Assister à une matinée scolaire est une expérience en soi pour la spectatrice assidue que je suis. Avant de pénétrer dans le studio du Centre national des Arts par cette heure matinale (pour un spectacle théâtral), je traverse une horde d'adolescents bruyants, fébriles à l'idée de croiser des groupes issus d'autres écoles, dont un en particulier, composé seulement de garçons en uniforme. Je me faufile pour prendre un des derniers sièges vacant et j'espionne les conversations enflammées et excitées. On se crie et se tape dessus, amicalement, on chuchote et ricane… Un silence respectueux prend soudainement le dessus sur ce brouhaha d'un coup net. Place au théâtre!
La pièce, aussi présentée en soirée au grand public les 2 et 3 octobre au Studio, s'intitule Le Bruit des os qui craquent. Suzanne Lebeau l'a écrite comme un cri du cœur après avoir vu un documentaire abordant le sujet des enfants soldats par centaines de milliers. Elle a créé l'histoire de la jeune Elikia à la Kalachnikov (Émilie Dionne, solide) qui prend sous son aile plus petit et fragile qu'elle: Joseph (Sébastien René), un gamin que les rebelles venaient d'enlever des entrailles de son village, de sa famille, de son enfance. Elle tente de fuir et entraîne cet enfant avec elle. Pour le sauver. Pour avoir moins peur aussi. Il résiste, il chigne, il souffre. Elikia, elle, a appris à taire sa souffrance et vit dans une peur constante. Peur de se faire reprendre par les rebelles, peur de la nuit, peur de l'eau, peur du bruit.
Le récit de leur escalpade s'entrecoupe par celui d'Angelina (Isabelle Miquelon), une infirmière qui recueille les enfants soldats, les soigne et les écoute. Devant une commission d'enquête qui doit vraisemblablement rédiger un rapport, elle raconte l'histoire déchirante d'Elikia par le biais de quelques extraits du cahier où elle a étalé avec force et clairvoyance sa courte existence.
Écrite dans une langue poétique et belle, certains passages de ce lumineux testament étaient néanmoins durs à entendre. Étrange comme certains passages ont semblés me faire frémir davantage que mes compagnons spectateurs qui sont encore plus au fait des horreurs de la vie qu'on ne voudrait bien se laisser croire. La mise en scène de Gervais Gauvreault fait briller le texte et laisse suffisamment de latitude aux comédiens pour qu'ils nous transportent ailleurs. Tantôt dans la forêt (par le simple usage de projections), tantôt devant une froide commission (petit bureau éclairé, côté jardin). En filigrane au récit, on a l'impression d'entendre Suzanne Lebeau pleurer sur le sort de tous ces enfants qui ont vécu et qui vivent encore cet enfer. Sur le sort de tous ceux qui s'en sortent et que l'on ne sait catalogué entre la victime et le bourreau. Les âmes les plus optimistes y verront une note d'espoir. J'ai senti une rage frémissante à vouloir changer cette situation. À tout prix.
© François-Xavier Gaudreault