Les représentations de De la race en Amérique prenaient fin samedi dernier, le 23 janvier, dans la salle de La Nouvelle Scène, version cabaret, pour une plus grande convivialité. Croisée à mon arrivée, la directrice artistique du Théâtre du Trillium Anne-Marie White me raconte à quel point la réception de ce spectacle est inattendue. Les spectateurs ont été nombreux et ils ont été touchés, émus, ébranlés par cette prestation hors norme. Qui aurait pu prévoir que le jour de la première, Barack Obama allait perdre sa majorité au sénat avec l'élection du sénateur républicain Scott Brown dans le Massachussetts? Qui aurait pu envisager que la planète toute entière allait être tournée vers le drame qui touche le peuple haïtien et qui réunit toutes les races dans une seule et même cause: venir en aide aux sinistrés? Ni Anne-Marie White, ni José Pliya, le metteur en scène de cette production de Caravelle DPI (Guadeloupe) n'aurait pu prévoir pareille situation. Et la réponse a été sonnante, comme jamais auparavant.
Pourtant, le spectacle n'est rien de plus ou de moins que le Discours sur la race que Barack Obama avait prononcé à Philadelphie alors qu'il était dans la course démocrate, dans la foulée de la polémique entourant les allégations racistes de son ancien pasteur. Un grand discours qui aura été plus tard comparé à ceux des grands Luther King et Kennedy. Un grand discours que le metteur en scène guadeloupéen José Pliya a voulu traduire sur scène, sans tambour ni trompette. Un travail magistral a dû être réalisée avec le comédien pour éviter les effets de ton, de voix, d'expression qui auraient pu faire incliner le texte dans quelque argumentation ou intention politique.
Dimanche soir dernier, Éric Delor a récité le discours dans une quasi-neutralité. "Une neutralité de ton, non pas une neutralité de coeur", résumera-t-il joliment, lors de la discussion d'après spectacle. Cela a eu pour effet de mettre le texte à l'avant-plan et à le faire briller de milles feux, pour qui veut bien s'y abandonner… Parce que l'approche n'est pas la plus accessible à tous. Après quelques minutes d'écoute, le spectateur pourra se surprendre à regarder ailleurs que la scène pour bien «entendre» les mots et leur sens, et même, à fermer les yeux. Voilà la preuve faite que le texte prend toute la place… Il est toutefois agréable de regarder l'illusion qui est proposée sur scène: un homme métisse, le complet noir, la fameuse cravate bleue ciel controversée, la posture, le lutrin, le micro. Le spectateur qui se laissera porter verra le «film» que propose ce discours. Barack Obama raconte l'histoire du peuple américain, la grande comme la tragique. Il raconte la persécution et la violence à l'endroit du peuple noir… Il raconte sa propre réalité, ses multiples identités. Son lien avec son pasteur, avec sa grand-mère blanche qui a déjà prononcé des propos racistes, xénophobes… Il nous laisse toutefois sur une note d'espoir avec cette histoire d'un vieil homme noir qui a soutenu une jeune femme blanche. Il raconte ce qu'il intitule si gracieusement «le commencement de la perfection». On reconnaît là l'homme qui a semé l'espoir sur l'Amérique et le monde entier. Or, à écouter ce texte et à prendre part à la discussion ensuite, on se rend compte que le vrai sujet de ce spectacle se résume au «vivre ensemble», un thème universel qui sera développé une trentaine de minutes durant, à la suite au spectacle. Des minutes où le "vivre ensemble" prenait racine et où, tous, étaient égaux et sensibles aux mêmes maux, au mêmes combats.
Quelle audace de la part du Trillium d'avoir mis à l'horaire cette lecture hors norme. Cela créera un précédent, j'en suis convaincue. Longue vie à cette tournée d'espoir…
photo: Charles Bah