BloguesPop Culture Gatineau

Krum: universel, corrosif, pénétrant…

© Stefan Okolowicz

Une faune hétéroclite s'est rendue hier au Théâtre du Centre national des Arts à l'occasion de la double première de la pièce Krum. Première canadienne d'une part, mais aussi premier accueil d'une pièce en langue étrangère pour le Théâtre français, puisque le spectacle était présenté en polonais avec surtitres en français et en anglais.

Cette nouveauté créée un précédent pour le Théâtre français puisque son directeur artistique, Wajdi Mouawad, compte bien présenter un spectacle en langue étrangère à chaque saison de son mandat. Le directeur avait d'ailleurs beaucoup de bons mots à promulguer à l'égard du metteur en scène Krzysztof Warlikowski qui signe Krum de l'Israélien Hanohk Levin, notamment à propos de son «intelligence du texte et de l'espace».

Un immense plateau au plafond haut tient lieu d'espace pour cette pièce de 2h45 sans entracte. Krum raconte le retour d'un fils de Tel-Aviv après un voyage à l'étranger (on imagine l'Amérique de tous les possibles) où il n'a trouvé aucune réponse. Il revient les mains et l'esprit vides, en proie aux questionnements et jugements de sa mère et de ses amis – des êtres écorchés, sans avenir ni mémoire -, qui avaient fondés tous leurs espoirs en sa capacité de réaliser ses rêves, de devenir l'homme qu'il aspirait à être…

En choisissant de mettre la mort de la mère au début de la pièce en guise de prologue, le metteur en scène a choisi de faire de la relation mère-fils et de la relation "mère-patrie" et fils le nœud de la pièce. Dans Krum, les personnages sont tous à la recherche de l'amour, de l'affection, de relations durables et simples… Or, ils sont pris dans une danse effrénée et grotesque où  ils se frappent à la souffrance, la désillusion, le désespoir… Ils naviguent ainsi entre le ridicule et le tragique, le tout étant renforcé par l'humour noir et grinçant du texte… Parce qu'il faut en rire pour ne pas en pleurer…

Les personnages de Krum ont des fringues et des coiffures kitsch, ils sont constamment entre un état d'ivresse ou d'allégresse. Leurs corps sont toujours habités d'un trouble, d'une aliénation, englués qu'ils sont dans l'ennui ou la maladie… Là-dessus, la pièce nous donne à voir une approche du personnage fascinante: non seulement les acteurs – tous formidables – sont ancrés dans leurs rôles, mais ils sont aussi très engagés en tant qu'individus auprès du public. Plusieurs «transgressions» vont d'ailleurs en ce sens. Le public est souvent pris à parti, mais avec provocation: on brise le quatrième mur avec brutalité, que ce soit à l'aide d'un micro pour rappeler au public qu'on s'adresse bien à lui; par l'entremise de lumières blanches criardes dirigées sur les spectateurs; par la distribution de petits gâteaux ou par la sélection d'un jeune couple d'amoureux avec un personnage sur la scène… Toutes ces transgressions contribuent à donner un aspect éminemment contemporain et humain au spectacle.

L'utilisation de la vidéo contribue à ajouter des images crues de cette réalité désespérée que décrivent les personnages de Krum… des images de mariage, celles des rues de Tel-Aviv où les mamies marchent dans leurs chaussures noires coussinées, ces dessins d'enfants qui démontrent une obsession de la beauté, faisant écho au personnage de Trouda… L'écran est aussi le pourvoyeur des surtitres dont la lecture devient rapidement un automatisme nous permettant de nous concentrer sur l'interprétation et la performance scénique…

Cette «pièce avec deux enterrements et deux mariages» nous fait voyager profondément dans la nature humaine et sa quête de réussir à tout prix. Une pièce universelle, corrosive, pénétrante… qui nous a donné à «rencontrer» ce grand créateur qu'est Warlikowski… Et à entendre les projets sur lesquels il table présentement – suite à la rencontre de ce midi à la Quatrième salle du CNA avec Martin Faucher –  on espère qu'il reviendra très bientôt dans le voisinage…

La pièce Krum est présentée jusqu'au 21 février au Théâtre français du Centre national des Arts.

Lire aussi le commentaire de mon collègue, Christian Saint-Pierre, chef de pupitre arts de la scène de Voir Montréal, qui a aussi assisté à la première.