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Rencontre avec Stanley Péan

Quelques passages d'un entretien passionnant avec Stanley Péan, président d'honneur du 29e Salon du livre de l'Outaouais (SLO) qui se déroule du 28 février au 2 mars à Gatineau.

«Je ne me déplace jamais sans plein de disques dans mes poches!»

-On célèbre cette année votre 20e année d'écriture. On a envie de vous faire briller semble-t-il: le Salon du livre de Montréal vous fait invité d'honneur et le Salon du livre de l'Outaouais, un président!

«C'est mon année, moi! Bien, c'est pas moi qui va m'en plaindre évidemment!»

-Comment s'est déroulé votre participation en tant qu'invité d'honneur au Salon du livre de Montréal l'automne dernier?

«C'est la première fois que je le faisais, j'étais très content de le faire. Ça veut dire qu'à ce moment-là, il y a plus d'activités auxquels on participe, des tables rondes, il y en a toujours pour les auteurs moyennement connus, mais quand on est invité d'honneur, il y a braquage des projecteurs sur soi, ça oblige à une plus grande présence au salon. Mais moi, la discipline du Salon du livre, c'est quelque chose que j'aime bien, que je fais depuis longtemps. D'être là, de répondre aux lecteurs, de rencontrer des gens et de discuter de notre travail. Le reste du temps – c'est un cliché mais c'est vrai -, le travail d'écrivain ça se fait tout seul alors il faut quand même qu'il y ait une espèce de soupape un peu plus sociale.»

-Est-ce que vous visitez habituellement plusieurs Salon du livre dans une année?

«Il fut un temps où je faisais presque tous les salons du livre; j'ai coupé un peu parce que je travaille beaucoup, là à la radio et avec l'UNEQ; parce que j'ai des enfants que je vois le weekend, ils sont à Québec. Donc disons dans les dernières années, j'ai fait un peu moins de salons du livre. Il y a les incontournables: je suis toujours à Montréal, à Québec, parce que c'est là de toute façon que se trouvent mes enfants et Jonquière à cause de mes racines saguenéennes. Ça fait longtemps que je ne suis pas venu en Outaouais. La dernière fois que j'y étais, c'était même pas pour mes livres, j'étais animateur de Bouquin ville que j'animais à la chaîne culturelle de Radio-Canada autrefois, on était venu diffuser de l'Outaouais, c'était en 2003. Donc ça fait cinq ans que je n'ai pas mis les pieds au SLO puis il faisait partie de mes incontournables avant, à l'époque où il tombait la dernière fin de semaine de mars, parce que je fêtais toujours mon anniversaire à Hull: je suis né à la fin mars. Mais là vous l'avez déplacé! (rires)»

-À partir du moment où vous avez accepté la présidence d'honneur au SLO, comment est-ce que ça s'est déroulé pour vous: est-ce que vous songez déjà aux sujets que vous avez abordé grâce à cette tribune?

«Bien, d'abord, le thème de l'évasion me séduisait beaucoup parce que je pense que c'est quelque chose de fondamental en littérature. La littérature, c'est une forme d'évasion tout en étant une autre manière de regarder le monde; on est à la fois en dehors du monde et collé sur lui, donc ça m'inspirait. Ensuite, je me suis dit: bon, oui, c'est vrai que j'accepte ces invitations cette année parce que j'ai envie de le fêter en grand cet anniversaire-là, 20e anniversaire d'écriture, donc ça allait de soi pour moi.»

-Est-ce que le fait d'agir cette fois comme président d'honneur vous pousse plus encore à réfléchir sur l'état du livre ou est-ce que ça se fait déjà naturellement en tant que président de l'UNEQ?

«Ça se fait déjà naturellement. Au fond, ce questionnement était là avant la présidence de l'UNEQ, si j'ai brigué ce poste c'est parce que je pense qu'il y a des luttes à mener et je pense être capable d'y contribuer. On a du sérieux travail à faire quant à la place qu'occupe notre littérature dans nos habitudes, dans notre éducation. Juste de voir le débat qui a été lancé autour d'une mauvaise lecture d'une hypothèse émise dans les médias à savoir que l'UNEQ aurait dit qu'elle voudrait éliminer la littérature française du cursus académique, ce qui est absolument faux. Mais ça s'est rendu tout croche et ça a été repris jusque dans Le Monde à Paris alors que ça n'a jamais été notre position. Notre position est la suivante: si le Québec est une culture souveraine, es-ce que la littérature ne devrait pas occuper plus d'espace dans son système d'éducation? Ça ne veut pas dire l'exclusion de la littérature française, au contraire, elle a des liens évidents, des liens historiques avec la littérature française et le noyau de base ne devrait pas être la littérature québécoise en dialogue avec son ancêtre mais aussi en dialogue avec les autres littératures qui a eu une influence sur elle; je pense à la littérature américaine, à certains auteurs sud-américains aussi. Et à la littérature anglaise: le premier roman québécois c'était de la littérature gothique!»

«Il y a cette hypothèse fort populaire chez certains qui dit qu'il y a trop de livres, il faudrait qu'on en publie moins. J'ai tendance à voir la situation à l'inverse: il n'y a pas assez de lecteurs, faudrait qu'on en trouve plus! Je pense qu'une littérature pour être dynamique, pour être vivante a besoin d'une masse critique, a besoin qu'il y en ait trop, a besoin de livres qui vont tomber dans l'oubli. Personne ne veut être l'auteur oublié dix ans après sa mort, mais il y en a dans toute l'histoire de la littérature. C'est cette masse qui permet aux œuvres importantes d'émerger. Je n'irais donc pas dans le sens d'en publier moins. Je trouve ça tout à fait ridicule parce qu'au tournant, j'ai l'impression qu'on va peut-être passer à côté de quelque chose d'important quand on dit qu'on coupe le nombre de livres publiés.»

-Mais dans tout ce débat, comment peut-on arriver à être des lecteurs modèles? Comment impliquer la lecture dans nos habitudes de vie?

«C'est une très bonne question. Moi j'ai l'impression que c'est une question d'éducation. Si la littérature arrive à l'âge adulte et qu'on a jamais fréquenté la littérature assidûment, c'est difficile d'être converti, je ne dis pas que c'est impossible! Mais il me semble que l'apprivoisement de la littérature, c'est quelque chose qui se fait dans l'enfance.»

«J'ai eu la chance de grandir dans une maison pleine de livres! Mon père a enseigné la littérature. Il était peut-être à l'image de certains des ténors qui ont pris la parole dans le débat qui nous occupe présentement, il ne jurait que par la littérature française, regardait même de haut la littérature qui se faisait en Haïti, et forcément celle du Québec aussi. Mais tous ces grands classiques de la littérature universelle – qui est majoritairement française dans le cas des francophones – étaient là dans la maison chez moi. J'ai grandi avec ces livres-là. Ils étaient comme des objets importants et mes parents lisaient. Puis pour un enfant qui grandit dans une maison où le livre est un élément étranger, où il ne voit jamais ses parents lire, il y a un travail que l'école devra faire pour compenser cette absence de la chose littéraire dans la vie, ce qui est un travail considérable. Je pense que la première chose pour avoir un lecteur idéal, c'est quelqu'un qui connaît les livres depuis qu'il est tout petit et qui s'y intéresse et qui y trouve du plaisir. Ça c'est la chose qui ne s'apprend pas à l'école parce qu'on approche la littérature un peu comme on approche les dissections de souris blanche en biologie (rires) Parce que si on prend la littérature comme une chose morte d'abord faite par des français morts, ça devient totalement rébarbatifs et on est pas en train d'apprendre le plaisir de la lecture, d'inculquer le goût de la lecture aux jeunes.»

-Les bibliothèques doivent aussi être pleines pour que chaque jeune y trouve de quoi lui plaire…

«De quoi à son goût! Et là ce n'est pas une question  de flatter bassement les goûts. Je pense que dans les grandes œuvres, il y en a qui nous conviennent, il y en a qui nous conviennent pas, il y en a qui nous conviennent à une certaine époque de notre vie et qui nous conviennent moins à d'autres… Et donc, quelqu'un qui est initié très tôt à trouver la voix qu'il aime entendre dans les livres, il trouver la voix qui lui parle du monde dans lequel il vit… qui  lui parle de cette manière très particulière qui est celle entre l'auteur et le lecteur, parce qu'il y a très peu de formes artistiques qui sont consommés comme la littérature. La littérature, ça se passe entre deux personnes dont une est absente. Et le lecteur qui est assis seul avec les mots de quelqu'un d'autres. C'est pas le cas de la musique parce que la musique, on peut l'écouter tous ensemble, on peut aller au concert et être comme à la messe, communier. En littérature, on peut pas le faire ou très difficilement.»

-Ensuite c'est de se créer une hygiène de vie qui permet de trouver du temps pour la lecture…

«Si ça a toujours été important pour soi, on va toujours faire du temps. Bien-sûr on est tous occupés, bien-sûr on arrive du travail complètement crevés et c'est tellement plus facile d'allumer la télévision et de glisser un DVD dans le lecteur ou même de ne pas consommer du tout de la culture; peu importe la forme, qu'elle soit populaire ou savante. Tout ca c'est plus facile et on a en a tous conscience: la littérature demande – même dans sa forme la plus populaire, la plus racoleuse – un effort qui est celui de lire. Il faut que cet effort là on soit capable de le faire avec entrain, avec plaisir, sinon c'est peine perdu.»

-Vous qui portez plusieurs chapeaux – auteur, rédacteur en chef, président de l'UNEQ, musicien, mélomane, chroniqueur et j'en passe -, est-ce que vous arrivez à trouver du temps pour lire?

«J'ai pas le choix, parce qu'il y a beaucoup de choses que je lis de manière professionnelle. C'est peut-être ce que je déplore le plus; je lis moins pour le plaisir qu'à une certaine époque parce que bon, quand on a des papiers à faire pour un journal comme Le Libraire, ou faire des entrevues ou parce qu'on est sur un jury, évidemment on lit pour le travail. Bon, il se trouve que fort heureusement pour moi, dans ces livres que je lis qui sont imposés, il y a des auteurs que je suis très content de retrouver. Bon par exemple, je sais que je vais faire ma chronique pour le prochain numéro du Libraire sur Sergio Kokis. Quelqu'un dont je fréquente l'œuvre depuis les débuts, donc là je réussis à faire coïncider le travail.

-Mais est-ce que écrire abondamment signifie lire moins?

«L'un nourrit l'autre. C'est absolument nécessaire pour moi de lire énormément parce que c'est ce qui nourrit mon écriture entre autres choses et je trouve étrange tous ces écrivains qui disent, "non moi je ne veux pas lire, je ne veux pas me faire influencer"; on est toujours influencé de toute façon. Il y a 6000 ans de littérature derrière nous, c'est très difficile d'arriver avec quelque chose de vraiment nouveau.»

-Quel rapport entretenez-vous avec l'écriture depuis l'arrivée de nouveaux outils technologiques? Vous alimentez un blogue… Est-ce que votre rapport a changé dans cette forme un peu plus instantanée, quotidienne?

«Le blogue renoue de manière technologique avec quelque chose que je n'avais pas fait depuis fort longtemps: tenir un journal personnel. C'est comme le journal pour moi le blogue, ce sont des réflexions pas super développés, c'est pas le travail de l'écriture très rigoureux de l'écrivain que ce soit pour un livre critique ou de la fiction où là on joue avec les mots; il y a quelque chose dans l'instantané du blogue qui est très agréable, mais je ne considère pas le blogue comme une partie réelle de mon travail littéraire. Pour moi ça se rapproche plus du travail journalistique et du travail du diariste, donc de noter nos impressions au fil des jours… Ça assure un contact avec mes lecteurs, ça me sert à maintenir un contact à côté du livre, parce qu'on s'intéresse à la personne du livre, parce qu'on y voit là mes préoccupations tant sociales, politiques qu'esthétiques. Je parle de ce que j'ai entendu comme livres, des pièces de théâtre que je suis allé voir. En fait, c'est comme si on était dans ma cuisine.»

-La nouvelle est une autre forme d'écriture plus instantanée que vous chérissez…

«Depuis très longtemps, je suis d'abord et avant tout un lecteur de nouvelles, tant comme écrivain que comme lecteur. Mes auteurs préférés sont souvent des auteurs de nouvelles. Un des premiers auteurs qui m'a marqué, Edgar Poe, c'est essentiellement un nouvelliste, poète aussi mais son œuvre poétique est pas très prisée et il a écrit un roman. Et tout le monde s'imagine que Poe c'est un romancier, alors que ce sont des récits relativement courts. Ça va de Poe jusqu'à Burgess, jusqu'à Harlan Ellison qui est mon écrivain phare dans les contemporains, un type qui est dans sa 7e décennie, qui publie depuis 50 ans – un auteur que j'aime particulièrement qui est pour moi un génie de la nouvelle. Ce que j'aime, évidemment, c'est le côté instantané, c'est le côté "on embarque dans un train qui était déjà en train de rouler et la destination arrive très rapidement". Et on doit comprendre les enjeux dans un espace de temps restreint.»

-La musique occupe aussi un espace prépondérant dans votre oeuvre…

«C'est là où je me trahis, parce que je suis un mélomane obsédé; il y a toujours de la musique quand je travaille. Tout dépendant de ce que j'écris, toute musique ne convient pas. Si je suis plongé dans une écriture laborieuse, je ne le fais pas au son de la chanson par exemple; j'écris plus volontiers au son de la musique instrumentale, qu'elle soit classique ou jazz. Plus souvent jazz, on le dira… Il ne faut pas qu'il y ait d'autres mots qui interfèrent avec ceux que j'essaie de trouver, mais dans cette lutte pour trouver les mots, parfois des réminiscences d'autres choses arrivent qui fait que la citation vient dans le texte ou en exergue ou carrément une citation claire d'un personnage.»