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Matière première: les corps

 
La pudeur des icebergs (2004) de Daniel Léveillé : La pudeur des icebergs (2004) de Daniel Léveillé. Sur la photo: Mathieu Campeau
Photo: Marian Alonzo, Copyright: Daniel Léveillé Danse

La lumière de la salle s'atténue lentement et un éclairage blafard et glacial se fait sur la scène. Les secondes s'effritent dans un silence parfait… Et puis, trois danseurs entrent complètement nus. Et leurs corps se mettent en mouvement. Le spectacle La pudeur des icebergs de Daniel Léveillé Danse – présenté lundi dernier au Théâtre du CNA dans le cadre du FDC – est difficile à décrire. Les corps sautillent, s'écartèlent et s'entrechoquent les uns aux autres… Et à la moitié du spectacle, un nouvel homme nu entre en scène et une personne la quitte. Est-ce impossible dans cet entre-monde qu'il y ait plus de trois personnes à la fois? Et ce manège se répètera quelques fois et on découvre qu'en tout, ils sont six. Puis, plus tard, la femme se joindra au groupe et déclinera subtilement l'ordre établit.
La musique est jouée en sourdine, elle flotte à dix milles lieux des danseurs, comme sur un vieux vinyle qui tourne oublié dans une maison qui craque… Et quand la musique s'éteint, c'est les râlements et souffles des danseurs qui prennent toute la place.
Ici, le corps est le matériau premier de la danse et il est utilisé sous toutes ses formes. La nudité est totale. Il y a une telle impudeur qui s'immisce jusque dans les positions, alors que les danseurs prennent des postures impossibles, s'écartèlent, se "surexhibe" si je puis dire. Tout cela sans la moindre provocation gratuite. La nudité ici se fait "naturelle" (comment être plus naturel?) et ne choque pas.
…Des ricanements se feront entendre chez les spectateurs au cours du spectacle, surtout lorsqu'un danseur met la main sur la fesse "déhanchée" d'un autre… Mais ils sont légers et probablement justifiés…
On essaie d'esquisser quelques pistes de réflexion sur le spectacle qui nous est donné de voir, mais on se retient aussi. Pourquoi est-ce qu'il faudrait absolument y trouver du sens? Pourquoi est-ce qu'il faudrait absolument comprendre l'intention?
Mais c'est plus fort que nous, on voit les thèmes des relations entre homme-femme, homme-homme, de sexualité, du temps aussi poindrent le bout du nez. Mais on ira pas plus loin parce que ce qui nous est donné de voir est suffisant pour la tête et les yeux.
Prenant un tempo plus saccadé, on devient à un moment lassé des scénarios que l'on voit en boucle, puis finalement on est éblouis devant la pyramide de corps qui s'empilent, qui forment ce qu'on interprète (ou on ne veut interpréter) comme un iceberg…
Je vous invite à lire l'entrevue qui était publiée à Montréal en mai 2004 sur cette production, dont je vous cite ici un extrait où Daniel Léveillé s'explique sur la contrainte de la nudité:

La leçon que j'ai eue avec la création d'Amour, Acide et Noix, c'est de m'apercevoir à quel point la peau était le véritable costume de l'être humain. Mais au-delà de cette transparence, il y a toujours, malgré tout, quelque chose qu'on ne dévoile pas. La pudeur des icebergs, c'est probablement la masse, en dessous, qu'on ne voit jamais.