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Le retour: rude et cinglant

Samedi soir, je me suis rendue à la salle Odyssée pour voir la pièce Le Retour, une production du Théâtre du Nouveau monde. Ce texte d'Harold Pinter – décédée tout récemment, la veille de Noël – a été mise en scène par Yves Desgagnés dans une première traduction francophone nord-américaine (René Gingras).

Les rideaux se lèvent sur un décor imposant. Une pièce, celle du living room de cette famille british agira comme le lieu de ce terrible huis-clos. Lenny (imperturbable Patrice Robitaille) fait la lecture de son journal quotidien, alors que son père Max (impeccable Marcel Sabourin) tente de trouver de la quiétude en fumant une cigarette. D'entrée de jeu, ils se lancent des saletés à la figure. Visiblement, une hargne très dense divise les deux individus qui ne semblent pourtant pas s'en formaliser. Surviendra l'oncle Sam (Hubert Proulx), le «meilleur chauffeur de sa compagnie» qui habite ce même toit. Lenny et Sam se saluent poliment. Max, lui, insultera son frère à bouche-que-veux-tu. Puis, arrivera le plus jeune Joey (Benoît Girard), petit fêlé amateur de boxe. Alors toutes ces âmes gâtées seront au lit, le fils prodigue Teddy (Jean-François Pichette) reviendra, sans avoir annoncé sa visite. Exilée aux États-Unis depuis six ans, il complète un voyage en Europe avec sa femme Ruth (impériale Noémie Godin-Vigneault), par une visite dans sa maison natale. Une conversation nocturne loufoque entre Lenny et Ruth donnera le ton. Quel effet aura l'arrivée d'une femme dans ce cercle troublée, violent et méprisant? Le père accueillera sa brue avec une salve d'insultes désobligeantes (qui faisaient friser les oreilles les plus sensibles)… Jusqu'à ce que Teddy précise qu'elle lui a donné trois fils… La femme prendra alors un tout nouvel éclairage dans les yeux de Max, le terrible et tous les membres de la famille s'adaptera à cette nouvelle énergie. Peu de temps sera nécessaire pour que Ruth installe un climat à son image et règne sur ces hommes de mauvaise conscience…

Je ne vous en dis pas plus sur le dénouement de l'intrigue, en souhaitant que la tournée de cette production se prolongera… Un premier contact pour moi avec le théâtre d'Harold Pinter qui a beaucoup encore à offrir, à ce que j'ai pu constater. Sa façon de traiter de misogynie et des jeux de pouvoir et de manipulation qui peuvent pourrir l'existence a eu sur moi l'effet d'une douche froide. J'étais ravie par l'habillage glauque à souhait de cet univers — accentué par le décor sombre et sordide. La langue est acérée et fait mal à entendre, quoique d'une cruelle vérité. Ici, on se dit tout ce qui passe par la tête: pour le meilleur et, plus souvent, pour le pire! Ou alors, tout ce qui sort de notre bouche est le fruit d'un jeu de pouvoir étudié. Le récit se tisse comme un serpent autour de sa proie et on ne peut que rester muets devant le cataclysme. Parce que Pinter réussi non seulement à nous captiver mais aussi à nous surprendre. Du théâtre poignant, manipulateur et glauque comme il s'en fait trop rarement.