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Fred Pellerin en entrevue avec des étudiants de La Tuque

Jean-François Richard, qui enseigne le français au Centre d’études collégiales de La Tuque, m'a fait parvenir l'article suivant, rédigé avec 3  étudiants suite à une entrevue réalisée avec le conteur
Fred Pellerin
, le 12 décembre dernier au Centre des arts de Shawinigan. De futurs journalistes du Voir?

Nous
sommes quelques-uns du cours de « Littérature québécoise » du Centre
d'études collégiales de La Tuque à avoir eu la chance de rencontrer Fred
Pellerin, le 12 décembre 2008. Le conteur nous a reçu dans la loge des
artistes, conventionnellement appelée « green room », environ deux
heures avant son nouveau spectacle L'Arracheuse
de temps
en représentation au Centre des Arts de Shawinigan.

Le
jeune homme de Saint-Élie-de-Caxton s'est montré très accueillant, sympathique
et disponible. La conversation s'amorce avant même que l'on ne se soit assis.
Fred Pellerin demeure enthousiaste, aimant rire et faire rire, sans toutefois
être continuellement animé comme il l'est sur scène. Une certaine gravité émane
parfois même du personnage, entre autres quand il entonne pour nous, a capella,
un air mélancolique de Pauline Julien (« Mommy »), qui évoque à son
esprit « l'échec du français en Amérique ». L'Arracheuse de temps, comme d'ailleurs tous les autres spectacles
et livres de Fred Pellerin, joue admirablement sur ces deux registres de la
nostalgie et du comique.

Parfois
gouailleur, toujours respectueux, l'auteur se livre au jeu de l'entrevue; il
évoque ses débuts : comment tout son univers fantaisiste s'est mis en
branle alors qu'il travaillait comme guide touristique à Saint-Élie; comment il
a commencé à se produire dans les écoles secondaires; comment il s'est servi de
ses cours de création en littérature à l'Université pour écrire son premier livre
de contes, Dans mon village, il y a Belle
Lurette..
. (2001). Ce qu'il retient de ces cours : écrire, c'est dur;
il faut sans cesse retravailler, quatre, cinq fois une idée, pour s'éloigner le
plus possible des clichés.

À
une question sur les jeux de mots dans ses contes, il rétorque que les
contrepèteries et calembours lui viennent spontanément, sans que la théorie ait
quoi que ce soit à y voir. Il nous montre d'ailleurs le carnet dans lequel il
note tout ce qui lui passe par la tête comme délire, et qui fait le matériel de
base de chacun de ses spectacles, puis de ses livres. Il mentionne l'influence
de Jacques Prévert; il ne réfute pas non plus le parallèle avec le monologuiste
Marc Favreau, mieux connu sous le sobriquet « Sol », de même qu'il
admet l'ascendant des Contes de Jos
Violon
de Louis Fréchette, qui procèdent selon lui du même « délire
verbal ». Ce n'est pas sans raison si les deux auteurs, Fréchette et
Pellerin, se côtoient maintenant dans la familiarité des anthologies de
littérature au Collégial, voire dans un sujet de dissertation analogique à
l'épreuve uniforme de français.

Et
voilà que c'est lui qui se met à nous questionner… Sur quoi on a travaillé dans
notre cours de « Littérature québécoise » ?.. Maria Chapdelaine

« Ils sont d'une race qui ne sait pas mourir… »

Il cite de mémoire un
passage de ce classique parfois jugé périmé, mais qui garde à ses yeux toute sa
valeur. L'attachement de Fred Pellerin pour le Québec et la littérature
québécoise est bien réel, et ni l'université ni le succès ici ou à l'étranger
n'ont pu l'altérer. Si la France et le marché français l'intéressent, il reste
cependant bien « implanté » dans la communauté de
Saint-Élie-de-Caxton et surtout, dans sa petite famille (papa deux foix et
« mononcle », au moins une fois, puisque Nicolas, son frère, qui
réchauffe la salle au violon et en tapant du pied avant le début du
« show », vient d'accoucher de son premier…).

Nous
avons pu également recueillir quelques propos du conteur sur sa toute première
plongée dans le domaine du cinéma, avec la récente sortie de son film Babine, dont il a écrit le scénario et
que Luc Picard a réalisé. L'enthousiasme est palpable; il nous relate quelques
péripéties du tournage qu'il a suivi de près, comme rarement le font les
scénaristes : certaines scènes qu'il a fallu couper parce que trop
coûteuses (en particulier la scène finale du scénario original, dans laquelle
la girouette en fer forgé du clocher de l'Église de Saint-Élie-de-Caxton,
lancée dans les airs par Babine, était supposée s'envoler par magie pour se
poser sur le clocher de la nouvelle église, aurait coûté à elle seule 500
000$!). Le lien d'amitié a été spontané entre lui et Luc Picard, qui n'a rien,
aux dires de Fred Pellerin, de l'artiste qui se « pète les bretelles »
comme on en rencontre beaucoup dans le milieu.

Il
nous raconte aussi l'espèce de vertige qui les a pris le premier soir où le
film allait être diffusé dans plus de 200 salles de cinéma à travers le
Québec.  La suite leur a donné
raison : Babine est désormais
entré par la grande porte dans l'histoire du cinéma québécois (2,4 millions au
box-office depuis sa sortie il y a six semaines). Fred Pellerin se dit
satisfait du résultat et on le comprend : le film rend admirablement bien
l'univers coloré, drôle et touchant du conteur, tout en demeurant une œuvre
originale et très achevée, confirmant par le fait même le talent de Luc Picard
comme réalisateur.

Que
se passe-t-il pour Fred Pellerin après Babine ?
On repart en tournée. La France… L'écriture… L'Arracheuse de temps est en passe de devenir un autre beau
livre-CD sous les bons auspices des éditions Planète Rebelle et des productions
Micheline Sarrasin. Après l'excellent disque de musique traditionnelle
(« Fred et Nicolas Pellerin ») lancé avec son frère en novembre 2007,
le conteur laisse entendre qu'il prépare un disque solo. On a qu'à espérer que
cet album soit à la hauteur de la très belle et émouvante chanson
« Silence », composée par Fred Pellerin et offerte au duo
innu-québécois Taïma (Élisapie Isaac et Alain Auger), qui en livre une
interprétation juste et sensible (on peut entendre
cette pièce sur Internet en se rendant à l'adresse suivante :
http://www.parcourslemonde.com/video/chansons/taima/taima_silence.php).

Nous
quittons l'artiste quelques minutes avant le début du spectacle, non sans qu'il
ait tenu auparavant à nous faire cadeau à chacun d'un exemplaire de son
« Taureau », ainsi qu'il appelle son deuxième livre de contes de
village, Il faut prendre le taureau par
les contes
(2003), duquel le scénario du film Babine est inspiré. En livres, sur disques, en spectacles ou au
cinéma, les histoires de Fred Pellerin nous transportent dans un univers
folklorique rehaussé d'un soupçon de magie. Ses jeux de mots d'une inventivité
et d'une efficacité inouïes, son imagination débordante et illimitée, son
écriture à la fois poétique et hilarante, mais aussi sa présence
irrésistiblement sympathique sur scène, en font un incontournable de notre
paysage littéraire et culturel. Cet homme a conquis le cœur de plusieurs
Québécois, puis accroît actuellement son public jusqu'en Europe. Puisse-t-il
continuer à nous enchanter avec ses histoires abracadabrantes de
Saint-Élie-de-Caxton. Merci Fred et longue vie à tes contes!

Jean-François Richard,
enseignant en français

Sarah-Mieko Chassé,
étudiante en Sciences humaines

Chanel Garceau,
étudiante en Sciences humaines

Alex Fluet,
étudiant en Sciences humaines