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Je voudrais me déposer la tête: vibrant

© Dominique Chartrand 

Cette production est arrivée si vite après le saisissant Krum qu'on avait presque oublié qu'elle était à la saison du Théâtre français du CNA… Je voudrais me déposer la tête est le premier roman de Jonathan Harnois adapté théâtralement par Claude Poissant qui a voulu respecter presque chaque ligne. Touché par la prose de ce jeune auteur, il a amputé quelques chapitres et dresser des nouveaux tableaux de sorte à porter le roman à la scène, avec cinq comédiens.

La pièce raconte l'histoire de Ludovic qui subit la perte de Félix, son meilleur ami qui s'est donné la mort. Inspiré de son propre deuil, Jonathan Harnois propose un texte fort percutant et truffé d'images tantôt poétiques, tantôt crues, toujours poignantes. Dans une sorte de traversée du désert, on suit Ludovic qui s'accompagne de son bien-aimée pour retourner sur les lieux du suicide pour ensuite cogner à la porte de la maison du disparu. Dans sa proposition scénique, Claude Poissant a choisi de multiplier le personnage de Ludovic en faisant appel à trois comédiens (Étienne Pilon, Christian Baril et François Simon T. Poirier). Si l'entreprise est louable pour évoquer l'état d'esprit du personnage – évasif, qui se sent à côté de lui-même, qui se dédouble et s'enlise, etc. -, elle est moins heureuse sur le rendu. On aurait espéré des Ludo plus nuancés pour vraiment prendre la mesure de son désarroi intérieur. Or, il s'avère qu'un des comédiens nous convainc de son interprétation de Ludovic – il s'est bien mis en bouche la prose soutenu et la portée du texte – alors que les deux autres ne sont que de pâles copies du personnage pluriel. Si bien qu'on remet en cause ce choix scénique. Certains tableaux sont en revanche plutôt intéressants sur le plan visuel: quand un des Ludo débite son mal-être alors que les deux autres martèlent le sol. Dans le rôle de l'amie de cœur, Sylvie De Morais-Nogueira est lumineuse alors que Chantal Baril se fait déchirante dans sa trop courte apparition dans le rôle de la mère du disparu. Une scénographique inventive et éloquence (signée Romain Fabre)  et une conception sonore  syncopée (Nicolas Basque) habille le spectacle intelligemment.

Au sortir du spectacle, on retient surtout les mots qu'a minutieusement choisis ce jeune auteur prometteur pour aborder la perte, le deuil, la douleur – ils s'avèrent aussi percutants que l'ont été pour moi les images d'Yves Christian Fournier dans Tout est parfait. La douceur douloureuse de ce film me revenait en tête avec beaucoup de clarté. Il y a de ces créateurs qui savent faire pour exprimer la souffrance autrement. Avec éloquence, intelligence et beaucoup de souffle…

La pièce est présentée au Studio du CNA jusqu'au 7 mars.