La Main vue par…
Hétéroclite, cosmopolite, imprévisible, insomniaque: la Main de Montréal est sillonnée par le Théâtre Urbi et Orbi dans la pièce Coin St-Laurent (ou les cinq doigts d'la Main). Dans le but d'honorer la vitalité de ce boulevard, cinq auteurs – François Archambault, Elizabeth Bourget, Fanny Britt, Jean Marc Dalpé et François Létourneau – ont écrit cinq courtes pièces traitant d'autant d'intersections. Mise en scène par Philippe Lambert, Coin St-Laurent a été présentée pour la première fois en 2005, avec beaucoup de succès d'ailleurs. Avec Émilie Bibeau, Luc Senay, Jean-François Nadeau et Monique Spaziani. Du 2 au 26 mai, au Théâtre La Licorne. Billetterie: 514 523-2246.
La Licorne redonne régulièrement une nouvelle vie à des pièces ayant déjà remporté un vif succès au cours des dernières saisons. C’est le cas pour la pièce Coin St-Laurent ou les cinq doigts de la Main, pièce que je n’avais pas choisi à la période cruciale du réabonnement où l’éventail de choix s’offrant à moi et la petitesse des jours libres sur mon calendrier n’arrivaient pas à faire bon ménage. Donc, heureuse initiative pour ceux qui, comme moi, ont raté de beaux moments.
J’aime bien ces pièces à histoires multiples écrites par des auteurs différents. Cette fois-ci, le spectateur changera d’atmosphère, de climat à cinq reprises. Pour les auteurs, c’est tout un défi. Chacun doit présenter ses personnages, situer l’action et créer le climat en peu de temps, s’il veut capter et maintenir l’attention du public. L’heure n’est vraiment pas au développement car le temps est compté. L’exercice ressemble beaucoup au défi de la nouvelle en littérature.
Ce défi est partagé par les comédiens qui doivent composer et faire vivre de nombreux personnages combien différents. On va à l’essence même de la transformation. Ceux-ci doivent être versatiles, souples, plastiques pour laisser en coulisse la peau du dernier personnage et revêtir l’habit du nouveau. Je serai très content de revoir Monique Spaziani, comédienne chevronnée et généreuse. C’est aussi avec grand plaisir que je reverrai Émilie Bibeau que j’ai vu jouer cette année dans «Du Vent entre les Dents» au Théâtre d’Aujourd’hui, et que l’on verra aussi dans « TOC TOC », la pièce annuelle du Festival de l’Humour. J’espère qu’elle ne sera pas la saveur du mois car je crois qu’elle possède un véritable talent.
Cinq univers, cinq parfums de cet unique boulevard traversant du nord au sud Montréal, et pourtant si différent dépendamment de la «hauteur» où nous nous trouvons sur celui-ci. La Main m’attend, j’irai l’arpentai rue Papineau le 9 mai prochain.
Si les productions de la Licorne ont en général le don d’être des objets théâtraux recherchés, se renouvelant par des propositions qui, tout en étant audacieuses, restent étonnamment accessibles, un bon équilibre entre l’aspect « bon show » et l’aspect « objet théâtral dans l’absolu », ici on bascule, à mon sens, du côté du « show » racoleur, avec un texte qui attrape rapidement ses limites et me semble devenir une grosse tarte à la crème littéraire; certes, ça plait, le public en redemande et se tape sur les cuisses. Les acteurs sont impeccables, exécutant à la perfection ce qu’on leur a commandé, mais on devine tout un potentiel de profondeur inexploité.
Certes, on sent une grande tendresse envers la ville, la main, explorée ici du Red-Light à la RDP. On reconnait avec émotion, comme dans une chanson de beau dommage, des morceaux de notre identité. Des petits morceaux de comédie de situation, de (pseudo) burlesque, un petit peu de Tchekhov dans cette façon d’aborder avec nostalgie des transitions: du St-Laurent des immigrants, pittoresque et vrai jusqu’à l’usurpation par ces lieux du faux, de la branchouille-cucul-concept de l’heure, cet envahissement des m’a-tu-vu et poseurs de tout acabit. Puis cette phrase d’un vieil épicier italien; « ouin, ça a changé, c’est plus une place pour du monde comme nous autres, maintenant »…
Là où le bat blesse, c’est peut-être dans ce choix de traitement, ce ton très (trop ?) « théâtre d’été », et pas le plus subtil. On nage dans l’hyper réalisme, des codes de jeux, d’expressions pré-digérés à l’extrême, de la facilité, du télégraphié, souligné à gros traits et surligné en jaune fluo. À quelques modifications de rythme et re-calibrages de séquences près, c’est, il me semble, de la télé: une télé-novelas d’après-midi. Des gags éculés, assemblage de clichés de jeu, manichéisme primaire, du mauvais (parce qu’il y en a du bon) pseudo-burlesque grotesque.