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L’Othello de Marleau

 
Éliane Préfontaine, Ruddy Sylaire et Vincent-Guillaume Otis
Photo: Marlène Gélineau Payette

C'est hier que je me suis dirigée vers le Théâtre du Centre national des Arts pour y voir l'Othello de Denis Marleau. Majestueux! On aurait dit que ce metteur en scène se destinait depuis toujours à adapter cette pièce de répertoire. Au départ, j'avais du mal à m'imaginer à quoi pouvait bien ressembler du Shakespeare entre les mains d'un metteur en scène qui priorise l'épuration et le dépouillement, mais hier, je me suis rends compte que c'était là une des plus valeureuses façons de monter du Shakespeare aujourd'hui. En éliminant les coulisses, en ayant pour décor que trois grands murs gris amovibles, en costumant les comédiens des plus simples vêtements quotidiens et en faisant un travail minutieux sur le jeu et le langage du texte, Denis Marleau a donner tout son oxygène à ce classique vieux de quatre siècles. Un réel travail de moine a été réalisé par Normand Chaurette – qui faisait cette nouvelle traduction – et Denis Marleau pour qu'un certain champ lexical du texte soit rayonnant: on soupçonne que tous les mots entourant les injures proférées à l'endroit d'Othello et la noirceur de sa peau étaient de ceux-là, de même que tous les mots évoquant la mort, la haine. J'ai particulièrement apprécié lorsque certaines phrases lumineuses étaient projetées sur les paravents: elles étaient choisies avec beaucoup d'attention et nous informait de ce qui ne pouvait être dit à voix haute: pensées, bouts de

 
Éliane Préfontaine et Christiane Pasquier
Photo: Marlène Gélineau Payette

dialogue imprimés sur ces murs comme s'ils avaient été gravés avec un couteau. Marleau a aussi enchevêtré quelques dialogues, ce qui avait pour effet de faire grimper la peur, la haine ou la domination des personnages qui glissaient lentement dans un abîme sans fond. La musique choisie était aussi fort à propos et contribuait à filtrer des climats malaisés ou violents.
Cette grande recherche autour du texte permettait donc au spectateur d'«entendre» et voir toute la richesse que renfermait cette pièce, sans compter que les comédiens ont fait un travail formidable d'interprétation. Pierre Lebeau nageait comme un petit poisson dans l'eau dans son rôle de Iago – lui qui en est à sa 14e pièce avec Marleau – avec sa voix rêche et son air malicieux. Éliane Préfontaine évoquait parfaitement la naïveté, vulnérabilité et la beauté pure de Desdémone. Christiane Pasquier était solide et touchante en Émilia, l'épouse de Iago. Je ne saurais passer sous silence les interprétations de Bruno Marcil (connu pour ses pubs de Plaisirs gastronomiques!) dans le rôle du docile et simple d'esprit Roderigo: impeccable; ainsi que celle de Vincent-Guillaume Otis dans le rôle de Cassio. Enfin, celui que j'attendais de découvrir avec hâte dans les chaussures d'Othello, Ruddy Sylaire avait le parfait physique de l'emploi: armoire à glace avec une voix puissante et un regard perçant.
Un grand Marleau, il ne fait nul doute. Jusqu'à ce jour, sa production du Moine noir de Tchekhov demeurait pour moi une des grandes productions de Marleau, mais voilà qu'un autre spectacle est venu détrôner ce qui pour moi évoque le grand talent de Denis Marleau. C'était l'avant-dernier spectacle de Marleau en tant que directeur artistique du Théâtre français du CNA (sa mise en scèene de Ce qui meure en dernier de Normand Chaurette sera présentée en mars 2008) et je sais d'ores et déjà qu'il va nous manquer!
Il reste une représentation d'Othello au CNA à Ottawa ce soir. Ensuite, il faudra aller la voir à Montréal du 1er au 4 novembre à l'Usine C.
(Lire ma rencontre avec les membres de la production).

Pierre Lebeau et Ruddy Sylaire
Photo: Marlène Gélineau Payette