La première ottavienne de la pièce Rage de Michele Riml, dans une coproduction du Théâtre la Catapulte et Scène C-B, était présentée hier soir à La Nouvelle Scène.
Ce suspense d'une heure quinze raconte l'histoire de Raymond, alias Rage, qui rencontre Laura, la travailleuse sociale de son école, suite à un exposé controversé où il fait l'apogée de la violence en citant Hitler. Un duel entre deux philosophies opposées (Hitler versus Gandhi – le maître à penser de Laura) s'ensuit et placera les protagonistes devant une Colt 45 et un choix ultime: faire la paix ou la guerre. Avec un synopsis aussi prometteur et le metteur en scène Joël Beddows à sa tête, la production suscitait de grandes attentes. Or, la pièce coup-de-poing n'a pas fessé aussi fort qu'on l'avait escompté…
Il m'a fallu quelques heures avant de «décanter» ce spectacle qui m'a tout de même fait passé à travers une gamme d'émotions – le jeu très puissant de Nathaly Charrette a provoqué chez moi quelques vagues de frissons sur les bras -, mais pas le chamboulement attendu.
J'ai mis quelques temps avant de mettre le doigt sur ce qui ne m'avait pas conquis. D'abord, en décidant de traiter d'un sujet aussi lourd que la violence dans les écoles et en ayant pour protagoniste central un jeune homme capable de telles sévices, j'aurais espéré un travail plus fin sur le personnage. Le comédien Victor Trelles (brillant comédien, garant d'un bel avenir) est criant de vérité dans son rôle, mais pourquoi avoir rendus les trois états d'âme du personnage avec autant de contraste? Rage nous apparaît d'abord comme l'être tourmenté qui se triture les mains, qui reste dans son coin, replié sur lui-même et fuit l'«autre» comme la peste. On découvre plus tard un Rage hors de contrôle et violent physiquement, qui lance de longs cris (plus agaçants que percutants)… Et il y a le Rage sympathique qui offre une cigarette, raconte sa vie et y va même de quelques blagues. Le texte proposait certes ces trois états d'âme qui traduisent l'être déséquilibré qu'est Rage, mais peut-être aurait-on gagné en réalisme psychologique de les avoir dessiné avec plus de nuances et de subtilité. Or, on met du temps à «croire» à la proposition.
L'autre aspect m'ayant chicoté au sortir de la pièce est le suivant: avec un tel suspense construit en crescendo, il aurait fallu dessiner pour cette production des contours beaucoup plus tranchants dans la proposition. La musique (signée Aymar) contribue certes à accentuer la montée dramatique, mais l'arme que l'on pointe à maintes reprises n'arrive pas à créer la peur, l'halètement, le suspense. J'aurais pourtant bien aimé avoir peur de cette arme, partager la frayeur de Laura. Or, je n'ai partagé que sa souffrance – ce qui est déjà un bon départ, ceci dit. Et quand la finale arrive enfin, on baisse les bras… Ce n'était que ça? Pourquoi est-ce que la fin n'a pas éclaboussé davantage les spectateurs lorsque le "ballon" a finalement explosé? Pourquoi est-ce que ça n'a pas suscité plus d'émoi de voir cette pièce en cul-de-sac se conclure?
Enfin, ces petits constats n'enlèvent rien au fait que la pièce raconte une histoire qui est nécessaire de présenter au plus grand nombre et que, dans l'ensemble, le spectacle s'avère d'une grande qualité. J'espère seulement que la suite de représentations permettra de resserrer le jeu légèrement de manière à ce que les spectateurs se tiennent au bout de leur siège et ne voit pas venir la conclusion poignante…
Un petit mot pour souligner la qualité des éclairages (Lynn Cox) qui contribuent à créer cet univers aseptisé qui rappelle aussi bien les salles de classe que les locaux d'hôpitaux. Un bravo aussi à la scénographie – impeccable, comme toujours quand il s'agit de spectacles de Joël Beddows qui a un grand souci du détail, mais dont on préfère peut-être la griffe dans des spectacles un peu plus symboliques ou oniriques…
(crédit photo: Alexandre Mattar)