas.

Tu as beau mettre tous les «# » de liberté et de voyage que tu veux. Moi, je vois tes dettes, c’est moi qui te les vends. Je sais que tu es prisonnière. Je te vends cette prison virtuelle. Celle des 20 à 30 ans. Merci de rendre mon travail trop facile.

Partage cette lettre sur ton mur, identifie 100 de tes amies et cours la chance de gagner un voyage. Je blague évidemment. Avoue que t’allais le faire…

Cordialement cynique

Mark Eting