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L’affaire Rozon : entre idéalisme et réalité

Depuis l’éclatement de l’affaire Rozon, certains humoristes tentent de se dissocier de lui en rejetant Juste pour rire. Peut-être ont-ils l’impression que le jour où le Groupe Juste pour rire sera vendu, les liens économiques avec Gilbert Rozon seront brisés. Pourtant, d’un point de vue économique, les humoristes pourraient contribuer à rémunérer implicitement ce dernier si l’entreprise maintient ses activités, et ce même si Rozon vendait toutes ses actions. Plusieurs humoristes se verront alors confrontés au choc de la réalité économique.

Que représente le prix de vente d’une entreprise?

Le prix de vente d’une entreprise peut se baser sur la valeur d’actifs et/ou d’exploitation future de celle-ci. Dans le cas du Groupe Juste pour rire, ce qui a de la valeur c’est la capacité à générer des flux monétaires nets futurs provenant des spectacles et de productions en tout genre. Si Gilbert Rozon vend ses intérêts financiers dans Groupe Juste pour rire, il vendra donc l’espérance de rentabilité future de l’entreprise. L’acheteur paye en date d’aujourd’hui le rendement futur… ou une fraction de celui-ci.

La valeur de l’entreprise peut être simplifiée par le calcul de l’actualisation des flux monétaires nets futurs. Autrement dit, la sommation des liquidités nettes attendues actualisées en valeur d’aujourd’hui octroierait sa valeur à l’entreprise. La façon d’évaluer une entreprise dépend aussi de sa nature et du degré d’incertitude des activités futures. Des spécialistes en évaluation se chargent habituellement de calculer une fourchette de valeurs.

Évidemment, ce modèle peut changer d’une situation à l’autre. Les activités du Groupe Juste pour rire comportent un fort degré d’incertitude à long terme. Est-ce que les politiques gouvernementales qui ont favorisé la croissance de l’entreprise seront favorables pour plus de 10 ans? Gilbert Rozon était un puissant lobbyiste de l’industrie du rire. Et cette influence sera difficile à transférer à un autre joueur.  L’urgence de la vente et l’incertitude de ce qui adviendra des finances du Groupe Juste pour rire nous permettent de penser qu’il y aura une réduction de valeur pour l’acheteur par rapport à une situation où l’empire ne nagerait pas en plein scandale.

Clauses du contrat de vente

Quand on achète ce type d’entreprise, il n’est pas rare de mettre en place des clauses conditionnelles, surtout lorsque la valeur de l’activité est fortement basée sur le propriétaire sortant. Par exemple, le prix d’achat pourrait être variable en fonction de la performance future du Groupe Juste pour rire. Il se pourrait donc que le contrat de vente stipule que le prix de vente variera en fonction des spectacles à venir. Encore ici, les humoristes qui choisiront de travailler sous la bannière Groupe Juste pour rire après la vente pourraient contribuer à augmenter le prix de vente potentiel.

Fournisseur principal de l’OBNL

Au Québec, les grands festivals ont une structure souvent similaire à celle-ci : un organisme à but non lucratif (le festival) engage un fournisseur de services (la compagnie de production à but lucratif). Pour illustrer cette réalité, j’avais écrit cyniquement le blogue suivant pour jouer humoristiquement avec le concept en 2015. Il avait choqué certains producteurs.On précise d’ailleurs dans un communiqué de presse que «  Le Groupe juste pour rire est le principal fournisseur du Festival. »  Un chiffre d’affaires de 124 M$ et plus employés selon ce reportage de TVA. Évidemment, 124 M $ de chiffre d’affaires, ça ne veut nullement dire des bénéfices équivalents. Il faudrait voir les livres. Quand on pense que le Festival Juste pour rire ne génère pas une rentabilité, il faut voir comment il peut nourrir le Groupe Juste pour rire de plusieurs façons : renforcement de la marque, développement de produits, développement d’humoristes, génération de contenu vendable, etc.

La question qui tue

Le groupe Juste pour rire a le monopole sur le festival de l’humour à Montréal. Va-t-on détruire une entreprise à cause des mauvais agissements de Gilbert Rozon? Va-t-on pénaliser les employés actuels ? Personne ne semble penser cela. Surtout que, contrairement à l’entreprise d’Éric Salvail, le Groupe Juste pour rire a une valeur intangible existante sans Gilbert Rozon.

La question : Gilbert Rozon possède-t-il des actifs immobiliers qui seront loués à groupe Juste pour rire après la transaction? Est-ce qu’il y a un autre joueur qui pourrait entrer en concurrence avec l’entreprise existante ? Est-ce que les humoristes accorderont leur «pardon» à l’entreprise une fois la vente effectuée. C’est sans compter qu’après cette fameuse transaction, la marque devra fournir un effort considérable afin de redorer son image,  histoire de maintenir sa valeur.

L’avenir s’annonce tumultueux pour le nouvel acquéreur. Et à moins que Gilbert Rozon ne donne carrément le Groupe Juste pour rire, il bénéficiera implicitement des avantages économiques futurs de l’entreprise du simple fait de la vendre. Malgré tout, Gilbert Rozon paiera le prix de ses agissements personnels : il obtiendra moins de valeur pour son entreprise maintenant qu’il en aurait obtenue il y a un mois. Vous pouvez sortir Gilbert Rozon de Juste pour rire, mais plus difficilement les intérêts économiques de ce dernier. Entre idéalisme et réalité, il y a parfois un écart.