Il était attendu avec fébrilité pour sa première à Ottawa alors que le pays en entier attendait les résultats de l'élection fédérale… Wajdi Mouawad est monté sur les planches de «son» théâtre pour une première fois en tant qu'acteur depuis son arrivée en tant que directeur artistique du Théâtre français du Centre national des Arts dans la pièce Seuls dont il est aussi l'auteur et le metteur en scène. Et c'en était parti pour un tête-à-tête de deux heures avec le public ottavien qui apprend peu à peu à découvrir ce fécond artiste. Cette rencontre prenait un air symbolique; Mouawad ayant annoncé récemment que c'en était fini pour lui le théâtre après son mandat au CNA… Revisitera-t-il les planches d'ici là? Offre-t-il au public cette communion pour la dernière fois? Quoi qu'il en soit, la fébrilité était palpable et le silence, complet, pour autant de minutes qu'a duré le spectacle, entrecoupées ici et là de rires francs causés par les belles épines ironiques du texte. Oui, Wajdi se fait drôle dans Seuls. Il se fait aussi touchant, profond, fascinant.
Dans Seuls, Wajdi Mouawad joue dans les tripes, les sensations, les souffrances de l'enfance. De son enfance, a-t-on envie de croire. Il décrit l'éveil d'un intellectuel au théâtre, à la vie, à la souffrance. Son parcours, a-t-on envie de croire. Le personnage d'Harwan peine à terminer sa thèse sur le théâtre de Robert Lepage, peine à visiter son père avec lequel il s'engueule, peine à sortir de son capharnaüm d'appartement, peine à se soulager de sa peine d'amour. Il a créé un personnage, certes, mais Wajdi Mouawad partage son vécu, son état, son âme. D'abord, il y a ce pays natal, le Liban, puis cette langue arabique qu'il ne parle plus, puis il y a ce désir inexorable de l'auteur d'aller vers la solitude… Je n'essaie pas là de trouver des liens là où il n'y en a pas, je cherche simplement à montrer à quel point Wajdi Mouawad s'est investi dans ce spectacle, corps (c'est le cas de le dire pour ce que le spectacle lui demande physiquement!) et âme… Et si le pluriel utilisé dans le titre Seuls peut s'expliquer de plusieurs manières, notons que Wajdi Mouwad fait usage dans ce spectacle de projections vidéos (clin d'œil à Lepage), de voix off et autres éléments qui font en sorte que d'autres «présences» gravitent autour de lui sur scène. Soulignons ici la scénographie ingénieuse qui débouche sur le tableau final qui – si pour certains s'étirait en longueur et en horreur -, pour moi, était magistral. Un exorcisme, une expiation des souffrances sous forme d'expression corporelle et de création comme j'en ai rarement vu au théâtre ou ailleurs.
Seuls sera présenté jusqu'à samedi au Théâtre du CNA. Courez-y.