Nulle autre que la Sagouine en personne séjourne présentement au Théâtre de l'Île de Gatineau, amorçantde belle façon l'année culturelle. La Sagouine? Pas tout à fait. Il s'agit plutôt la comédienne qui a appliqué le maquillage vieillissant, cernant et encrassé de ce personnage mythique ces 37 dernières années. La grande Viola Léger. Mais ce n'est pas pour enfiler pour une énième fois les haillons de la Sagouine que la comédienne est revenue à Gatineau, mais plutôt pour visiter d'autres grandioses personnages féminins de son amie et auteure fétiche, Antonine Maillet. À l'initiative du directeur artistique sortant et metteur en scène, Gilles Provost, Viola Léger endosse les personnages de Aglaé, Babée et Marichette dans ce spectacle intitulé Antonine et Viola, c'est pas juste la Sagouine! Ce n'est pas juste la Sagouine, en effet. La première a écrit nombre de romans et de pièces de théâtre qui passeront à l'histoire, alors que la seconde a campé un éventail de rôles avec brio (dont le plus récent Grace dans Grace et Gloria),- représentant à maintes reprises son Acadie natale à l'étranger.
D'une rigueur sans égal, Viola Léger a répété ses rôles avec l'équipe de production pendant quelques semaines de rôdage avant de nous présenter hier la première de ce spectacle confectionné sur mesure. Dans la première partie, elle nous fait ainsi découvrir ce trio de femmes fort distinctes. C'est là qu'on voit tout le génie de Mme Léger… Aglaé se résigne à son statut de vieille fille en faisant le récit de son amour éternel… Viola y est absolument touchante en amoureuse de 72 ans aux yeux pétillants. Babée observe depuis son cercueil le déroulement de ses funérailles. Chapeau à l'équipe de production: cette idée d'avoir placé le personnage de façon couchée-debout (à la manière de La Petite Vie) est d'une efficacité redoutable! Livré à un débit rapide, Babée y va de commentaires cocasses, rigolos et morbides (!!); Viola lui ayant trouvé un rire quasi démoniaque! Enfin, on assiste à une soirée de bingo en compagnie de Marichette, la plus désopilante du trio. Accoutrée comme une Floridienne avec un penchant pour le rose criant, elle étale ses porte-bonheurs et maudit ses rivales qui remportent des parties; priant tous les saints pour gagner le gros lot… Ce seul numéro aurait valu à lui seul le déplacement! On y a vu tout le talent comique et l'énergie de ce petit bout de femme. Une première partie toute en nuances, donc, qui illustre bien la polyvalence et l'étendue du talent de la comédienne.
Dans la deuxième partie, c'est Viola qui s'adresse directement aux spectateurs. Elle se fait d'abord bonne conteuse en racontant l'épisode qui a mené son personnage de la Sagouine dans un festival de théâtre amateur de Monaco. Quand la réalité se fait aussi cocasse et rigolote que la fiction! Le spectacle se complète par un bout de monologue de la Sagouine. Cette dernière partie s'amalgame un peu moins bien à l'ensemble, selon moi. Il est certes pertinent d'avoir choisi un segment de la pièce où la Sagouine revient sur la «belle année» qui vient de se terminer, mais peut-être aurait-on pu accorder plus d'attention à cette clôture. Surtout en songeant à l'attente créée chez le spectateur. Si on a préparé décor et costumes pour les trois premiers personnages de la première partie, pourquoi ne pas offrir pareil traitement à la Sagouine? Sans tout arborer maquillage et costumes, un cadre plus éloquent aurait été pertinent, à mon avis.
Belle idée par ailleurs d'avoir demandé au comédien Roger Labelle de s'occuper du changement de décor sans l'usage des noirs: avec la démarche d'un clown, il a su divertir le public, le temps que la comédienne passe d'un tableau à un autre… Somme toute, un spectacle d'où on sort en se sentant privilégiée d'avoir vu à l'œuvre cette légende vivante du théâtre canadien, au sommet de son talent! Rien de moins!
Ne manquez pas cette chance!