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Petit pot d’Über

On parle de margarine.

Le projet de loi du gouvernement du Québec sur l’industrie du taxi aura fait réagir plus que d’habitude. À quand remonte la dernière législation où une compagnie faisait ouvertement une campagne politique contre un gouvernement?

De toute évidence, la compagnie aura négligé les effets d’une campagne agressive de la sorte. En choisissant de stimuler les appels de citoyens aux bureaux de députés, elle aura déclenché une réaction d’indignation face à ses pratiques. Une compagnie peut-elle avoir voix au discours public? Bien sûr. Peut-elle le faire par le truchement de l’astroturf? Probablement pas si elle cherche à gagner l’opinion du public.

La tangente qu’aura pris ce débat est fort malheureuse. Au premier chef, les chauffeurs de taxis, qui n’ont aucune sympathie de par le service médiocre qu’ils auront fourni aux différentes villes du Québec. L’offre de service est de faible qualité et en quantité insuffisante. En multipliant les moyens de pression pour empêcher l’arrivée d’Über, en n’expliquant que très peu les tenants et aboutissants entourant leur travail, ils n’ont rien fait pour reprendre un capital de sympathie perdu depuis fort longtemps.

Ensuite, la compagnie elle-même, qui est allée de bravades en commission parlementaire contre le gouvernement et qui refuse de payer ses taxes. Le gouvernement aurait peut-être pu considérer un « modèle différent » de taxi si la compagnie n’avait pas été si baveuse. En défiant, le gouvernement elle au crée une perception qu’une réforme équivaudrait à céder devant une multinationale.

Et à la mi-mai, les membres du Parti Libéral adoptent une résolution implicitement contre le projet de loi du gouvernement, pour faire de la place à « l’économie de partage ». Une démonstration, s’il en est une, que le milieu des affaires est solidement implanté dans ce parti politique.

En somme, un débat de politique publique ou les opinions tranchées et les intérêts auront pris le dessus. Du coup, on réduit certainement les chances de voir une politique publique intelligente. Et pourtant, il y a de l’espace pour améliorer le service dans l’industrie du taxi. Dans un premier temps, encore faut-il remettre les pendules à l’heure.

Monopole de courtage

Le premier élément à comprendre dans ce débat est qu’Über n’est pas une compagnie de taxi. C’est une compagnie de courtage, au même titre que RE/MAX ou encore Intact assurances. Elle vise à mettre en relation, par le biais d’une application, des vendeurs avec des acheteurs. Über, à proprement parler, ne fournit pas de services de taxi. Pour ce service de réseautage, elle charge un pourcentage de la transaction, comme un courtier immobilier ou encore un courtier en bourse.

Il n’y a qu’un seul hic: c’est une technologie ou plus le nombre de personnes (clients ou chauffeurs) utilisant la plate-forme est élevé, plus elle attire de personnes (clients ou chauffeurs).  Après-tout, si tous les chauffeurs de taxi se retrouvent sur Über, à quoi bon chercher un chauffeur de taxi ailleurs?

C’est la même histoire que pour les cassettes VHS versus Beta, ou Blue-Ray vs HD DVD, éventuellement, les acheteurs et/ou les producteurs choisissent un camp, établissant de fait un monopole technologique. En somme, l’application Über porte en elle les germes d’un monopole.

Une position monopolistique est problématique. De par l’absence de concurrence, l’offre de service diminue et les prix sont portés à augmenter. Il serait très facile, par exemple, qu’Über renégocie les pourcentages de sa commission sur les transactions ou de diminuer la tarification qu’elle permet de charger pour une course. Ce faisant, elle peut réduire les marges que peuvent faire les chauffeurs, réduisant  aussi le service et l’attrait de la plate-forme. On se retrouverait alors avec un service similaire au monopole actuel engendré par la gestion de l’offre.

Pour éviter ce problème, il faudrait encourager la concurrence entre fournisseurs de courtage (d’applications) et réduire les prédispositions monopolistiques. Comment faire? Très simple: obliger Über (ou tout autre fournisseur) à mettre en commun ses listes de chauffeurs à n’importe quel autre courtier désireux d’entrer sur le marché. Ce faisant, le pouvoir monopolistique est réduit et on encourage la concurrence. On donne aussi aux chauffeurs un levier de négociation sur leurs marges et salaires, peut-être à travers la syndicalisation, si le nombre de courtier sur le marché est petit.

Évasion fiscale

Parce que la compagnie n’exploite qu’une application pour servir d’intermédiaire, rien ne lui interdit de faire ses transactions « en ligne » à partir d’un pays ou la charge fiscale est plus faible. Ce faisant, le gouvernement perd des fonds. La technique est simple: la compagnie mère, installée au Pays-Bas, charge un montant faramineux à la compagnie locale pour l’usage de son application. Ce faisant, la compagnie locale voit ses coûts augmenter, au point où sa marge de profits est nulle. Puisque les impôts des compagnies sont payées sur les profits, la succursale québécoise d’Über ne paie aucun impôt.Tout ceci est légal (et bien sûr moralement douteux).

Des réformes fiscales sont cependant possibles pour percevoir les taxes avec une entreprise de la sorte. Pour fin de taxation, une transaction effectuée à même un téléphone dont le fournisseur cellulaire est au Canada pourrait être considéré comme une activité d’affaire au Canada (ce qui serait parfaitement sensé). Il faudrait cependant modifier les lois fiscales et obliger les entreprises de télécommunications à devenir des fournisseurs de renseignements fiscaux. Pour réussir, il faut simultanément amender la législation de trois paliers de gouvernement (plus facile à dire qu’à faire!) et aussi mettre en place des amendes aux câblodistributeurs qui supporteraient les transactions « au noir » (cryptées).

Le calvaire des licences existantes

Les chauffeurs de taxi ont déjà, en quelque sorte, leur « quasi-monopole ». Jadis, le gouvernement décida de réglementer l’offre de taxis en obligeant l’achat de licences. En offrant une quantité limitée, le prix de ces dernières augmenta de manière substantielle au fil des années. Aujourd’hui, une licence de taxi est tellement rendu coûteuse qu’elle doit être exploitée 24 heures sur 24, avec plusieurs taxis et chauffeurs qui se la partage. En somme, le gouvernement a défini un « droit de propriété » sur la production de services de taxi.

Certains économistes affirment que ces licences devraient êtres abolies car elles créent une valeur artificielle. Peu d’entre-eux remettront en question les effets de la gestion de l’offre, à savoir qu’elle réduit l’offre de taxi (c’est son but!). Mais la question incidente est la suivante: si on décide d’abolir les permis, qu’arrive-t-il aux investissements fait pour se les procurer?

Une première approche consiste à dire que cette valeur est perdue et que ceux qui ont investi dans ces licences perdront simplement ces valeurs. Comme c’est le « fond de retraite » de la plupart des chauffeurs de taxis actuels, aussi bien dire que le gouvernement les mettrait à la rue! Imaginez, l’instant d’une seconde, qu’une municipalité changeait le zonage pour permettre la construction de maisons dans un terrain vacant adjacent à votre maison. La valeur de votre propriété changerait simplement de par cette modification réglementaire. Ce n’est pas illégal, évidemment, mais ça vous ferait perdre une bonne partie de vos économies. En faisant de la sorte, le gouvernement changerait les droits de propriété et donc la valeur induite par le marché.

Une deuxième approche consiste à dire que parce que c’est le gouvernement qui a initialement vendu les licences, il devrait les racheter avant de les abolir. Récemment, Québec estimait la valeur à 800M$,  des fonds qui n’iraient pas aux écoles ou aux hôpitaux.

En somme, au delà du problème de qualité qu’il engendre, abolir les licences revient à dire que quelqu’un, quelque part, va perdre de l’argent investi. Cette considération a dû jouer pour beaucoup dans la décision du gouvernement de conserver le régime actuel. Faut-il soutenir un système de licences qui génère des problèmes pour autant? Je pense que le gouvernement a simplement compris qu’en cette matière, c’est beaucoup plus simple d’être patient.

La tendance technologique de long-terme

En Allemagne, Mercedes-Benz, fait présentement des essais routiers de camions-remorques sans conducteurs. Aux États-Unis, Google produit déjà des voitures sans conducteurs, produit de grand intérêt, justement, pour Über. MIT étudie déjà les gains d’efficacité qu’engendrent des voitures sans conducteurs en coordonnant les intersections sans lumières pour le trafic. Et que dire de Tesla Motors qui permet maintenant de « télécharger » une mise-à-jour sur son modèle S pour avoir une option de pilotage automatique? Les trains, avions et bateaux ont déjà des systèmes de guidage largement assistés pour la plupart de leurs trajets. Ce n’est qu’une question de temps avant que le transport terrestre, largement retardée par nos idéaux de liberté et de contrôle sur la route, emboîtera le pas. Au même titre que les usines de production automatisées, le capital humain deviendra de moins en moins nécessaire pour l’industrie du déplacement, incluant le taxi.

Et c’est peut-être dans ce progrès que la législation actuelle devrait s’inscrire. D’abord, faire comprendre aux chauffeurs que leur profession n’en est plus une d’avenir. Ce faisant, ils devraient réfléchir à la valeur que prendra leurs licences dans le futur. Une incitation, si elle en est, à mettre peut-être un peu d’eau dans leur vin pour une réforme du système.

Il faudra alors réfléchir, du même coup, aux adaptations des lois sur la concurrence pour éviter un propriétaire unique de flotte de véhicules. Sans chauffeur pour décider pour qui il travaille, il faudra alors réglementer, à travers le bureau de la concurrence, les parts de marchés prises par les flottes de véhicules sans conducteurs.

Cela dit, avec ou sans chauffeurs, soyez assurés que le service restera taxable. Les voitures sans conducteurs sont réputées causer moins de décès. Ainsi, vous échapperez peut-être à la mort par ces transactions, mais certainement pas aux taxes.