Après Ottawa, la production Les Monologues du vagin du Théâtre du Trillium, en coproduction avec le Théâtre de l'Île, est déménagée à la salle Jean-Despréz de Gatineau pour une série de représentations jusqu'au 6 avril. Je me suis donc rendue jeudi dernier pour voir cette pièce d'Eve Ensler dans une traduction de Louise Marleau. Cette mise en scène de Sylvie Dufour jouissait d'une liberté plus grande que tout autre adaptation créée antérieurement. Pour une raison inconnue, son auteure a effectivement «donné du lousse» et réduit sa liste de contraintes qu'elle imposait habituellement – à savoir que les comédiennes devaient jouer assises devant lutrin avec textes en main pour une proposition qui relevait davantage de la mise en lecture. Les trois comédiennes – Lyette Goyette, Nathalie Nadon et Annick Léger – pouvaient donc ici explorer les monologues davantage dans le jeu théâtral. Pour ce faire, la metteure en scène a choisi de situer les trois femmes dans une salle d'audition ou de photographie où chaque personnage devient l'"objet" photographié ou enregistré, un peu à la manière des entrevues qu'a réalisées l'auteure même de la pièce. Les trois comédiennes s'adressent donc directement à la foule comme si elles étaient à l'origine de cette «recherche sur le vagin» et des entrevues réalisées sur la question. Cette proposition rend certes la pièce plus vivante et dynamique. Là où pour moi ça se corse c'est quand les comédiennes endossent les personnages des différents monologues et qu'elles font usage d'accessoires pour les appuyer. Ainsi, la bolivienne se cache sous un voile rouge écarlate qui cercle ses cheveux; la fêtarde qui a pris un verre de trop se met des ribambelles autour du cou; la française se met des lunettes «fancy» et remonte ses cheveux; la femme âgée se met un vieux tricot sur les épaules, etc. Pourquoi ne pas avoir fait davantage confiance au talent des comédiennes? Le fait de leur donner ces accessoires stéréotypés stoppe au contraire le jeu des comédiennes et bloque l'imagination du spectateur qui doit s'imaginer le personnage tel qu'il est, là, devant eux. Je suis convaincue qu'elles auraient pu explorer encore davantage ces personnages féconds si on ne leur avait pas imposé un objet limitant son potention.
J'avais eu la chance de voir Les Monologues du vagin dans une mise en scène de Denise Filiatrault pour le compte de Juste pour rire il y a quelques années à la salle Odyssée – celle qui réunissait Louise Marleau, Janine Sutto, Nicole Leblanc et Geneviève Rioux entre autres. Cette proposition s'inscrivait justement dans une «mise en lecture», mais le fait de laisser les comédiennes ainsi se déployer sous nos yeux, sans déplacement; le fait de les laisser donner vie à ses femmes à partir de rien rendait chaque mot encore plus tangible, sensible. Le fait de leur laisser libre cours pour endosser ces monologues tantôt humoristiques, touchants, émouvants ou horribles, leur insufflait tout le pouvoir nécessaire pour toucher le spectateur. Et comment qu'on avait été «attouchés», de toutes les manières possibles!
Qu'on me comprenne bien, j'ai beaucoup ri dans la production des Monologues du vagin mise en scène par Sylvie Dufour. J'ai même été parcourue de frissons à plusieurs reprises et j'ai été plus d'une fois touchée par les comédiennes. Sa proposition de mise en scène – la première qui s'inscrive davantage dans le jeu théâtral avec déplacements, décor et accessoires – était audacieuse et dynamique et ouvrait la porte à d'autres qui pourraient s'y risquer éventuellement. J'aurais juste espéré qu'on fasse preuve d'une plus grande confiance envers les comédiennes pour qu'elles fassent naître ces personnages forts… de nulle part, sans qu'on s'appuie sur quelconque accessoire. Un petit mot sur les comédiennes: elles étaient toutes fortes, mais Annick Léger «vole le show», comme qui dirait. Je l'avais vu incarner des personnages dramatiques à quelques reprises alors c'était très emballant de la voir exceller autant dans des rôles plus légers et humoristiques. Chapeau!